Burkini, réel, imaginaire, symbolique... et le juge
L'affaire du burkini donne lieu à des joutes intellectuelles sans fin. La vanité de ce débat tient au fait qu'il mêle trois registres parallèles qui ne se rejoignent pas: le réel, l'imaginaire et le symbolique, selon la distinction opérée par Jacques Lacan. Il l'a illustrée de manière très parlante en prenant l'exemple du rouge comme couleur. Que le rouge soit invisible pour l'aveugle et puisse être vert pour le daltonien est du registre du réel. Le rouge du cou du rouge-gorge est fait pour effrayer ses adversaires ou concurrents: c'est le registre de l'imaginaire. Enfin le rouge qui, dans un jeu de cartes peut être carreau ou cœur, s'inscrit dans un système symbolique.
Quel rapport avec le burkini? Eh bien, ce maillot entier couvrant tout le corps de la femme n'est qu'une pièce de tissu. Après tout, à quoi bon faire un tel procès pour un pan de tissu: au XXIe siècle les femmes peuvent bien s'habiller comme elles veulent. Si l'on reste dans le domaine du réel, tissu ou pas tissu, aucune réflexion ne peut avancer.
Pour ce qui concerne l'imaginaire, on peut se référer à une explication remarquable de Philippe d'Iribarne dans Le Monde du 18 août dernier: "Quand plusieurs groupes humains se rencontrent, ce que les anthropologues appellent 'l'échange des femmes' -chaque groupe humain pour échapper à la tentation de l'inceste, doit épouser les femmes d'un autre groupe et accepter qu'on s'allie avec celles de son propre groupe- constitue un élément fondamental d'une véritable alliance." Derrière la pièce de tissu se cache donc un imaginaire. "La tenue islamique proclame que celles qui la portent prennent part à ce refus, refus qui rend impossible une pleine intégration des musulmans dans une société non musulmane". Le burkini a le même effet que le cou du rouge-gorge dont la couleur est destinée à effrayer les populations concurrentes. On comprend donc que dépassant largement la question de l'ordre du réel l'enjeu du port de ce vêtement de bain renvoie à un imaginaire collectif.
Ceux qui ridiculisent les interdictions du burkini en le comparant à une tenue de plongeur, restent dans le registre du réel. Cela ne fait pas avancer la réflexion car on sent bien que ce n'est pas le problème. Prendre un arrêté pour empêcher le port de ce costume se réfère à un autre registre qui est celui de l'imaginaire pour préserver l'ordre public et éviter que les gens se tapent dessus.
Reste l'ordre symbolique. Il est clair qu'il s'agit d'une pièce de tissu -maillot de bain évoquant le voile, le niqab et pourquoi pas la burka- dont l'utilisation a pour effet automatique de cataloguer la personne selon un classement qui dépasse complètement le morceau de tissu lui-même ou la surface de peau des femmes qu'il recouvre.
Les calvaires qui ornent les carrefours de nos campagnes ne sont pas deux morceaux de bois cloués ensemble ou deux barres de pierre qui se croisent, l'une étant verticale, l'autre horizontale. Ces croix symbolisent une croyance. Il s'agit d'un emblème, d'un symbole autour duquel beaucoup se sont entre-tués et d'autres transcendés. Si, par ignorance ou par mauvaise foi, on refuse de distinguer les trois ordres concernés par le port d'un costume, même de bain, on peut en arriver à s'étriper sans même comprendre pourquoi.
Mieux vaudrait réfléchir pour éviter de s'agresser mutuellement. Il est évidemment facile de voir le port du burkini comme une provocation même lorsque l'intention n'était pas celle-là. Dans l'imaginaire collectif, on ne sait pas très bien distinguer quand une affirmation devient une provocation agressive volontaire. Il existe manifestement de la part d'un certain nombre d'extrêmistes wahhabistes une volonté de conquête affichée qui fait du vêtement une arme. Ce qui est le cas du niqab ou de la burka. Il existe aussi des contestations à la fois erronées ou disproportionnées.
Dès lors que l'on a bien séparé ces trois registres, la réflexion et la discussion peuvent raisonnablement commencer, plus simples et plus fructueuses. Il revient au juge, chargé de gérer, dans l'instant, l'ingérable, dans le souci de la paix civile, de conclure. C'est lui qui tricote ces trois registres du réel, de l'imaginaire et du symbolique qui inspirent le droit. Une fois sa décision rendue, les citoyens doivent l'accepter parce qu'il n'y a pas d'autre solution dans une société démocratique. Si l'on n'est pas d'accord avec la décision du juge, avec celle que vient de rendre le Conseil d'Etat, c'est au législateur de décider de changer le droit s'il pense que cette decision est politiquement opportune et que la responsabilité doit en être prise et portée.
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Quel rapport avec le burkini? Eh bien, ce maillot entier couvrant tout le corps de la femme n'est qu'une pièce de tissu. Après tout, à quoi bon faire un tel procès pour un pan de tissu: au XXIe siècle les femmes peuvent bien s'habiller comme elles veulent. Si l'on reste dans le domaine du réel, tissu ou pas tissu, aucune réflexion ne peut avancer.
Pour ce qui concerne l'imaginaire, on peut se référer à une explication remarquable de Philippe d'Iribarne dans Le Monde du 18 août dernier: "Quand plusieurs groupes humains se rencontrent, ce que les anthropologues appellent 'l'échange des femmes' -chaque groupe humain pour échapper à la tentation de l'inceste, doit épouser les femmes d'un autre groupe et accepter qu'on s'allie avec celles de son propre groupe- constitue un élément fondamental d'une véritable alliance." Derrière la pièce de tissu se cache donc un imaginaire. "La tenue islamique proclame que celles qui la portent prennent part à ce refus, refus qui rend impossible une pleine intégration des musulmans dans une société non musulmane". Le burkini a le même effet que le cou du rouge-gorge dont la couleur est destinée à effrayer les populations concurrentes. On comprend donc que dépassant largement la question de l'ordre du réel l'enjeu du port de ce vêtement de bain renvoie à un imaginaire collectif.
Ceux qui ridiculisent les interdictions du burkini en le comparant à une tenue de plongeur, restent dans le registre du réel. Cela ne fait pas avancer la réflexion car on sent bien que ce n'est pas le problème. Prendre un arrêté pour empêcher le port de ce costume se réfère à un autre registre qui est celui de l'imaginaire pour préserver l'ordre public et éviter que les gens se tapent dessus.
Reste l'ordre symbolique. Il est clair qu'il s'agit d'une pièce de tissu -maillot de bain évoquant le voile, le niqab et pourquoi pas la burka- dont l'utilisation a pour effet automatique de cataloguer la personne selon un classement qui dépasse complètement le morceau de tissu lui-même ou la surface de peau des femmes qu'il recouvre.
Les calvaires qui ornent les carrefours de nos campagnes ne sont pas deux morceaux de bois cloués ensemble ou deux barres de pierre qui se croisent, l'une étant verticale, l'autre horizontale. Ces croix symbolisent une croyance. Il s'agit d'un emblème, d'un symbole autour duquel beaucoup se sont entre-tués et d'autres transcendés. Si, par ignorance ou par mauvaise foi, on refuse de distinguer les trois ordres concernés par le port d'un costume, même de bain, on peut en arriver à s'étriper sans même comprendre pourquoi.
Mieux vaudrait réfléchir pour éviter de s'agresser mutuellement. Il est évidemment facile de voir le port du burkini comme une provocation même lorsque l'intention n'était pas celle-là. Dans l'imaginaire collectif, on ne sait pas très bien distinguer quand une affirmation devient une provocation agressive volontaire. Il existe manifestement de la part d'un certain nombre d'extrêmistes wahhabistes une volonté de conquête affichée qui fait du vêtement une arme. Ce qui est le cas du niqab ou de la burka. Il existe aussi des contestations à la fois erronées ou disproportionnées.
Dès lors que l'on a bien séparé ces trois registres, la réflexion et la discussion peuvent raisonnablement commencer, plus simples et plus fructueuses. Il revient au juge, chargé de gérer, dans l'instant, l'ingérable, dans le souci de la paix civile, de conclure. C'est lui qui tricote ces trois registres du réel, de l'imaginaire et du symbolique qui inspirent le droit. Une fois sa décision rendue, les citoyens doivent l'accepter parce qu'il n'y a pas d'autre solution dans une société démocratique. Si l'on n'est pas d'accord avec la décision du juge, avec celle que vient de rendre le Conseil d'Etat, c'est au législateur de décider de changer le droit s'il pense que cette decision est politiquement opportune et que la responsabilité doit en être prise et portée.
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