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On a rencontré King Hannah, le meilleur groupe américain d’Angleterre

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Hannah Merrick et Craig Whittle viennent de Liverpool, mais rien dans leur musique ne permet de le dire. King Hannah, le duo qu’il et elle forment depuis la fin des années 2010, est plus du genre americana que The Coral. Plutôt que de citer The Beatles, Gerry and the Pacemakers ou Echo and the Bunnymen, Craig et Hannah revendiquent les influences de Silver Jews (du regretté David Berman), Palace ou encore Bill Callahan. Soit l’Amérique 90’s du retour à la terre, filmée en CinemaScope par Kelly Reichardt.

Après le très réussi I’m Not Sorry, I Was Just Being Me (2022), qui semblait relier Détroit à la Nouvelle-Orléans sans bouger de sa hometown liverpuldienne, King Hannah a dévoilé cette année Big Swimmer, un deuxième album dont le sous-titre aurait pu être Choses vues, documentant les moments interlopes de leur première tournée US aux côtés de Thurston Moore et Kurt Vile. Foisonnant d’images fortes, de scènes de cinéma et de name dropping (John Prine, Slint, Bill Callahan, encore lui, sont mentionnés pêle-mêle), le nouveau disque de nos deux zozos est un trip beat et impressionniste. Croisé·es il y a quelques mois à Paris, Craig et Hannah nous ont accordé une interview.

Vous faites partie de ces groupes qui ont sorti leur premier single en pleine pandémie, et voilà que quatre ans plus tard, vous sortez un album en forme de road trip aux États-Unis. C’est un disque qui aurait pu ne jamais exister, finalement ?

Hannah Merrick C’est complètement un album qui parle de notre tournée aux États-Unis, même s’il n’y a pas que cela sur le disque. C’était une première pour nous et, bien sûr, cela a été un choc. Dans le bon sens du terme. Il n’y a rien à voir avec le Royaume-Uni, ou l’Europe ; rien de comparable avec la vie que nous menons et la manière dont nous avons grandi. On a vu toutes ces choses totalement nouvelles pour nous, il semblait donc évident d’écrire dessus.

Craig Whittle – Il y a aussi des chansons qui n’ont pas été inspirées par les États-Unis, mais par la banalité de notre quotidiens, les choses que l’on fait tous les jours. Mais oui, on a toujours rêvé d’atterrir en Amérique, on n’avait vraiment aucune idée que notre premier album, I’m Not Sorry, I Was Just Being Me (2022), nous y amènerait. Sur place, on n’arrivait toujours pas à y croire, je pense que c’est pour cela que nous avons été aussi inspirés.

Même avant cela, la musique de King Hannah a toujours été davantage tournée vers le rock US que vers la pop made in UK.

HM – J’imagine que cela tient à la musique que nous écoutons.

CW – On n’a jamais voulu nous présenter comme un groupe UK voulant sonner comme un groupe US. Il se trouve simplement que la musique qui nous a toujours touchés vient de là-bas. Je ne pourrais pas te dire pourquoi. Quand il s’agit de nous mettre au travail, c’est instinctif.

HM – Ce n’est pas non plus comme si on y pensait souvent. C’est même quelque chose à laquelle nous n’avions jamais pensé jusqu’à ce qu’on nous le fasse remarquer. Notre musique est la manifestation inconsciente de ce que nous écoutons le plus, à savoir Silver Jews, Bill Callahan, Will Oldham.

Vous venez de Liverpool, une ville au patrimoine musical très riche. S’il fallait aujourd’hui mentionner un groupe du coin, on penserait à The Coral, par exemple. De par la nature même de votre musique, très américaine, on oublierait sans doute de vous citer. C’est un avantage ou un inconvénient de ne pas être associé à une ville en particulier ?

HM – On attache peu d’importance à cela. Mais encore une fois, il n’y a rien d’intentionnel là-dedans.

CW – Nous n’avons jamais fait partie d’une quelconque scène à Liverpool. Il n’est jamais arrivé que l’on joue avec des groupes du coin de façon récurrente, en partageant un style musical similaire. Nous sommes plutôt du genre à écrire nos chansons dans notre coin et à les sortir quand on pense qu’elles valent le coup. Si tu prends The Coral, tu peux probablement faire remonter leur son jusqu’aux Beatles. C’est plus ancré, d’un point de vue territorial.

HM – C’est comme la Britpop, qui constitue un courant à part entière, avec laquelle nous n’avons aucune attache en particulier.

Hannah, tu faisais référence à Bill Callahan au cours de notre conversation. Son nom apparaît dans un morceau de l’album, Suddenly, Your Hand. Une chanson sur laquelle on a l’impression que tu essayes de t’approprier sa façon de chanter. C’est intentionnel ?

HM – [Rires] Je n’essayais pas de faire du mimétisme, mais je l’écoute tellement. J’adore la façon qu’il a de délivrer des histoires, avec cette voix si identifiable. Ma façon de chanter est directement inspirée par lui.

En parlant d’histoires, il y a en a beaucoup sur ce disque, Big Swimmer. Un album que l’on pourrait presque qualifier de beat. Vous teniez un journal lorsque vous étiez sur la route ?

HM – C’est quelque chose que tu faisais, toi, Craig ?

CW – J’essaye de tenir des journaux, de conserver des enregistrements. Le premier album ressemblait à cela, une sorte de collection de petits moments et de souvenirs, façon collage. Mais pour ce disque, je pense qu’on s’est lassés de cette méthode. On a davantage travaillé la narration, le fait de raconter des histoires.

Toutes les histoires racontées dans ce disque sont vraies ? Comme dans la chanson Milk Boy (I Love You), où un gosse manque de se prendre un coup de marteau en pleine tronche par son père sous un pont à Philadelphie ?

HM – C’est vrai, toutes les histoires ont vraies. C’est quelque chose dont nous avons été témoins et qu’il est difficile d’oublier par la suite. Pauvre gosse, on s’est sentis tellement mal pour lui.

L’excitation de nous trouver aux États-Unis a fait que nous avons été attentifs à tout. Nous avions l’esprit grand ouvert

Aviez-vous abordé cette tournée avec l’idée d’écrire un album sur ce long voyage ? Étiez-vous en quête d’histoires ?

HM – Je ne pense pas, non.

CW – Nous rapportons seulement ce que nous avons vu, ce qui s’est produit sous notre regard. Mais je crois aussi que l’excitation de nous trouver là a fait que nous avons été attentifs à tout. Nous avions l’esprit grand ouvert.

HM – Nous étions excités, oui. Mais pas en quête d’histoires.

CW – Il y a ce paradoxe avec l’Amérique. Quand tu y vas pour la première fois, tout peut te sembler extrêmement familier, parce que sa culture irradie de partout. Mais en même temps, tout peut également te paraître étranger. Il y a cette chanson sur le disque, Somewhere Near El Paso, où deux types parlent du fait qu’ils iront au bordel avec les 40 balles qu’ils viennent de gagner avec un jeu à gratter. On a assisté depuis le van à cette scène, qui aurait pu être extraite d’un film qu’on a déjà vu. Il y avait quelque chose de surréaliste.

Accordez-vous la même attention aux choses quand vous êtes au Royaume-Uni ou en Europe ? Les tournées sur le Vieux Continent nourrissent-elles votre imagination de la même manière ?

CW – En Europe, oui, compétemment. Mais pas au Royaume-Uni. On y est tellement habitués, cela nous inspire moins. Si nous avions assisté au même type de scène aux UK, je crois que nous aurions eu une réaction émotionnelle d’un ordre totalement différent. Peut-être aurait-on été embarrassés ? On n’aurait peut-être même pas relevé.   

Aux États-Unis, vous avez tourné avec des gens tels que Thurston Moore et Kurt Vile. Qu’avez-vous appris à leur contact ?

CW – C’était une sensation étrange. Parce qu’avant de sortir de la musique et de nous retrouver avec Kurt Vile en backstage, on allait à ses concerts. Et même si on n’avait jamais vu Thurston Moore sur scène, on le considère comme une icône majeure. Avec ces groupes, on s’est sentis impliqués et considérés, alors que nous n’étions qu’un groupe minuscule comparé à eux. Si on a appris quelque chose à leurs côtés, c’est que la façon dont tu traites les gens en tournée est de la plus haute importance.

Dans la chanson Lily Pad, vous mentionnez le groupe américain culte Slint. La pochette de votre album rappelle d’ailleurs un peu celle de Spiderland (1991), leur second album studio. Saviez-vous qu’elle avait été photographiée par Will Oldham, que vous citiez en début d’interview ?

HM – Oui, c’est incroyable. Figure-toi que nous avons appris cela il y a à peine quelques jours !

Big Swimmer (City Slang/PIAS).

King Hannah sera en concert le 12 septembre à La Maroquinerie (Paris), le 24 septembre au 106 (Rouen) et le 18 décembre à La Gaîté Lyrique (Paris).