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Август
2016

"Hiver à Sokcho" d'Elisa Shua Dusapin, un coup de maître

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Hiver à Sokcho, c'est l'histoire d'un Français qu'on voit arriver dès les premières lignes. Puis qui à la fin s'en va. Sans vraiment avoir jamais été là. C'est un peu plus élaboré que ça: mais c'est écrit avec une divine simplicité. A travers des phrases qui sillonnent les pages, sans courir vers leur fin, en se tenant bien droites, ne se pliant jamais en quatre pour plaire au lecteur.

L'efficacité de la technique narrative d'Elisa Shua Dusapin (ESD) est juste éblouissante, le recours à la mise en abyme maîtrisé, son vocabulaire est précis, l'ambiance celle d'un huis clos. Peut-être est-ce un effet induit de cette écriture du murmure, du silence, intimiste et tout en retenue? La parole de la narratrice se fait de plus en plus rare au fur et à mesure que Hiver à Sokcho tend vers son terme: le roman absorbe sa propre histoire. C'est que les mots n'ont pas été tissés, ils ont été déposés, délicatement, pour raconter.

Le recours à la mise en abyme permet à la fin un commentaire de la narratrice sur l'oeuvre de Yan Kerrand, son héros, en même temps que sur le travail de l'auteur (franco-coréenne) dont la propre histoire se dilue et fond progressivement, pour se clore sur "des traces de pas dans la neige".

Hiver à Sokcho ne doit pas pour autant être lu rapidement, d'une traite. Non, ce n'est pas un de ces romans que l'on boit au goulot. Kerrand, "le Français", a quelque chose de l'étranger camusien, l'écriture est d'inspiration durassienne, dit l'incommunicabilité, à travers l'élégance et le dépouillement. Les mots d'ESD doivent être pris par petites gorgées, il faut les laisser tapisser votre esprit, les ressentir dans tous les sens, ne pas se presser d'avaler un livre dans l'écriture duquel on a mis tant de grâce orfèvre.

Elisa Shua Dusapin met en scène deux triangles "amoureux" plus un troisième plus implicite. La narratrice est la fiancée d'un mannequin, Jun-Oh, mais est troublée, amoureuse si l'on ose le mot, par un client de passage dans un hôtel, en mission... Ensuite il y a entre sa mère et son patron, le vieux Park, des rapports fonctionnels. ESD est la première traductrice de son propre roman. Même quand on les entend penser en anglais ou s'exprimer en coréen, c'est en Français qu'on lit ses personnages. On les entend d'ailleurs plus qu'on ne les lit, tant les dialogues sont rendus inutiles, mais bien savoureux quand il vous en tombe dessus.

-- Il fait si sombre, a-t-il grimacé en se relevant.
-- C'est l'hiver...
-- Oui.
-- On s'habitue.
-- Vraiment?
Il s'est essuyé, le visage rougi par le froid.
-- Oui, ai-je menti.


C'est enfin un roman limite au plus près du corps, à la frontière, subtilement érotisé, les occurrences anatomiques y sont légion on frotte, emmitoufle, caresse, blesse, soigne, répare ce corps... Et ces doigts, ce visage, son ventre, ses seins, les genoux, les sourcils, le nez, les hanches, ce texte est traversé d'une belle énergie physique, tout en pudeur, qui fait effet de miroir avec l'obsession de l'éternel fiancé, Jun-Oh, pour sa plastique.

Jun-Oh dormait encore, son dos contre mon
ventre. Du bout du doigt, je traçais la ligne de
ses épaules.


La narratrice se dissémine dans son intrigue mince et ses différents personnages pour nous offrir au final une oeuvre de toute beauté, née avec du sang bleu, couronnée, entendu que Hiver à Sokcho a reçu cet été, avant sa publication, le prestigieux prix Robert Walser. C'est tout chaud, alors chaude recommandation: ESD fait partie des auteurs qu'il vaut mieux connaître dès leur premier livre. Il est plus qu'évident qu'après avoir créé un tel univers, de nouveaux personnages viendront bientôt l'habiter issus de ses prochains romans.



Hiver à Sokcho
Editions Zoé
Parution août 2016
ISBN 978-2-88927-341-6
nb de pages 144
format du livre 140 x 210 mm

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