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À voir : “Allégorie citadine”, le court métrage d’Alice Rorhwacher et JR avec Leos Carax

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À la Biennale de Venise, tout juste achevée, était présenté hors compétition le dernier court métrage d’Alice Rorhwacher (La Chimère), coréalisé avec JR : Allégorie citadine. Et bonne nouvelle, il est disponible jusqu’à la fin du mois sur la plateforme Festival Scope.

Il débute par des images de Paris rythmées par ce qui ressemble à des pulsations d’un cœur, de plus en plus près de la ville et de plus en plus loin des images de cartes postales : on commence par la Tour Eiffel, noyée dans la masse des immeubles, puis des rues, les bras métalliques des structures du métro aérien, le goudron luisant de pluie sur lequel un sans abri git, étendu sur des cartons, sans attirer un seul regard. La ville est un espace uniforme plein de vide où l’on ne fait que passer, où rien n’attire l’œil, pas même la misère.

Leos Carax en guest

Dans la grisaille, on aperçoit une pointe de couleur : c’est le bonnet rouge de Jay (Naïm El Kaldaoui). Il s’arrête et regarde le haut des immeubles à travers un kaléidoscope : l’image est diffractée dans l’œil de l’enfant, les détails apparaissent enfin. Jay accompagne sa mère (Lyna Khoudri) à une audition de danse pour un ballet contemporain. Dans le théâtre, on découvre un Leos Carax plongé dans l’ombre, comme toujours. Le cinéaste y tient le rôle de metteur en scène.

Ses éternelles lunettes de soleil perchées sur le nez, il parle : le ballet est une adaptation du mythe platonicien de la caverne. Les humain·es naissent enchaîné·es, le regard rivé sur un mur où sont projetées les ombres des choses. Les ombres sont des illusions. Qu’arrive-t-il à celui ou celle qui tente de s’échapper de la caverne ? La mère ne sait pas répondre. C’est alors à Jay qu’il s’adresse. À l’oreille, il lui confie le secret de cette réponse : c’est à lui et à son regard qu’incombent de libérer les autres. 

Alice Rohrwacher et JR appellent à quitter l’aphasie

S’engage alors un voyage à travers la ville, dont les murs aseptisés recèlent de vérité. Si le film s’avère un poil trop didactique par instants – la voix off de l’enfant explicite parfois à outrance le propos tenu par les images –, il a le mérite d’être inventif dans sa forme et de proposer une lecture salvatrice de l’allégorie de la caverne. Entre collages de rue mis en mouvement par du stop motion et danse contemporaine, Alice Rohrwacher et JR appellent à quitter l’aphasie provoquée par notre société saturée d’images.

Jay, réduit à une image bidimensionnelle qui arpente les murs de Paris, appelle à l’aide, en vain, les passant·es en trois dimensions, trop absorbé·es par leurs écrans pour le remarquer. En parallèle, sur de grands échafaudages, des corps drapés de blanc forment des vagues, des lignes : on créé l’image-mouvement collectivement. Le cinéma, la production d’images porteuses de sens, est une affaire commune.

L’artiste s’efface pour faire place aux images

Enfin, l’éveil a lieu. Les “Défense d’afficher” placardés sur les murs de Paris sont déchirés par tous·tes – Jay, sa mère, les danseuses, des passant·es – pour faire place à des pans de décor du ballet représentant la caverne. Le metteur en scène ne prend pas part à la libération. L’artiste s’efface pour faire place à des images qui ne sont plus les siennes.

Le film se clôt sur la phrase suivante : “Peut-être ne suffit-il pas de dire que les images sont des illusions, puisque les chaînes sont réelles.” Les images sont partout, on ne s’en débarrassera pas. Le kaléidoscope s’est brisé, mais l’enfant en récupère les morceaux. Toutes les médiations du réel par l’image ne sont pas bonnes à prendre, mais certaines sont indispensables.

Allégorie citadine, d’Alice Rorhwacher et JR, est disponible gratuitement sur la plateforme Festival Scope jusqu’au 30 septembre.