"La seule armée européenne, c'est l'armée française"
REUTERS/Eric GaillardPour Jean-Luc Sauron, la relance de l’Union nese fera pas à vingt-sept faute de vision commune. Pour ce professeur àl’Université de Paris-Dauphine, auteur d’un décapant « Faites l’Europe,pas la guerre » (éditions Gualino, 9 €), il faut être plus pragmatique etapprofondir la coopération entre quelques pays en pariant sur le fait que l’Unionsuivra. Il estime aussi que la seule défense européenne concevable, c’est unfinancement communautaire de l’effort militaire de la France, ce pays ayant laseule armée apte à combattre au moins pour quelques années.
Les vingt-sept chefs d’État et degouvernement se réunissent demain à Malte pour évoquer l’avenir de l’Union aprèsle Brexit. Alors que le sommet de Bratislava, en septembre, n’a débouché surrien, peut-on attendre quelque chose de cette nouvelle réunion ?
Ce sont des sommets d’attente avantles rendez-vous électoraux de mars aux Pays-Bas, de mai-juin en France et deseptembre en Allemagne. Avant que le monde politique interne de l’Union ne soità nouveau stabilisé, il ne faut pas s’attendre à décisions marquantes. C’estd’autant plus désespérant, que la présidence tournante de l’Union est exercéepar Malte qui, ça n’est pas lui faire insulte, ne peut prétendre jouer un rôlesur la scène politique mondiale. L’Union est donc politiquement fragile alorsqu’elle est confrontée à une donne géopolitique radicalement nouvelle, entre lelibéralisme économique du président du parti communiste chinois, un pôleanglo-américain qui a toujours existé, mais qui s’affirme brutalement et laRussie qui poursuit un rêve euro-asiatique. En outre, le monde est devenu d’uneinstabilité époustouflante : qui aurait dit il y a trois ans que les BRICSalors vantés comme les phares de la croissance mondiale auraient aujourd’huiquasiment disparu ? Le Brésil est en pleine déconfiture, la Russie, mêmesi elle fait très peur, n’a pas résolu ses difficultés économiques etpolitiques, l’Inde est instable, etc. Le monde change de trimestre en trimestre et il devient très compliqué deconstruire des alliances et des projets.
Dans ce monde instable, l’Unionsait-elle ce qu’elle veut ?Les rêves de refondation sonttotalement aberrants, car les États membres n’ont pas de vision commune del’avenir de leur Union. On ne relancera pas la machine européenne à Vingt-sept,il faut l’admettre une bonne fois pour toutes. Il faut reconstruire sur unsocle interétatique, entre quelques pays qui acceptent de se mettre enconvergence et en concertation, sans pour autant se substituer à l’UE. Celapeut se faire soit entre l’Allemagne et la France, soit entre ces deux pays etle Benelux soit, enfin, entre l’Allemagne, la France et la Pologne. Cetteconsolidation d’une partie de l’Union stabilisera toute la constructioneuropéenne.
Cela veut dire qu’on négocie unesérie de traités bilatéraux ou multilatéraux à l’intérieur de l’UE ?
Pas nécessairement. Paris et Berlinpeuvent simplement décider que leurs gouvernements auront le même nombre deministres, dotés des mêmes attributions, afin de travailler ensemble sur unesérie de dossiers et de législations convergentes afin de coordonner lespolitiques suivies dans les deux pays. Si ces deux pays qui représentent 50 %du PIB européen parviennent à harmoniser leur droit fiscal, leur droit de laconsommation, leur droit social, par exemple, tout le monde suivra et celaredynamisera l’espace européen. Aujourd’hui, c’est le moins actif qui bloquetout le monde. Le grand schéma à Vingt-sept, ça ne marche plus : onn’arrive plus à exécuter les politiques annoncées. Si on n’arrive pas àrelancer la machine européenne, nous serons le champ de manœuvre du reste dumonde, soumis à des stratégies d’influence contradictoires. Au passage, etcontrairement à ce que croient les déclinistes, l’Europe reste le centre dumonde : c’est à travers nous que les puissances s’affrontent. Il faut doncque nous tirions parti de cette force pour influencer le monde.
Le fait que l’administration Trumpsouhaite la disparition de l’UE ne va-t-il pas aider l’Union à serenforcer ?
La brutalité du discours de Donald Trumprecouvre une réalité américaine qu’on a souvent occultée : les États-Unisont toujours voulu un peu d’Europe pour contrebalancer les Soviétiques etéviter l’émergence de régimes révolutionnaires, mais pas trop d’Europe pourqu’on ne vienne pas leur manger la laine sur le dos. Or l’euro, par exemple,est vécu comme une contestation de la suprématie du dollar, ce qui estinacceptable pour eux. Trump dit clairement que l’Union aujourd’hui ne peutêtre qu’un marché et non un acteur politique et économique.
Les Vingt-sept veulent faire de ladéfense européenne un nouveau projet mobilisateur. Est-ce sérieux ?
Je ne crois pas à une arméeeuropéenne. Pour envoyer des gens combattre et mourir, il faut un gouvernementlégitime. Or aujourd’hui il n’y a pas d’autorité européenne légitime en dehorsdes États. En Europe, il y a deux armées et demie, la Britannique, la Françaiseet un peu l’Allemande. Mais une vraie armée est une armée qui se bat sur leterrain, ce qui n’est pas le cas de l’armée allemande. Avec le Brexit, il n’y aen réalité plus que la France qui se bat, non pas pour mener des opérationspost-coloniales comme on a pu le dire ici ou là, mais pour protéger lecontinent européen, que ce soit au Mali, en Centrafrique ou en Syrie. Il fautdonc que les Européens financent l’effort militaire de la France et que laFrance accepte dans son armée des citoyens européens : la colonnevertébrale militaire de l’Europe est française, c’est la réalité.
Est-ce que l’Europe est prête àaccepter que la France remplace les États-Unis comme garant de sasécurité ?
Y a-t-il une alternative ? Quinous protégera ? Les Russes ?
Si les Européens financent l’effort militairefrançais, ils voudront pouvoir participer à la décision d’envoyer des troupes…
On ne peut imaginer que ce soit leconseil des ministres de la Défense à Bruxelles qui décide d’engager l’arméefrançaise, il faut être sérieux. Et ce n’est pas parce qu’on paye qu’on a sonmot à dire. Si les Allemands veulent décider, il faut qu’ils aient une armée encapacité de combattre.