ru24.pro
Новости по-русски
Март
2016

Défendre les beaux livres en s'amusant

0
Les spécialistes des métiers du livre ne cultivent pas l'esprit de sérieux. Tout au contraire. C'est ce que démontre Olivier Bessard-Banquy, qui vient de faire paraître un réjouissant éloge, intitulé Le goût des livres, dans une collection pleine d'humour et de fantaisie.

Les éditions du Mercure de France proposent, en effet, une série d'anthologies thématiques de petit format, intitulées "Le goût de...". La liste des titres disponibles constitue à elle seule un inventaire irrésistible et éclectique, associant Le goût des vaches au Goût du vélo sans excepter Le goût des vampires .



La plupart des amoureux du livre, anciens ou modernes, sont convoqués dans Le goût des livres, une anthologie conçue par Olivier Bessard-Banquy. On peut y découvrir des textes de Pierre-Marc de Biasi ou d'Éric Chevillard, qui se mobilisent aujourd'hui tout comme l'ont fait, en leur temps, Charles Nodier et Gustave Flaubert pour défendre les beaux livres. De façon générale, les auteurs du recueil célèbrent avec humour le mode de vie original des amateurs de livres, bibliophiles ou bibliomanes.

Dans L'industrie des lettres, un remarquable essai paru en 2012, Olivier Bessard-Banquy déplorait déjà que l'amour des ouvrages de luxe se soit perdu, que les tirages de tête aient beaucoup diminué et que la tradition de l'édition originale ait péréclité. Le raffinement d'une édition de luxe peut pourtant ajouter au plaisir de la lecture: lire La princesse de Clèves sur une liseuse ou dans une édition soignée sont des expériences très différentes.

Plaider pour le livre avec humour est peut-être le meilleur moyen de lutter contre le déclin du livre. De savoureux portraits de bibliophiles sont tracés dans l'anthologie. Ces personnages étranges qui caressent les papiers de Chine des premières éditions, et soignent leurs reliures précieuses, sont souvent des esthètes pleins d'humour.

Et comme ces gens savent vivre! La quête du livre rare peut devenir, pour certains passionnés ou fétichistes, une occupation à plein temps. On peut couler des jours fort agréables, il est vrai, à feuilleter les catalogues des libraires ou à fouiller les boîtes des bouquinistes sur les quais de Seine, en quête de curiosités.

Le lecteur appréciera d'ailleurs dans Le goût des livres nombre d'anecdotes plaisantes, nées sous la plume d'obscurs mémorialistes. Dans ses Mémoires d'un libraire pornographe, Armand Coppens évoque, avec délices, le souvenir du jour où une jeune femme a extrait de son corsage, sous ses yeux ébahis, les deux volumes in-12 de Justine ou les malheurs de la vertu de Sade. Le livre était alors interdit et le dissimuler dans un soutien gorge était assurément la meilleure façon d'échapper à la police!

Des son côté, Robert Caplain-Dol, un libraire installé à la Madeleine, raconte dans un passage de C'était une librairie comment, peu après la Libération, une admiratrice du général de Gaulle avait souhaité choisir dans sa boutique un cadeau destiné à remercier le général de Gaulle de son action historique. Sur le conseil du libraire, elle avait choisi Thaïs d'Anatole France, un volume à la reliure superbe. Mais, au grand étonnement du libraire, la dame avait exigé que son don demeure anonyme! Et son secret n'a jamais été percé, même pas par le général!

Olivier Bessard-Banquy aurait pu ajouter Cyril Connolly à sa galerie de portraits. L'écrivain britannique ami du regretté Bernard Frank, directeur de la prestigieuse revue littéraire Horizon entre 1940 et 1949, était lui-même un collectionneur compulsif de livres, de porcelaines et d'objets en argent. Cela ne l'empêchait pas d'être prêt à rire de ses propres obsessions!

Dans l'une de ses nouvelles les plus irrésistibles, intitulée "The Downfall of Jonathan Edax" (La chute ou la ruine de Jonathan Adax), destinée à évoquer le péché de convoitise, Connolly trace le portrait d'un bibliomane, ayant développé une passion obsessionnelle pour les premières éditions rares.

Il n'hésite pas à dérober de précieux volumes de poésie dans les bibliothèques de ses amis, et consacre tous ses revenus à sa collection, au détriment de sa famille, qu'il maintient dans le dénuement. Mais, un jour, par une cruelle ironie du sort, il est cruellement puni de son obsession perverse, en faisant une chute mortelle dans l'escalier de sa maison alors même qu'il s'élançait en quête d'une pièce exceptionnelle.



Olivier Bessard-Banquy est tolérant. Si la plupart de ses auteurs sont des adorateurs du livre, il n'a omis ni de signaler les conduites perverses des collectionneurs ou bibliomanes, ni de citer la voix discordante de François Bon, qui ne jure que par le numérique.

Il est pourtant acquis désormais que l'édition numérique ne va pas faire disparaître l'édition traditionnelle. La liseuse, objet technique et pratique, mais totalement dénuée de poésie, ne peut se substituer aux beaux livres, au contact si sensuel. Et les bibliophiles pourront continuer longtemps, espérons-le, à cultiver cette part d'humour et de folie qui les préserve de l'ennui.

Le goût des livres d'Olivier Bessard-Blanquy, éditions du Mercure de France, collection "Le goût de ...", 2016.

L'industrie des lettres, avec une préface inédite de Pierre Jourde, Pockett, 2012.


Lire aussi:

• S'évader de sa chambre avec Virginia Woolf

• 2016, l'année de Henry James

• Port-Royal, au centre de la vie de Racine et Blaise Pascal

• Pour suivre les dernières actualités en direct sur Le HuffPost, cliquez ici

• Tous les matins, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost

• Retrouvez-nous sur notre page Facebook


Également sur Le HuffPost: