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“Le Moine et le fusil” de Pawo Choyning Dorji : une fable drolatique sur la modernité

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La démocratie débarque au Bhoutan, déclenchant une série d'événements inattendus. Une comédie bouleversante et humaniste.

2006, au Bhoutan, ce petit pays coincé entre la Chine, l’Inde et le Népal. Le roi vient de transmettre son trône à son fils Jigme Khesar Wangchuck, 26 ans, qui décide alors de moderniser le pays. D’abord, la télévision est autorisée (le Bhoutan est effectivement le dernier pays au monde à avoir découvert la télévision), ainsi qu’Internet et la démocratie.

Mais la démocratie, ça s’apprend. Le roi décide donc d’organiser une élection blanche pour que les Bhoutanais·es s’entraînent à la pratique de l’élection. Il envoie au fin fond des provinces les plus reculées des fonctionnaires chargé·es de former les citoyen·nes.

Tradition versus modernité

L’action du film, sur le ton de la comédie, se déroule à ce moment-là de l’histoire du Bhoutan, dans un petit village isolé. Un vieux et vénérable Lama apprend par la radio l’arrivée de la démocratie, et il demande aussitôt au jeune moine chargé de le servir d’aller quérir deux fusils. Ils en auront besoin pour une cérémonie religieuse mystérieuse que le Lama entend organiser le jour même de cette élection…
Le Bhoutan est l’un des pays les plus pauvres du monde, où la majorité des habitant·es pratiquent une agriculture vivrière, et qui a préféré inventer le BNB (Bonheur national brut), plutôt que de se soumettre aux règles internationales du PIB.

Tout le comique du film, qui n’est pas que drôle, naît de l’opposition entre des gens assez simples, religieux, honnêtes, absolument pas vénaux, très attachés à leur monarque, et les représentant·es corrompu·es de notre modernité : un petit malfrat venu de la capitale, un trafiquant d’armes américain à la recherche d’une pièce de collection d’une très grande valeur : un fusil datant de la Guerre de Sécession. Le réalisateur Pawo Choyning Dorji ne cache pas sa préférence pour le petit peuple bhoutanais, “fruste” mais sans aucun cynisme, quitte parfois à en dresser un portrait un peu folklorique, même s’il est touchant. Par moments, le cinéaste parvient quand même à faire passer l’inquiétude de certain·es Bhoutanais·es face à l’arrivée de la démocratie, qui par définition est une source de conflits. Rien d’anti-démocratique pourtant, dans le propos du film. Il se contente de décrire un état d’esprit.
Drôle aussi, la découverte de la télévision et des films de James Bond, par exemple, qui vont changer la mentalité des habitant·es, y compris celle des jeunes moines partagés entre tradition et progrès, qui pourtant, comme dans Tintin au Tibet, continuent à contourner par la gauche les stupas, ces petits monuments bouddhistes disséminés dans la nature.

Humour et humaniste

Enfin, la description du seul personnage étranger du film, le trafiquant d’armes, est désopilante. Seulement intéressé par l’argent, il sera remercié pour ses services rendus bien malgré lui à la communauté du village par un trophée symbolique (dont nous avions assisté à la confection, à intervalles réguliers, depuis le début du film), bien loin de ses aspirations mercantiles, que nous ne dévoilerons pas ici… Dans une scène assez bouleversante et d’une grande ironie, un fonctionnaire bouthanais se montre ravi de rencontrer pour la première fois un Américain, un citoyen de la plus grande démocratie du monde, dont il attend une grande leçon politique… qui ne viendra évidemment pas.

Ensuite, soyons clairs : la mise en scène du film ne témoigne d’aucune singularité, et s’inscrit dans le tout-venant du découpage et du filmage international audiovisuel mondialisé. Rien de révolutionnaire et d’original dans la facture. On ne peut pas parler ici d’un style de cinéma bhoutanais. Mais le film ne manque pas d’humour et d’humanisme, et c’est le plus important.

Le Moine et le fusil de Pawo Choyning Dorji avec Tandin Wangchuk, Deki Lhamo, Tandin Sonam – en salle le 26 juin