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Октябрь
2016

«Il faut une centaine d’ingénieurs spécialisés pour asseoir les bases d’une industrie automobile»

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Liazid Abdelkrim est professeur et, jusque-là, directeur du Laboratoire de recherche en technologies de l’environnement (LTE) de l’Ecole nationale polytechnique d’Oran (ENPO). Ses activités de recherche portent sur les écoulements turbulents réactifs rencontrés dans les systèmes de propulsion.

Ses travaux scientifiques sont publiés dans plusieurs journaux et revues scientifiques. Il est à l’origine de l’acquisition récente par le laboratoire de recherche de l’ENPO d’un banc d’essai pour moteurs à combustion interne, une première en Algérie et un équipement d’une importance capitale pour la recherche fondamentale, mais aussi pour des aspects concrets dans un pays qui aspire à développer une industrie mécanique et automobile.  Il nous livre dans cet entretien les conditions d’acquisition de ce matériel haut de gamme, mais surtout un aperçu sur les usages qu’on peut en faire.
 

Vous venez d’acquérir un banc d’essai pour moteurs à combustion interne. A quels usages le destinez-vous ?

C’est un nouveau projet, le premier du genre en Algérie, je dirais même en Afrique, et qui consiste en un banc d’essai pour moteurs à combustion interne. Il a été réalisé pour répondre à des besoins multiples. Pour les besoins de la formation initiale, pour l’activité de recherche avec tous les questionnements qu’on se pose sur l’optimisation des réglages et de l’analyse des situations des moteurs qui roulent en Algérie.

Concernant l’aspect formation, nos futurs ingénieurs peuvent ainsi se mettre en contact et se familiariser avec ce type de matériel qu’ils ne connaissaient pas auparavant. Nous pourrons également assurer des prestations pour les entreprises qui travaillent dans le domaine des moteurs ou carrément pour les constructeurs présents en Algérie : Renault, Peugeot, Mercedes, etc. Pour ceux qui le souhaitent, on peut  même mener, à leur demande, des investigations expérimentales sur tel ou tel aspect.

n Algérie, vous trouverez forcément des ingénieurs motoristes et même des gens qui n’ont pas de diplômes, mais qui savent tripoter les moteurs, seulement ce dont nous parlons ici est d’un tout autre niveau. Nous avons besoin d’ingénieurs spécialisés et c’est nous qui allons les former, ce n’est même pas l’université. Nous pouvons le faire aussi pour le compte du monde industriel, pour Constantine par exemple, où on a besoin de ce genre de formation, car on travaille avec Dodge, Mercedes, etc.

Nous pouvons aussi le faire pour nos collègues des autres universités si, dans le futur, ceux-ci envisagent de prendre en charge des formations qui intègrent l’aspect moteur. Il faut des ingénieurs qui constituent la ressource technique pour les laboratoires de recherche dans différents établissements. Pour simplifier, ce genre d’ingénieurs est rare, pour ne pas dire inexistant, en Algérie. Or, il nous en faut au moins une centaine si on veut prétendre asseoir les bases d’une industrie mécanique ou automobile.

Vous avez évoqué la possibilité d’effectuer des contrôles, qu’en est-il exactement ?

Ah oui, et tout de suite. C’est le cas du moteur qui est là en ce moment (sur le banc d’essai) et qui équipe plusieurs modèles Renault qui roulent en Algérie, dont celui du Scenic. Nous savons déjà qu’il est à la norme Euro 3, alors qu’à l’étranger, on en est à l’Euro 6. En fait, nous pouvons aussi être utiles aux pouvoirs publics, car nous pouvons les aider à légiférer, à élaborer des cahiers des charges de façon à ce qu’à l’avenir, ce ne seront pas uniquement les aspects liés à la sécurité routière qui seront respectés, mais aussi les aspects environnementaux (la pollution) qui ne sont pas encore pris en compte de manière rigoureuse en Algérie. Pour cela, il faut en effet une base technique et scientifique bien établie et que nous venons désormais d’acquérir.

A ce sujet, comment les pouvoirs publics procèdent-ils actuellement ?

Les pouvoirs publics n’arrivent pas à décider de la hauteur de la barre qu’il ne faudrait pas franchir. Eux disent : «Nous acceptons les normes du constructeur.» Cela veut dire que si le moteur est allemand, c’est la norme allemande qui est vigueur. Si le moteur est japonais, c’est la norme japonaise qui est en vigueur, et ainsi de suite. Il n’y a qu’à voir comment on traite ce problème au niveau du contrôle technique pour constater que cela reste aléatoire et que de ce fait nous avons besoin de clarifier cet aspect des choses. Il y a une pollution de fond, mais localement il peut arriver que l’air que nous respirons soit 20 fois plus pollué.

C’est un problème de santé publique que nous devons résoudre. En effet, ayant discuté avec un responsable au ministère de l’Industrie, j’ai cru comprendre qu’un travail assez intéressant a été effectué dans le sens de poser les conditions nécessaires pour qu’un véhicule puisse circuler en Algérie. Un certain nombre d’éléments ont été pris en considération, tels que les régulateurs de vitesse, etc., mais sur le plan moteur, absolument rien.

Or, un véhicule c’est d’abord un moteur. Nous pouvons travailler ensemble pour concevoir quelque chose qui soit équitable, car il ne faut pas non plus exclure les constructeurs qui veulent travailler chez nous. Il s’agit d’être juste mais en même temps de dire que notre pays ce n’est pas non plus un bazar.

Vous avez également évoqué la possibilité de collaborer avec les militaires. Qu’en est-il au juste ?

Les militaires ont pris une avance sur nous, car eux, ils ont probablement commencé par le bon côté. C’est-à-dire la formation des ingénieurs, mais des ingénieurs motoristes. Nous, nous pouvons compléter leur formation en les faisant passer à une étape supérieure. Aucune autre université ne fait cela et c’est la raison pour laquelle ils ont été intéressés (des officiers sont venus assister à la présentation du projet organisée jeudi 13 octobre, ndlr). Nous leur avons dit que s’ils le désirent, nous pouvons coopérer avec eux, mais on peut aussi les accompagner.

Vous avez également indiqué qu’à long terme il est même possible d’envisager de toucher au moteur pour apporter des améliorations, ce que les Iraniens ont fait, selon vous ?

Les Iraniens ont travaillé avec Peugeot mais à un moment ils ont touché au moteur et effectué un certain nombre de modifications qui sont les leurs. C’est comme cela qu’ils ont commencé à acquérir la technologie. Nous, dans un premier temps, nous allons d’abord travailler sur les réglages. Nous allons d’abord connaître le moteur, l’analyser et ce n’est qu’après qu’on saura où et comment toucher. Le but c’est d’arriver à savoir que telle version du moteur roulant en Algérie a des spécificités qui ne sont pas forcément celles des autres versions européennes, américaines ou autres.

Vous êtes membre de la Bourse de sous-traitance de l’Ouest (BSTPO). Cela paraît étonnant. Quels ont été vos motivations au départ ?

Le laboratoire a adhéré à la BSTPO depuis une quinzaine d’années. Nous avions trouvé un organisme professionnel très ouvert et nous nous sommes dit : «Voilà un collectif d’industriels. Si nous n’interagissons pas avec eux sur des questions concrètes, alors tous les mémoires que nous faisons faire à nos étudiants resteront de la théorie fumeuse !» D’ailleurs, c’est de là que l’idée de l’acquisition de ce banc d’essai m’est venue. Ce sont eux qui m’ont mis la puce à l’oreille. Les choses ont évolué, mais à l’époque il n’y avait même pas de constructeurs automobiles en Algérie. Nous sommes en avance. Il suffit maintenant que l’école ouvre des masters spécialisés et ainsi, demain, Renault ne pourra pas dire : «Nous ne trouvons pas de personnel qualifié sur place.»

Un tel équipement doit coûter très cher.  D’où avez-vous obtenu les finances ?

Ce projet est financé par le ministère de l’Enseignement supérieur via la direction générale de la recherche scientifique, mais le prix que nous avons obtenu, suite à une véritable bataille, a été très bien négocié. Nous l’avons eu pour 100 millions de dinars, mais il faut savoir que la même installation ailleurs revient à l’équivalent de pas moins de 150 à 160 millions de dinars.

La firme AVL est l’une des rares à l’échelle mondiale à disposer de cette technologie et ses exigences sont draconiennes, car il faut, d’une part, faire très attention aux aspects liés à la sécurité lors des essais, et de l’autre, étant parmi les leaders mondiaux, il y a une image de marque à respecter.

Normalement, ils devaient nous livrer la cellule clé en main, mais nous avons négocié. Il faut dire qu’une cellule comme celle-ci ne se trouve pas dans n’importe quel labo, même en France. Avant d’en disposer, nous étions obligés de coopérer avec l’Ecole supérieure des mines de Nantes, grâce à un ami algérien qui a bien voulu nous aider, car il est bien assis là-bas. Plus tard, quand je lui ai dit : «Mohand, nous avons le bébé !» Il m’a répondu : «Maintenant je crois en l’avenir de l’Algérie !»