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2024

Le sexe pour booster les performances en sports ?

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« Est-ce vraiment un lupanar lors des JO ? » On entend tout et son contraire, les études sont loin d’être unanimes, chacun y va de son avis. Mieux qu’un long discours, ou qu’une référence extraite d’un panel ‘‘représentatif’’ de trois personnes, on est allé poser la question à plusieurs experts bien placés. Enquête. Par Léa Borie, Extrait de Women Sports magazine n°33 juillet-août-septembre 2024 spécial JO de Paris 2024.

Avant-propos sur le sexe aux JO

Tous les quatre ans, c’est la même ren­gaine. Les rumeurs circulent quant aux activités sexuelles hors terrain. En préam­bule, précisons que, si le sujet fait l’objet de curiosité parfois malsaine, ce dossier a été réalisé dans le parfait respect de la vie privée des athlètes, et tenons à ce que leur intimité sexuelle leur reste person­nelle. C’est pourquoi nous avons interrogé uniquement des experts professionnels du sujet, afin de récolter leur avis en matière de sexualité féminine lors des Jeux Olym­piques et Paralympiques.

La sécurité avant tout

Deux préservatifs prévus par athlète et par jour ! Non pas pour les inciter à s’adonner à des pratiques sexuelles intenses, mais, au même titre que l’énergie déployée an­ti-attentat, nous pourrions voir ça comme une mesure préventive pour protéger leur santé. Cette tradition remonte aux Jeux de Séoul en 1988, période où la lutte contre le Sida battait son plein. D’autant que nombre d’IST diminue les performances et augmente douleurs et blessures. Qui dit sécurité dit aussi consentement, mou­vement de notre temps ; un mot revenu souvent lors de notre enquête. Tous les termes employés dans cette en­quête sous-tendent bien une réciprocité.

Il est également ques­tion de distribution de digues buccales mais aussi de préservatifs féminins. Verrions-nous là une considération plus large des femmes ? « La société a toujours voulu avoir une emprise sur la sexualité des gens, et plus particulière­ment des femmes. Dans l’ensemble, et par miroir dans le sport, il semble que l’on commence à prendre de plus en plus en considération la sexualité des femmes et à briser le tabou historique qui l’entoure (…), dans un domaine dominé par les hommes, où la misogynie prévaut encore souvent », tranche Erika Lust, cinéaste, défenseur du cinéma adulte féministe et experte en éducation sexuelle.

D’époque aussi der­nièrement, le Covid a rebattu les cartes de la politique du sexe durant les JO. Si l’on se réfère aux recommandations des derniers playbooks, les Jeux de Tokyo 2021 auraient imposé des pro­tocoles stricts, invitant à ne pas avoir de relations sexuelles et à limiter les rencontres avec les concurrents… Chaque athlète béné­ficiait de 50 préservatifs, qui ne leurs auraient été distribués qu’à leur départ du village !

La place faite au sexe lors des jo

Y’a pas que les médailles qui comptent : y’a le sexe, aussi !

Si l’on regarde les précédentes éditions, parmi les anecdotes les plus salées, on note que l’utilisation de l’appli de rencontres (et plus si affinités) Tinder a bondi de 350 % lors des JO d’hiver de PyeongChang en 2018. Un peu plus « limite », l’anecdote rappelée par La Voix du X, lorsque, en 1994 aux JO d’hiver de Lillehammer, deux co-équipiers de l’équipe allemande de bobsleigh ont proposé à une skieuse amé­ricaine de lui offrir leur médaille d’or en échange de faveurs sexuelles.

On entend que les hommes… ou presque !

Les 22 000 francs de room service payés par un ex international et quelques aco­lytes de l’équipe de France, c’est une histoire d’hommes. Et quand ce n’est pas eux qui parlent, ce sont les femmes qui disent ce qu’elles ont vu des hommes. Telle Hope Solo, gardienne de l’équipe américaine de football, qui levait le voile en 2012 sur le sexe au village : « Les athlètes font tout de façon extrême. (…) Quand vous vivez l’expérience d’une vie, vous voulez vous faire des souvenirs, que ce soit en faisant l’amour, en faisant la fête ou en remportant des médailles. J’ai vu des gens faire des cochonneries dehors, à la vue de tout le monde. » L’athlète allemande Susen Tiedtke, qui a participé aux Jeux de Barcelone et de Sydney, a livré quelques détails croustil­lants relayés par Gentside : « Les athlètes sont à leur apogée physique aux Jeux Olympiques. Lorsque la compétition est terminée, ils veulent libérer leur énergie. Après la compétition, les colocataires étaient conciliants si vous aviez besoin de la chambre pour vous. Vous enten­diez toujours la ‘fête’ des autres, parfois vous pouviez à peine dormir (…) puis l’alcool entre en jeu… »

Ce qui peut expliquer la rareté d’anec­dotes vécues par des sportives ? La vision très lissée qu’a la société de sa sexuali­té : « On reste encore aujourd’hui, sport com­pris, sur une vision pu­ritaine où les femmes doivent être pieuses », pose Pauline Schillaci, sexologue clinicienne, auteure, enseignante à l’Université de Poitiers.

La place à faire au sexe aux jo

Les clichés ont la dent dure

Que ce soit par peur pour leur énergie physique ou leur concentration mentale, nombreux sont les sportifs, comme Mo­hamed Ali, à revendiquer de s’abstenir de rapports sexuels avant compétition parce que l’acte pourrait nuire à leur per­formance sportive. Ils pourraient pour ainsi dire se vider de leur puissance. Une considération qui a la dent dure vieille de plusieurs siècles ! En Grèce antique déjà, les athlètes étaient exhortés à observer l’abstinence sexuelle avant toute compétition. Un autre phénomène en cause : la privation sexuelle rendrait les sportifs plus agressifs, et donc plus performants. Argu­ment discrédité, car, au contraire, c’est au cours d’un rapport sexuel qu’on pourrait acquérir une agressivité accrue, en raison de niveaux de testos­térone supérieurs…

Par contre, priver quelqu’un de sexualité pose la place de l’hu­main d’après Gaëlle Étienne, sexologue du sport intervenante en clubs de handball, beachvolley, football, natation : « La sexualité est un pilier, après boire, manger, dormir. Le bri­mer de ce premier aspect peut donner des défaillances psychologiques. Mais cette démarche peut avoir un effet place­bo… » L’experte analyse la perception du sexe aux Jeux comme une distance po­sée entre le sport et la réalité de la vie de l’athlète : « Le traitement de la question de la sexualité aux Jeux donne l’impres­sion d’une relation d’un parent avec son adolescent, qui ne veut pas entendre parler de sexualité, qui met à disposition des préservatifs sans que les pratiques sexuelles soient facilement ac­ceptées au sein du vil­lage, comme si le sportif n’était que sportif ». Un rôle parent/enfant que Pauline Schillaci perçoit « entre l’entraîneur et l’athlète, où le premier sermonne ‘Ce soir pas de bêtise !’ Et l’athlète, dans son rôle d’enfant, qui pourrait se dire que face à l’interdit, il va y aller, ce sera encore meilleur ! »

« On a tendance à dire que la sexualité mas­culine est une sexua­lité de décharge, pul­sionnelle, ce qui ne serait pas le cas chez les femmes », explique Margot Maurel, sexo­logue et ostéopathe, autrice de  Vaginismes : comprendre, dépasser, s’épanouir. Vous note­rez qu’à ce stade, on ne parle pas vraiment de pratique sexuelle féminine. Pour cause, il y a une vraie sous-représentation de la femme dans les études : « On ne sait pas comment elle fonctionne, pose la sexologue du sport. Vision clichée mais qui reste pré­sente : on s’inquiètera avant tout du risque d’une grossesse, et donc d’un arrêt de carrière potentiel, ou de règles douloureuses. Tout part du postulat masculin que ce sont les hommes qui boivent, jouent avec les limites et ont une sexualité épanouie ».

Cependant, l’experte ajoute : « La libido des femmes est influencée par le stress. Si elles sont stressées, elles n’auront pro­bablement pas envie – quand certaines pourront s’y adonner pour se détendre. Cependant, chez elles, il n’y a pas cette question de perdre leur puissance ».

L’important, c’est la dose

Sur le fait qu’une pratique sexuelle à deux réduirait l’énergie de l’athlète, il n’en n’est rien non plus. Rappelons que cela représente l’effort d’une montée d’une vingtaine de marches, largement dans les capacités de nos Bleu(e)s ! Ce serait plus de l’ordre de la superstition… Sauf si ladite pratique sexuelle est asso­ciée à un manque de sommeil important et/ou à une consommation d’alcool. Ce n’est donc pas le sexe en tant que tel qui est mis en cause.

Le média Marie Claire racontait la vi­sion de la volleyeuse française Isaline Sager-Weider. Celle-ci expliquait que parfois le sexe lui permettait de « bien s’endormir avant un match important », mais nuançant : « il faut doser ». Et de poursuivre que son statut de sportive pro l’oblige parfois à se brider, en cas de séance de musculation programmée tôt le matin. Margot Maurel rappelle : « On peut avoir une pratique sexuelle sans s’épuiser et tomber dans les extrêmes – multiples partenaires, toute la nuit… »

Juste dose, pour mieux s’écouter, comme nous explique Erika Lust : « Il est important que les athlètes soient à l’écoute de leur corps, qu’ils décident en fonction de leurs préférences. Sou­vent, le sexe est rendu responsable de mauvaises performances alors que ce qui a un véritable impact est le sommeil ou l’hydratation. Pour certains athlètes, le sexe peut être un moyen de mieux dormir. Pour des compétitions aussi stressantes que les Jeux, il est pro­bable que le besoin de détente soit plus élevé que jamais. Dans cette optique, une quantité raisonnable de rapports sexuels pourrait avoir un impact plus positif que de s’en abstenir », étaye la professionnelle.

Une question d’âge et de tempérament

Chez les sportives des Jeux, dont la majorité a moins de 30 ans, beaucoup d’items de leur vie ont tendance à être calculés, nous détaille Margot Maurel : « éviter d’avoir ses règles pendant la compé­tition, mais aussi éviter d’avoir des douleurs pen­dant un rapport hétéro­sexuel avec pénétration qui pourraient nuire à un bon état général le len­demain ». Les troubles de la sexualité entrent alors en compte : « les troubles d’éjaculation chez les hommes et les douleurs chez les femmes, qui peuvent être ressassés et nuire à l’objectif de médaille, explique Pauline Schillaci. Cela peut créer une frustration ».

La notion de plaisir se pose aussi. Pauline Schillaci rappelle que « pour un homme, le rapport aura tendance à être plus facilement validé, par une jouis­sance plus rapide » quand la femme aura tendance à se dire plus « insatis­faite », complète Margot Maurel.

Un calcul de leur image également, rap­pelle Sébastien Landry, sexologue clini­cien, auteur de « Le désir sexuel : Le stimu­ler, le retrouver, alimenter la flamme ! » : « On se souvient, dans un autre contexte, des photos de charme personnelles de Laure Manaudou qui avaient fuité sur la toile. Le risque est aussi pour l’athlète de s’exposer en marge des Jeux. Un objectif sportif est là. Certains préfèreront ne pas s’en détourner ». Une image sportive que d’ailleurs beaucoup leur envie, pose Pauline Schillaci : « Les athlètes ont un corps que beaucoup rêvent d’avoir, se rapprochant de la vision des dieux qu’on avait dans l’antiquité grecque. ‘J’ai un corps qui me sert à travailler mais aussi à prendre du plaisir’. De plus, dès leur plus jeune âge, tous sont dans les vestiaires et n’ont pas la même approche du corps que des per­sonnes lambda. »

Le sexe : du bonus !

Selon la Fédération française de cardio­logie, l’activité sexuelle participe à l’en­tretien du myocarde et des artères. Côté hormones, les endorphines diminuent la douleur, agissant sur les mêmes ré­cepteurs que la morphine, ce qui peut limiter les courbatures. Ajoutez à cela la sérotonine, favorisant un bon sommeil et limitant l’anxiété. « En réduisant le stress, une partie de jambes en l’air ap­porte sa dose de bonne humeur, ce qui a un impact positif au niveau sportif. Ce n’est pas magique physiquement, mais moralement c’est important », étaye Gaëlle Etienne. C’est le moment, d’après Pauline Schillaci, où « l’athlète peut ne pas chercher la performance et uniquement un moment de libération, comme un bon bain ou un bon repas après une épreuve. »

Et puis, que la sexualité ne soit pas un débat central, conclut Gaëlle : « Les sportifs sont des humains ! Avec déjà à surveiller leur sommeil, leur alimenta­tion, leurs projets de famille, etc. alors si en plus on contrôle leur sexualité… » Tout ça sans penser à la « pression nor­mative » comme l’appelle Margot Mau­rel en sexologie, « où l’on a l’impression que tout le monde baise tous les soirs ».

Enfin, la sexualité peut aussi se jouer en solitaire, sans être nécessairement tournée vers la performance sexuelle à deux. Et Sébastien d’argumenter : « La tête n’aime pas rester en état de stress, il lui faut trouver des compensations. La masturbation compulsive en est une. Je vois en consultation des jeunes qui se masturbent plusieurs fois par jour pendant leurs examens. Il y a d’ailleurs sans doute dans le milieu sportif plus de pratique masturbatoire que de rap­port sexuel.» La masturbation, « ne se­rait-ce que pour s’aider à s’endormir », pose Pauline Schillaci. « D’ailleurs, nous serions surpris de savoir combien de sportives ont dans leur valise un sex-­toy : pas de risque de grossesse ou d’IST, juste d’avoir oublié le chargeur ! » conclut-elle en riant.

Spot et libido : bons à marier ?

Pratiquer régulièrement entretient la libido. Pour autant, le surentraîne­ment nuit aux envies de jambes en l’air. Gaëlle Etienne l’atteste : « Les per­sonnes qui commencent à aller en salle de musculation remarquent qu’avec des entraînements poussés, une nou­velle libido arrive. Il faut jouer de son fonctionnement hormonal pour s’adap­ter aux changements. » Ce n’est pas pour rien d’après Pauline Schillaci si « beaucoup d’endocrinologues ont éta­bli que de la pratique du sport et de la sexualité découlaient à peu de choses près les mêmes hormones ».

Mais lorsque cela est poussé à l’ex­trême, on en perd les bienfaits, explique Sébastien Landry : « Les athlètes de haut niveau font trop de sport pour avoir une libido de folie à mon sens. Si l’on se sent fatigué, le repos étant vital, le cerveau priorisera ça avant le sexe. »