Soyez, Monsieur Zarif, le bienvenu en France!
Cette tribune est une réponse à la tribune de François Colcombet publiée le 20 juin sur le site du Huffington Post: "Le ministre iranien Javad Zarif n'est pas le bienvenu en France".
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a été reçu par François Hollande hier. La France a besoin de l'Iran pour faire face à des défis stratégiques, sécuritaires, diplomatiques et économiques. À l'heure où Téhéran s'ouvre de nouveau au monde, certains commentateurs, dont la connaissance hors-sol de l'Iran se limite aux biais idéologiques d'une partie de la diaspora anti-régime, continuent de ternir l'image d'un système qui échappe à leur entendement.
La peine de mort, un sujet en débat
Il est vrai que la peine de mort est une condamnation humainement barbare, socialement inutile et moralement inacceptable. L'Iran condamne à mort. C'est une réalité indéniable, tout comme il est indéniable de dire qu'il y a un réel débat sur la peine de mort en Iran. Celui-ci n'est d'ailleurs pas confisqué politiquement puisque des journalistes, des activistes, des membres du clergé mais également des personnalités du monde de la culture -le réalisateur Asghar Farhadi, très souvent récompensé en Occident, a dénoncé la peine de mort en 2004, dans son film Les Enfants de Belle Ville- n'hésitent pas à prendre position publiquement.
En Iran, 80% des exécutions concernent des trafiquants de drogue. Ce problème constitue un défi de premier plan pour l'Iran puisque les saisies iraniennes d'opium représentent 85% des saisies mondiales. Toutefois, les autorités sont conscientes que la capacité dissuasive d'une telle peine est limitée. C'est pourquoi, dès son premier mandat, le gouvernement Rouhani, avec le soutien de l'autorité judiciaire, du Conseil iranien des droits de l'homme et de députés, a proposé une réforme visant à supprimer la peine de mort pour les trafiquants, une mesure que le parlement pourrait bientôt entériner.
Conditionner le renforcement ou la poursuite de nos relations avec l'Iran à l'unique question des droits de l'homme est un non-sens diplomatique. Cet étendard nous obligerait à réévaluer nos relations avec d'autres pays. Pourquoi l'Iran et pas l'Arabie Saoudite, Bahreïn, le Qatar, les Émirats arabes unis? Quid des États-Unis qui condamnent et exécutent, et où les dérives policières trop nombreuses n'appellent que très peu de commentaires des thuriféraires des droits de l'homme?
L'Iran change et mérite nos encouragements!
Depuis l'élection de Rouhani et, a fortiori, l'accord sur le programme nucléaire, l'Iran change, mais cela ne peut se faire en un jour. La résolution des nombreuses crises qui touchent la Syrie, l'Irak, le Yémen ou encore l'Afghanistan passe nécessairement par Téhéran. Rappelons que l'Iran a été l'allié de la coalition menée par l'OTAN qui visait à renverser les talibans en 2001, et même plus encore dans le processus de réconciliation nationale. Alors oui, l'Iran a des intérêts régionaux et il se bat pour les préserver, n'est-ce pas le propre de toute grande nation? Téhéran a trop longtemps été écarté des négociations sur la crise syrienne et a été complètement marginalisé sur le dossier yéménite face à notre grand allié saoudien dont on retrouve trop souvent la trace des pétrodollars à Raqqa.
L'accord nucléaire est une réelle victoire de la diplomatie multilatérale, satisfaisant pour l'Iran comme pour la communauté internationale. En janvier 2016, l'AIEA (Agence Internationale de l'Énergie Atomique) a publié son rapport sur les activités nucléaires iraniennes spécifiant que l'Iran respecte sa part de l'accord.
Des tentatives de saboter les efforts des cadres modérés de la République islamique émergent régulièrement de différents horizons: à l'extérieur comme à l'intérieur de l'Iran. Il est donc curieux que certains en Occident s'offusquent et portent du crédit aux déclarations de Javad Mansouri, proche d'Ahmadinejad, quand celui-ci tacle Abbas Araghchi sur son appartenance à la force Qods des Gardiens de la Révolution. Cette annonce a d'ailleurs été démentie par de nombreuses sources officielles. Une telle accusation venant des milieux ultraconservateurs est clairement destinée à jeter le discrédit sur le gouvernement Rouhani afin de compromettre la voie diplomatique et de mieux préparer le retour des ultras.
La force Qods est présente sur la scène régionale depuis longtemps et a même été médiatisée en Occident par sa figure de proue, le général Soleimani. Ce stratège très écouté à Bagdad est l'artisan de la reconquête de Tikrit en mars 2015, jusque-là aux mains de Daech. Cela ne semble avoir dérangé personne en Occident d'autant que, sur d'autres fronts, Qods se coordonne avec les forces gouvernementales, les peshmergas, le Hezbollah et d'autres dans la lutte anti-Daech. Il est même légitime de penser que la coalition internationale entretient des canaux de communication avec Qods pour mieux contrer Daech sur des théâtres où les Occidentaux rechignent à envoyer des troupes.
Un avenir entre espoir et prudence (1)
Le nouveau parlement entré en fonction en mai dernier est le plus équilibré que la République islamique n'ait jamais connu. Il n'est en aucun cas dominé par les conservateurs comme certains observateurs peu attentifs ont pu le dire. Trois factions se partagent les 290 sièges: 119 députés soutiennent Rouhani, 65 sont indépendants et 83 ultraconservateurs. Cette nouvelle donne politique, faisant la part belle à une coalition de réformateurs et de conservateurs modérés secondée par des indépendants enclins à soutenir Rouhani, est donc plus que jamais favorable à l'agenda pragmatique du gouvernement (2).
Si Rouhani n'a pas pu porter les réformes économiques et sociales qu'il avait espérées, il faut reconnaître que la conjoncture -entre effondrement des cours du pétrole et absence de majorité législative- ne l'a pas aidé. La levée des sanctions n'est toujours pas une réalité: le frein aux investissements étrangers vient plus de Washington et que de Téhéran.
Les Iraniens sont méfiants et cherchent à rétablir la confiance. En 2009, Barack Obama avait déjà tenté de tendre la main à l'Iran. Aujourd'hui, l'Iran se normalise et c'est une bonne chose pour la France et le monde. Il est donc malheureux qu'en 2016, certains se laissent bercer par les fables d'organisations extrémistes, et même terroristes comme les Moudjahidines du Peuple, qui ont depuis trop longtemps l'oreille des politiques et observateurs français.
(1) "Tadbir va omid", mot-à-mot, "espoir et prudence", slogan de Rouhani
(2) Pour une analyse détaillée, lire la note de Lettres Persanes intitulée "Élections de 2016 en Iran: déplacement vers le centre"
Également sur Le HuffPost:
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a été reçu par François Hollande hier. La France a besoin de l'Iran pour faire face à des défis stratégiques, sécuritaires, diplomatiques et économiques. À l'heure où Téhéran s'ouvre de nouveau au monde, certains commentateurs, dont la connaissance hors-sol de l'Iran se limite aux biais idéologiques d'une partie de la diaspora anti-régime, continuent de ternir l'image d'un système qui échappe à leur entendement.
La peine de mort, un sujet en débat
Il est vrai que la peine de mort est une condamnation humainement barbare, socialement inutile et moralement inacceptable. L'Iran condamne à mort. C'est une réalité indéniable, tout comme il est indéniable de dire qu'il y a un réel débat sur la peine de mort en Iran. Celui-ci n'est d'ailleurs pas confisqué politiquement puisque des journalistes, des activistes, des membres du clergé mais également des personnalités du monde de la culture -le réalisateur Asghar Farhadi, très souvent récompensé en Occident, a dénoncé la peine de mort en 2004, dans son film Les Enfants de Belle Ville- n'hésitent pas à prendre position publiquement.
En Iran, 80% des exécutions concernent des trafiquants de drogue. Ce problème constitue un défi de premier plan pour l'Iran puisque les saisies iraniennes d'opium représentent 85% des saisies mondiales. Toutefois, les autorités sont conscientes que la capacité dissuasive d'une telle peine est limitée. C'est pourquoi, dès son premier mandat, le gouvernement Rouhani, avec le soutien de l'autorité judiciaire, du Conseil iranien des droits de l'homme et de députés, a proposé une réforme visant à supprimer la peine de mort pour les trafiquants, une mesure que le parlement pourrait bientôt entériner.
Conditionner le renforcement ou la poursuite de nos relations avec l'Iran à l'unique question des droits de l'homme est un non-sens diplomatique. Cet étendard nous obligerait à réévaluer nos relations avec d'autres pays. Pourquoi l'Iran et pas l'Arabie Saoudite, Bahreïn, le Qatar, les Émirats arabes unis? Quid des États-Unis qui condamnent et exécutent, et où les dérives policières trop nombreuses n'appellent que très peu de commentaires des thuriféraires des droits de l'homme?
L'Iran change et mérite nos encouragements!
Depuis l'élection de Rouhani et, a fortiori, l'accord sur le programme nucléaire, l'Iran change, mais cela ne peut se faire en un jour. La résolution des nombreuses crises qui touchent la Syrie, l'Irak, le Yémen ou encore l'Afghanistan passe nécessairement par Téhéran. Rappelons que l'Iran a été l'allié de la coalition menée par l'OTAN qui visait à renverser les talibans en 2001, et même plus encore dans le processus de réconciliation nationale. Alors oui, l'Iran a des intérêts régionaux et il se bat pour les préserver, n'est-ce pas le propre de toute grande nation? Téhéran a trop longtemps été écarté des négociations sur la crise syrienne et a été complètement marginalisé sur le dossier yéménite face à notre grand allié saoudien dont on retrouve trop souvent la trace des pétrodollars à Raqqa.
L'accord nucléaire est une réelle victoire de la diplomatie multilatérale, satisfaisant pour l'Iran comme pour la communauté internationale. En janvier 2016, l'AIEA (Agence Internationale de l'Énergie Atomique) a publié son rapport sur les activités nucléaires iraniennes spécifiant que l'Iran respecte sa part de l'accord.
Des tentatives de saboter les efforts des cadres modérés de la République islamique émergent régulièrement de différents horizons: à l'extérieur comme à l'intérieur de l'Iran. Il est donc curieux que certains en Occident s'offusquent et portent du crédit aux déclarations de Javad Mansouri, proche d'Ahmadinejad, quand celui-ci tacle Abbas Araghchi sur son appartenance à la force Qods des Gardiens de la Révolution. Cette annonce a d'ailleurs été démentie par de nombreuses sources officielles. Une telle accusation venant des milieux ultraconservateurs est clairement destinée à jeter le discrédit sur le gouvernement Rouhani afin de compromettre la voie diplomatique et de mieux préparer le retour des ultras.
La force Qods est présente sur la scène régionale depuis longtemps et a même été médiatisée en Occident par sa figure de proue, le général Soleimani. Ce stratège très écouté à Bagdad est l'artisan de la reconquête de Tikrit en mars 2015, jusque-là aux mains de Daech. Cela ne semble avoir dérangé personne en Occident d'autant que, sur d'autres fronts, Qods se coordonne avec les forces gouvernementales, les peshmergas, le Hezbollah et d'autres dans la lutte anti-Daech. Il est même légitime de penser que la coalition internationale entretient des canaux de communication avec Qods pour mieux contrer Daech sur des théâtres où les Occidentaux rechignent à envoyer des troupes.
Un avenir entre espoir et prudence (1)
Le nouveau parlement entré en fonction en mai dernier est le plus équilibré que la République islamique n'ait jamais connu. Il n'est en aucun cas dominé par les conservateurs comme certains observateurs peu attentifs ont pu le dire. Trois factions se partagent les 290 sièges: 119 députés soutiennent Rouhani, 65 sont indépendants et 83 ultraconservateurs. Cette nouvelle donne politique, faisant la part belle à une coalition de réformateurs et de conservateurs modérés secondée par des indépendants enclins à soutenir Rouhani, est donc plus que jamais favorable à l'agenda pragmatique du gouvernement (2).
Si Rouhani n'a pas pu porter les réformes économiques et sociales qu'il avait espérées, il faut reconnaître que la conjoncture -entre effondrement des cours du pétrole et absence de majorité législative- ne l'a pas aidé. La levée des sanctions n'est toujours pas une réalité: le frein aux investissements étrangers vient plus de Washington et que de Téhéran.
Les Iraniens sont méfiants et cherchent à rétablir la confiance. En 2009, Barack Obama avait déjà tenté de tendre la main à l'Iran. Aujourd'hui, l'Iran se normalise et c'est une bonne chose pour la France et le monde. Il est donc malheureux qu'en 2016, certains se laissent bercer par les fables d'organisations extrémistes, et même terroristes comme les Moudjahidines du Peuple, qui ont depuis trop longtemps l'oreille des politiques et observateurs français.
(1) "Tadbir va omid", mot-à-mot, "espoir et prudence", slogan de Rouhani
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