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Les InRocks
Май
2024

Que recherche-t-on en relisant un livre ?

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Alors que l’édition de nouveaux livres est continuelle, pourquoi choisit-on, à certains moments, de consacrer notre temps à la relecture ? On parle peu de ce phénomène, qui en dit souvent long de notre personnalité : pourquoi reprend-on toujours tel ou tel texte ? Pourquoi relire plutôt qu’acheter un nouveau livre juste “pour voir” ?

“Relire défait le mythe de l’original”

En 2015, Laure Murat consacrait une enquête à la relecture, qui reparaît aujourd’hui en poche avec une préface de Laure Adler. Adler se rappelle qu’il y a trois ans, Murat lui disait avoir le projet de relire toute La Recherche lors d’un été, à raison de cent pages par jour. Cette relecture aura abouti à son Proust, roman familial, l’un des livres événements de la rentrée dernière. “De quoi dépend l’impact d’un livre ? Quelle signification seconde ou plutôt autre cette deuxième lecture révélait-elle ? Est-ce la lecture qui fait le livre ?” Pour répondre à ces questions, Laure Murat a envoyé un questionnaire à de nombreux·euses lecteurs et lectrices (écrivain·es, éditeur·ices, journalistes).

Et tout son essai ausculte les multiples raisons que l’on a de relire : les auteur·ices qui relisent certains textes pour les besoins du livre qu’ils et elles sont en train d’écrire, ceux et celles qui relisent pour le réconfort que certains livres leur apportent, ou encore celui d’œuvres si vastes, totales, que l’on éprouve le besoin de les reprendre parce qu’on n’en a jamais fini avec elles. Pas un hasard, d’ailleurs, si La Recherche de Proust arrive en première place des textes relus (on notera que hélas, parmi les auteur·ices cité·es par les interrogé·es, on trouve 93 % d’hommes pour 7 % de femmes).

“Relire défait le mythe de l’original”, écrit Laure Murat. “On ne peut lire un texte, c’est-à-dire le déchiffrer, qu’une fois relu.” À l’inverse, peut-être que le mythe de l’original défait par la relecture, c’est nous-mêmes, et peut-être que seule la relecture permet de nous déchiffrer enfin nous-mêmes. La relecture est ce qui défait le mythe de notre identité comme originale, et stable, d’un moi qui traverserait le temps sans altération. Or, lire un livre à 20 ans, à 40 ou à 60, ne relève pas de la même expérience de lecture, car nous ne sommes plus les mêmes non plus. Il est peut-être inexact de dire que nous relisons.

C’est notre “moi” qui a muté dans le temps et par l’expérience, bref notre nouveau “moi” qui, à chaque fois, lit Proust et non pas le relit. Nous y découvrons à chaque âge des choses que nous n’avions pas même perçues à un autre. Avec, parfois, la sensation d’un déjà-vu, comme dans la vie.

Laure Murat : Relire. Enquête sur une passion littéraire (Champs Flammarion/Essais) 307 p. En librairie le 15 mai.

Édito initialement paru dans la newsletter livres du 2 mai 2024. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !