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Август
2016

La littérature n'est pas morte et Pierre Assouline le prouve

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Dans le Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature qui vient de paraître, Pierre Assouline dévoile à la fois sa subjectivité de lecteur et sa rigueur de critique littéraire honnête. Le ton de cette histoire littéraire informelle, souvent humoristique ou ironique, permet à son auteur de défendre de grands textes sans jamais ennuyer.

Ainsi, son Dictionnaire amoureux, pourtant largement consacré aux littératures actuelles, fonde-t-il sa cohérence sur l'éloge des humanités anciennes et sur le goût du classicisme. La langue de Racine y est célébrée et quand Arthur Rimbaud y est cité, c'est pour souligner la part significative de la culture latine dans le mystère de sa poésie.

Destiné à tous les amateurs de littérature, qu'ils soient lecteurs occasionnels, lycéens curieux ou étudiants scrupuleux, l'ouvrage a vocation à plaire et à instruire. Aux maîtres français actuels -Patrick Modiano, Pascal Quignard ou Pierre Michon- Pierre Assouline consacre des notices érudites mais accessibles. Et les lecteurs moins férus d'exégèses seront touchés par les anecdotes originales rapportées par un journaliste bien introduit dans le milieu littéraire.

Dans une belle évocation du passé, Pierre Assouline raconte comment l'écrivain François-Régis Bastide, longtemps animateur de radio avait soudainement, un jour, modifié l'indicatif de l'émission Le masque et la plume. Il prétendait ainsi envoyer un signal de connivence à Jean-Louis Bory, le brillant critique de cinéma, alors atteint d'une grave dépression. On sent poindre la nostalgie.

Et précisément, un peu partout dans le volume, on trouve trace de la passion littéraire de l'auteur pour Georges Simenon ou de son intérêt pour Louis-Ferdinand Céline. C'est d'ailleurs le propre de la collection des Dictionnaires amoureux que d'encourager ses auteurs à cultiver leur subjectivité. Et Pierre Assouline y prend un grand plaisir.

Peu de lecteurs renonceront pourtant à l'agrément de traquer les absents. C'est la règle et l'auteur a anticipé certains reproches. Dès l'avant-propos, il prévient ne pas avoir retenu dans son panthéon personnel des écrivains pourtant unanimement célébrés comme Claude Simon ou Nathalie Sarraute. Serait-ce le résultat d'une allergie au Nouveau Roman? Sans doute l'intolérance n'est-elle pas totale puisqu'une longue notice, certes nuancée, est réservée à Alain Robbe-Grillet.

Plus surprenant venant du biographe de Gaston Gallimard, l'absence d'entrée au nom d'André Gide. Si un assez long article est garanti à Jean Paulhan, longtemps rédacteur en chef de La Nouvelle Revue Française, l'auteur de La porte étroite est surtout rappelé pour ses erreurs d'éditeur. On peut le regretter car même si Les Faux-monnayeurs a été inscrit en 2016 au programme de la terminale L, l'œuvre de Gide, naguère intellectuel capital, est aujourd'hui sous-estimée.

Du reste, simplement à s'en tenir à la liste des prix Nobel à laquelle Pierre Assouline semble accorder une réelle valeur, d'autres noms auraient pu aussi s'imposer à lui: celui du romancier Orhan Pamuk, émouvant visage de la Turquie laïque ou encore celui de la nouvelliste américaine, Alice Munro, qui illustre avec brio et intelligence un genre littéraire mal-aimé.

Mais il lui revenait de faire des choix. La constance avec laquelle Pierre Assouline célèbre le travail des traducteurs est exemplaire. D'après lui, la traduction des ouvrages de Javier Cercas est susceptible de faciliter l'évolution du roman dans l'espace européen. Et l'hypothèse selon laquelle, grâce à des traductions modernes, Stefan Zweig serait davantage lu en français ou en espagnol qu'en allemand, ouvre de stimulantes perspectives.

À signaler également la satisfaction de trouver dans le Dictionnaire amoureux la liste pertinente des écrivains oubliés et à relire d'urgence, comme Georges Bernanos, Gaston Leroux, Pierre Mac Orlan, Jules Renard, André Suarès. C'est effectivement le rôle d'un critique professionnel que de corriger les injustices de la postérité.

Pierre Assouline s'interroge d'ailleurs sur l'évolution de la profession. Plusieurs entrées sont dévolues à ses plus éminents représentants : Albert Thibaudet ou François Nourissier. L'éloge de Bernard Frank, journaliste atypique, inoubliable plume du Monde ou du Nouvel Observateur, est un modèle de perspicacité. Son style particulier, composé de nonchalance et de finesse mais également d'ironie grinçante, est caractérisé avec une grande justesse.

La critique de presse est destinée à évoluer, notamment sous la pression des blogueurs, nombreux sur internet. En l'absence d'un impensable ordre des critiques, un respect minimum de la déontologie est désormais requis afin que la critique de presse ne se dilue pas dans la promotion commerciale. Le Dictionnaire amoureux de Pierre Assouline fait la démonstration de ce qu'un critique indépendant et informé peut apporter de lumières et de plaisir à son lectorat.




Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature, de Pierre Assouline, de l'académie Goncourt, Plon, 2016.


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