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Июнь
2016

Contes et légendes autour de la gastronomie algérienne

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Fruit d’une conjonction entre trois traditions : la tradition locale berbère et africaine, la tradition culinaire du Moyen-Orient ayant transité l’Andalousie et l’apport ottoman,  l’histoire de la gastronomie algérienne peut aussi nous mener jusqu’à  la Rome antique et à la période abbassid.
Et Dieu créa le couscous…

C’est un mythe qui renaît entre les mains des femmes. Les histoires qui se racontent de génération en génération et le rituel qui l’accompagne alimentent sa légende. Il peut être fastueux - couscous de fête à la viande de mouton et aux légumes,  frugal - couscous aux fèves sèches idéal pour redonner de la robustesse à  la femme qui vient d’accoucher-, présomptueux - couscous aux fruits secs, appelé aussi «seffa», fier d’arborer ses amandes et ses raisins, printanier -couscous à la lavande pour marquer un renouveau.

Le couscous peut se parfumer de mille parfums, sa sacralité reste intacte. Nourriture entre les nourritures, il s’adapte aux traditions agraires de tout le Maghreb et s’associe à ses fêtes comme à ses malheurs. Certains racontent qu’il tient son nom du  bruit, Kousss-Kousss, que ferait le pilon en broyant le blé. Les plus chauvins affirmeront que le plus ancien couscoussier a été découvert près de Tlemcen mais tout le monde convient que c’est là une nourriture céleste, symbole de la «baraka »,  qui remonte à l’aube de l’histoire.

«Le couscous est présent en Afrique du Nord depuis la plus haute Antiquité, puisque sa présence est attestée avant l’arrivée des Phéniciens. Certes, il pouvait avoir un caractère plus grossier que ses formes actuelles, mais il était l’aliment de base, dont les Berbères ne se lassaient jamais, même s’ils en mangeaient tous les jours, selon un témoin en Andalousie», explique Rachid Sidi Boumediene dans son ouvrage Cuisines traditionnelles en Algérie, un art de vivre (Ed. Chihab). Il est établi qu’il a pénétré l’Andalousie dès le XIIIe siècle, jusqu’en Sicile, et ne cesse de conquérir le monde.

Le couscous marque la séparation culinaire entre le Maghreb et le Machreq, ligne invisible délimitant les amateurs de blé et les consommateurs de riz.

"Il porte en lui l’empreinte des quatre éléments nécessaires à la transmutation alchimique” : le feu (qui concourt à sa cuisson, lui donne sa chaleur), la terre (qui à porté le grain et lui donne son odeur, sa couleur, et son goût), l’eau (nécessaire complémentarité pour le révéler et lui faire atteindre sa pleine maturité). L’air (représenté par la vapeur qui se dilue dans l’atmosphère) », peut-on lire dans un très beau texte consacré à ce mets publié sur le site Babezzman.

Pas un évènement rassemblant la famille et les amis ne se fait sans couscous. L’anthropologue Abderrahmane Moussaoui précise, à ce propos, que le couscous qui est servi le quarantième jour qui suit un décès, comprend de nouveau des légumes, ce qui soulignerait que cette date est bien celle de la reprise de la vie ; elle marque la possibilité pour la veuve de sortir du domicile conjugal et la reprise normale du cours de la vie. On peut dénombrer dans une même ville ou une même région, une dizaine de couscous différents selon la céréale utilisée, avec toujours les mêmes gestes immuables de mains agiles et patientes.

Garantita : chaud devant !  

Avachie dans un plat en fer, la  "garantita" a triste allure dans cette échoppe du quartier Belouizdad à Alger. Elle paraît même ridicule avec ses bouts durcis et la conserve de harissa qui l’accompagne. Voilà quelques années qu’elle a été reléguée au second plan devant des hamburgers bombant le torse et des pizzas somptueuses de fromage coulant. Pourtant, dans cet immeuble qui tombe en ruines, il y a bien l’une des meilleures garantita de la capitale.

Elle se fait rare à Alger, se recroquevillant devant la montée de la mondialisation et du capitalisme fanfaronnant.  Il s’agit néanmoins, à en croire la légende, un pur produit de métissage de cultures. La « Carentica », dont les oranais ont préservé le nom chantonnant, est née, selon une  hypothèse répandue, dans le fort de Santa Cruz lorsque des militaires espagnols qui y étaient retenus à cause du siège mené par le bey Bouchlaghem au XVIIIe siècle dans la capitale de l’Ouest n’ont trouvé mieux pour se nourrir que de mixer quelques pois chiches stockés avec un peu d’huile et de l’eau. Son nom proviendrait  de l’espagnol «Calienté», autrement dit un plat qui se mange chaud.

Cette supposition est plausible tant il est connu que la guerre et ses privations a toujours donné de nouvelles inspirations aux cuisiniers. C’est d’ailleurs lors des années difficiles, la Seconde Guerre mondiale qu’elle fit son grand retour dans l’Ouest algérien, constituant le repas quotidien de beaucoup de familles. Mais la légende est écornée par le fait qu’il existe une histoire similaire de l’autre côté de la Méditerranée, à Gibraltar. Les habitants de l’île britannique, à l’extrémité sud de la péninsule Ibérique prétendent que c’est pendant le «Grand Siège» qui dura pas moins de trois ans, de 1779 à 1881, que naquit ce qu’ils appellent la calentita, devenue aujourd’hui leur plat national. Cette fois-ci, c’étaient les Espagnols, aidés des Français, qui tentaient de reprendre la main sur la forteresse stratégique, ravie par les Anglais en 1704.

Il est à signaler que le plat a aussi quelques parents éloignés dans tout le pourtour méditerranéen : de la farinata génoise à la panisse marseillaise, en passant par la socca niçoise. Mais peu importe, en fait, la vérité historique. L'ancienneté de l'usage du pois chiche et la connaissance de la technique des bouillies cuites sur des galets a existé depuis très longtemps avant l’apparition de la garantita. Jusqu’à aujourd’hui, ce gratin du pauvre, l’un des premiers plats proposés par les vendeurs à la sauvette, avant l’apparition des fast-foods, est resté confiné dans les quartiers populaires. Elle restera «ce petit quelque chose de chaud» au cœur tendre et moelleux, qui calmera les petites faims pour une poignée de dinars.

Tadjines : Un poème dans un plat en pierre

Le tadjine se décline en Algérie en plusieurs vers : «Le juge et ses clercs», «L’ivre dans les escaliers», «Le portefeuille de l’agha», «les doigts de la mariée», «La beauté de la table», «Le bébé – ou le défunt-  dans le giron de sa mère», «La giroflée sur la balustrade» … Ces plats, selon la recette originelle, sont faits à base de sauce douce à la cannelle. Parfois, la couleur blanchâtre de la sauce est accentuée par l’apport d’un mélange œuf-citron (nommé âkda) qui viendra réveiller les arômes. Il existe, en Algérie, une foultitude de plats en sauce qui se mijotent longuement sur le feu.

«Face à cette cuisine due à l’héritage ottoman et présente dans quelques villes, il y a une autre cuisine, celle des tadjines. Dans l’Algérois, on dit chtitha «petite danse» pour désigner les plats des sauces à l’ail et au cumin et on appelle «Tbikha» (petite cuisine), les plats de légumes de saison», explique Rachid Sidi Boumediene dans son ouvrage Cuisines traditionnelles en Algérie, un art de vivre (Ed. Chihab).  Il y a essentiellement trois types de plats en sauce. D’abord les tadjines à base de sauces blanches, comme la dolma,  kebab, sfirya, tadjine el khokh…

Puis les sauces à l’ail cumin carvi et tomates, dont la bakbouka, le bouzelouf, la chamoula et la chtitha sont les dignes représentants. Rachid Sidi Boumediene précise que le mélange ail cumin vinaigre de plats comme la «kebda m’chermla» ou le  mderbel est un vieil héritage, dont la recette est connue depuis au moins 2000 ans chez les Romains. «Ce genre de recettes vinaigrées, souligne-t-il, appliquées à certains légumes (carottes, courgettes) représente, étant donné qu’il est maintenant restreint à quelques plats en Algérie, le vestige d’une tradition forte datant de l’ère omeyyade et même plus loin, basée sur tout ce qui est acide à la fois pour conserver la nourriture (dans la tradition du mreqqed, ou légumes confits dans le vinaigre ou l’eau salée) pour ses bienfaits en matière de santé».

Et d’ajouter : «La combinaison vinaigre/cumin caractéristique de la charmoula existait déjà chez les Romains, contemporains de Jésus-Christ, mais aussi chez les Perses, qui l’ont sans doute communiquée aux pays de la Méditerranée occidentale, sous le nom de «Sikabadj» (devenu escabèche) ». Il y a, enfin, les tajines sucrés, «lham lahlou» dans l’Algérois, «chbah essafra» dans le Constantinois et «Marqa bel assel» dans l’Oranais. Des plats typique du mois de Ramadhan, mais aussi des cérémonies de mariages, car ils seraient  un «fal» (bon augure) de douceur, pour les mariés et leurs familles. La liste des plats mijotés est tellement longue que le terme générique «tadjine» ne suffit pas à classifier. Il a fallu inventer les mots chtitha, djouaz, mderbel, tbikha pour les classifier.

Rachid Sidi Boumediene estime que ces tadjines sont aussi le symbole de la richesse et le raffinement de la gastronomie algérienne, mêlant des traditions ottomanes et andalouses. Incontournables plats dans le menu de fête, aux cotés de la chorba (autre plat d’origine turque) ou de la harira (qui serait andalouse), ils seraient le symbole d’une certaine hiérarchie dans la cuisine algérienne  et même une source de «légitimité citadine». «Ces présentations  sont aussi des représentations, dit Rachid Sidi Boumediene, nécessairement codées dans un rituel qui confirme ce savoir-être, dans chacune des circonstances de la présentation. On ne peut servir n’importe quel plat à n’importe qui, et n’importe quelle circonstance, ce qui nous permet d’introduire l’idée d’une hiérarchie, éventuellement mouvante ou soumise à variation, des menus et des plats qui les composent. La cuisine en tant que manière de se nourrir et de vivre, présente dans la ville, et c’est flagrant dans le cas d’Alger ce double visage de culture populaire et de culture bourgeoise».

Depuis quand prépare-t-on des tadjines en Algérie ? Le plat en pierre existe en tout cas depuis des lustres, bien avant l’arrivée des Ottomans. Le sociologue souligne, à ce propos, que  le terme «aqassoul» correspond, en berbère à ce pot dans lequel on fait cuire les tadjines, comme dans «Aftir oukassoul». «Cette dénomination, explique-t-il, partie dans les bagages des Berbères vers l’Andalousie et le sud de la France a donné le nom à la potée de haricots et que l’on connaît encore sous le nom de
«cassoulet». Le mot «cassoulet (qassouilat), au sens de tadjine, a donc traversé l’histoire du moins de mon point de vue».

Loubia story

Peut-il y avoir meilleur réconfort qu’un bon plat de loubia (haricots), relevée à l’ail et au cumin, après une journée de labeur ? Repaire des travailleurs, des dockers, des étudiants, des migrants, des hommes de passage, des sans-le-sou, des jeunes bohèmes, des ouvriers, des chômeurs et des vieux amateurs de chaâbi, la rue  Ahmed Chaib (ex-rue Tanger) offre à ses clients et ses visiteurs d’un soir un repas chaud et réparateur. Feu Ali El-Moro,  dit "le roi de la loubia"  a fait la légende de cette ruelle sombre et chaotique.

Au menu des restaurants populaires figurent ainsi une loubia dont le secret est resté intact, les «sardines bel darsa», la «chakhchoukha » et la fameuse «doubara» de Biskra. Ici, point de chichi ni manières. Ce serait même dans ces gargotes qu’est né le terme «El Hargma», désignant le fait de manger avec gloutonnerie. «La loubia, dit Rachid Sidi Bouemediene, est, avec la «sardine bedarsa», un des plats emblématiques d’Alger.

On dit de quelqu’un qui mange goulûment, «yhargam», c'est-à-dire qu’il bâfre, en fait «hargma» désigne un plat de haricots aux pieds de mouton qu’on mange vite dans les gargotes». Pour le sociologue, spécialiste de la ville et de l’urbanisme et auteur d’un ouvrage sur les cuisines traditionnelles, il y aurait une hiérarchie dans la cuisine algérienne, entre la cuisine raffinée des familles citadines- et pour caricaturer la dolma et la chorba bita- et ce qu’il appelle «la cuisine du dehors», emblématique des couches populaires.

Il précise : «La culture populaire s’affiche dans l’adoption de la musique chaâbie, de la sardine bedarsa et des haricots. Elle est, d’une manière générale celle des migrants provenant des autres villes, des autres ports et de la paysannerie, et qui est aussi celle des travailleurs de force. Il est curieux de voir, dans les gargotes dans toute l’Algérie la cuisine pour « hommes » au travail : tout se passe comme si cuisine du pauvre et cuisine du travailleur de force se rejoignaient dans le menu qui les extrait des hiérarchies de la cuisine domestique ».


Retrouvez jeudi prochain la seconde partie de notre promenade culinaire qui sera consacrée aux douceurs algériennes