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Август
2016

Après la décision du Conseil d'État, si nous passions du bricolage au courage?

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Alors que la liste des municipalités côtières choisissant d'interdire le burkini sur les plages s'allongeait de jour en jour, la décision du Conseil d'Etat venant suspendre l'arrêté de la Commune de Villeneuve-Loubet interpelle. En effet, cette décision de la plus haute autorité administrative s'opposant à la position d'élus locaux, de toute tendance, enracinés et aux contacts des réalités humaines et démocratiques témoigne d'un décalage. Ce décalage c'est celui entre l'état du droit et la situation réel de notre pays, celui entre nos Lois et la légitime attente populaire. Les arrêtés municipaux dits "anti-burkini", en même temps qu'ils tentaient d'apporter une solution à des comportements jusqu'alors inédits, ont indiscutablement condamné les élus locaux à une certaine forme de bricolage.

Le Gouvernement absent

Dans ce débat, l'attitude du Chef Gouvernement -au demeurant fortement contesté dans son camps-, résumée dans une interview accordée au journal La Provence, paraît pour le moins ambiguë et peu à la hauteur des évènements.

D'un côté, Manuel Valls condamnait sans retour le burkini, par des mots forts: "c'est la traduction d'un projet politique de contre-société"; de l'autre il se défaussait. Pour lui, ce n'était pas à l'Etat de légiférer car c'est "aux musulmans, à leurs autorités, à leurs familles, dans leurs engagements personnel, professionnel ou social, de dire qu'ils rejettent cette vision mortifère de l'islam", de l'autre et il soutenait les Maires qui "ont pris ces arrêtés, s'ils sont motivés par la volonté d'encourager le vivre ensemble, sans arrière-pensée politique".

Étrange Gouvernement que celui qui attend des autorités communautaires musulmanes et des Municipalités qu'elles s'opposent à un projet de contre société que la République s'avère incapable de sanctionner elle-même. N'aura-t-on jamais vu plus bel exemple de la décadence d'un État que celui qui s'en remet à une sorte de police communautaire et aux pouvoirs locaux pour assurer jusqu'à sa propre défense même?

Mal armés, les élus locaux se sont donc trouvés en première ligne dans une affaire qui les dépasse à bien des titres. Une affaire dans laquelle ils sont invités à défendre par arrêté un modèle de société que la Loi s'avère incapable de défendre, tout en respectant évidemment ces mêmes lois... Invités à bricoler des textes afin de s'adapter à un cadre législatif profondément inadapté, au risque de quelques acrobaties, voilà l'équilibre pour le moins périlleux auquel ont été contraints les Maires qui voulaient d'agir; voilà l'équilibre condamné par le Conseil d'Etat.

Interdire oui, mais au nom de quoi?

Aborder, comme justification à l'interdiction du burkini, la question de l'hygiène ou de la sécurité des secouristes témoigne, avouons le, d'une démarche "capillo-tractée" pour le moins douteuse.
Se targuer du sacro-saint principe de Laïcité c'est oublier que le corolaire du principe de Laïcité c'est la liberté d'exercice du culte prévue à l'article 1er de la Loi de 1905. Or, cette liberté est justement celle qui permet aux hommes et aux femmes de vivre leur foi dans l'espace publique. Les propos du Maire socialiste de Sisco qui, voulant légitimement réagir après les graves incidents qu'a connu sa commune, témoignent de l'ambiguïté de la chose. En effet celui-ci a réuni son Conseil Municipal afin d'interdire sur le territoire communal "tout signe religieux distinctif dans l'espace public" afin d'éviter "tout aspect discriminatoire ou vexatoire d'une communauté".

Des propos, proches de ceux tenus par ailleurs par le Front national, qui n'ont pas manqué de faire réagir un certain nombre de personnalités, notamment ecclésiastiques, venus rappeler que les prêtres en soutane, les processions traditionnelles ou encore les religieuses dans la rue se trouveraient être les premières victimes de telles mesures.

Or, le principe de libre exercice du culte est un droit fondamental de tout être humain, un droit dont notre début de XXIe siècle vient nous rappeler l'extraordinaire actualité, et qui ne saurait être balayé d'un revers de main sans justification ni motivation par un simple arrêté municipal. La limite légalement posée à ce droit par les textes, depuis l'origine, c'est celle de l'ordre public évidemment.

L'argument de l'ordre public menacé, principalement dans cette période de tension communautaire extrême, d'état d'urgence et d'attentats, semble donc beaucoup plus valable.
Rappelons que c'est au nom de ce même ordre public qu'avait été interdit par la Loi du 11 octobre 2010 le port, dans l'espace public partagé, de la burqa et du niqab, mais pas du hijab: les deux premiers masquant le visage et donc étant jugé comme une entrave aux contrôles visuel de sécurité lorsque le premier laisse le visage apparent.
Mais la pente est glissante lorsqu'il s'agit de passer du port du burkini à l'ordre public menacé.

De plus, le lien entre terrorisme et port du burkini est peu évident, surtout au vu du profil des terroristes qu'à connu notre pays jusqu'à aujourd'hui. Quant à l'argument du risque de trouble à l'ordre public que constituerait les réactions de la population face au port d'un tel vêtement, outre qu'il aurait pour conséquence un terrible aveu d'impuissance publique, comment ne pas voir la redoutable inversion des valeurs dans lequel celui-ci nous entrainerait: le contrevenant devenu victime et la population agresseur?

L'argument de l'ordre public fragilisé, et finalement balayé par le Conseil d'Etat, restait un argument de poids que la jurisprudence aurait pu dégager: celui des bonnes mœurs... Cette notion de bonnes mœurs est fondée sur la conviction selon laquelle certains comportements sont conformes à la morale et acceptables, tandis que d'autres ne le sont pas, eu égard à l'ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans une culture donnée. Ce que les antiques traduisaient en leur temps par "Si fueris Romae, Romano vivito more; si fueris alibi, vivito sicut ibi" - si tu es à Rome vit comme les Romains, si tu es ailleurs, vit comme l'on vit ailleurs. Or, le burkini n'est incontestablement pas au nombre des us et coutumes françaises.

Face à la tentation communautaire

Mais cela pose alors d'autres questions: l'enjeu n'est ici plus tant religieux que culturel. Ce que révèle cette affaire, bien plus que n'importe quelle justification légale à posteriori, c'est une question de choix de société. Derrière le burkini, c'est la revendication d'une adhésion à un autre système de valeurs et de références qui se fait jour, c'est l'affirmation de l'appartenance à une autre communauté que la communauté nationale qui s'affiche. Derrière le burkini, ce n'est donc pas une croisade contre un bout de tissu à laquelle se livrent nos élus, mais l'opposition à une mutation de notre société vers un communautarisme assumé et revendiqué. A ce titre les propos du Premier Ministre invitant les "autorités musulmanes" à agir en lieu et place de l'Etat ressemblent à s'y méprendre à un appel à la structuration d'une justice communautaire, base de la fondation d'une communauté autonome du reste de la communauté nationale...

La meilleure preuve que cet enjeu est d'abord et avant tout culturel réside sans doute dans l'incompréhension de nos voisins anglo-saxons à percevoir la polémique française autour du burkini. Les Anglais notamment ne conçoivent pas la difficulté de voir une partie de la population adopter d'autres modes de vie, d'autres valeurs et par là même d'autres règles que celles portées par la culture majoritaire... Ils appellent ça une culture minoritaire, ce qui se conçoit aisément dans une société communautaire. Pas en France. Chez nous il n'y a pas de communauté majoritaire ou de communautés minoritaires, il y a une communauté nationale, et ce, quelque soit la religion à laquelle on adhère.

Cette tentation communautaire qui s'est développée en France ces dernières décennies, s'appuyant notamment sur une immigration incontrôlée en provenance des pays musulmans, a une raison d'être évidente: le renoncement à imposer notre mode de vie sur notre territoire, l'abandon de l'assimilation comme préalable essentiel, l'incapacité à faire évoluer nos règles juridiques en fonction des enjeux en présence.

Certes, les Lois ne sont pas et ne peuvent pas tout, notamment lorsque l'on parle de culture, de mœurs et de mode vie. Comme le disait Portalis "quoi que l'on fasse, les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l'usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie"; mais est-ce une raison pour que le Gouvernement prenne résolument le parti de la léthargie et s'en remettre à un jeu de ping-pong entre élus locaux et magistrats, entre attentes populaires du moment et textes de Loi nés d'un contexte passé et dépassé?

L'arrêt du Conseil d'Etat nous place à la croisée des chemins: soit Manuel Valls garde la position du contemplatif et ce sera une bataille de plus perdue dans la guerre contre le communautarisme, soit il choisit de Gouverner, c'est-à-dire de légiférer et donc de faire évoluer le droit en conséquence.

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