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Июнь
2016

Au secours, l'Etat revient... ou comment être libéral sans croire au marché ?

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Au secours, l'Etat revient... ou comment être libéral sans croire au marché ? Au sujet de la publication de Gaspard Koenig: "Casser la rente bancaire: pour un système bancaire plus sûr, plus concurrentiel et plus européen".

La critique du secteur bancaire est sans doute l'exercice le plus facile et le plus rémunérateur qui soit. La complexité de cette industrie, riche d'une longue histoire et aujourd'hui en pleine révolution, défiée par des bouleversements réglementaires inédits et l'irruption du digital, semble autoriser l'expression de toutes les contrevérités, sans risque de trouver beaucoup de contradicteurs. Dommage pour les plus brillants esprits, qui, cédant à l'attrait d'un retour sur investissement rapide et à la recherche d'un taux d'actualisation à faire rougir un trader, en perdent leur latin libéral et égarent leur thèse mal arrimée dans les pernicieux méandres de la pensée unique.

Aussi la publication sur les banques de Gaspard Koenig est-elle plus proche du pamphlet que de l'étude, plus révélatrice d'un désordre intellectuel que d'une liberté de penser. Dans ce "rapport", dont les experts souhaitent rester anonymes, dont les sources sont rarement citées et les références chiffrées cruellement absentes, Gaspard Koenig, chantre de la "pensée libérale", appelle de ses vœux "un système bancaire plus sûr, plus concurrentiel et plus européen". Il propose, pour atteindre ce louable objectif, de "casser la rente bancaire". Beau programme. Malheureusement, celui-ci repose, d'une part, sur de graves erreurs factuelles, d'autre part, sur des oublis préjudiciables au raisonnement.

Les erreurs d'abord. Elles sont nombreuses, faciles à rectifier à partir des publications des superviseurs du secteur, ACPR (1), Banque de France (2) ou BCE (3). Ainsi, première contrevérité, la publication prétend que les grandes banques françaises ont retrouvé, en 2015, le niveau de profit qu'elles affichaient avant la crise financière. C'est faux: le rapport de l'ACPR, "La situation des grands groupes bancaires à fin 2015", montre que le ROE (4) des six grands groupes bancaires français est de 6,7%, inférieur aux niveaux d'avant-crise, aux objectifs des plans stratégiques (10%) et à celui des banques américaines (8,4%). Que dire des affirmations sur "les marges dans la banque de détail (sont) élevées", alors que les superviseurs ne cessent de s'inquiéter de leur érosion, aggravée par le contexte de taux bas? On comprend que cette omission est opportune, puisqu'elle évite d'affronter une dure réalité, bien contrariante pour la thèse avancée, faisant tomber, d'un coup, l'argument selon lequel la politique monétaire non conventionnelle de la BCE serait "une subvention implicite pour le secteur bancaire". Il est particulièrement étonnant que le rapport n'ait pas pris le temps d'analyser les conséquences du taux négatif de la facilité de dépôt, dont les effets se lisent déjà dans la publication des derniers résultats trimestriels des banques (5). Manque d'expérience? Absence de bonne foi? L'auteur affirme: "alors que d'autres secteurs se préparent à des changements majeurs, le secteur financier lui échappe aux regards et au débat". Quelques jours pourtant dans une entreprise bancaire, voire le simple survol des colloques parisiens ou des articles de presse qui se bousculent chaque semaine, permettent de constater l'expression publique foisonnante des réflexions sur la "disruption" réglementaire et technologique dans le monde des banques et des "fintechs", néologisme qui associe plus qu'il n'exclut les deux univers.

Mais il apparaît très vite que l'auteur ne sait pas bien ce que sont les banques. C'est sans doute cette méconnaissance du secteur bancaire, français et international, qui est à l'origine d'assertions à l'emporte-pièce: "les banques françaises, avec leurs consœurs britanniques, occupent une place de premier rang dans le système bancaire mondial". C'est oublier bien sûr que les banques chinoises dominent, et de loin, le classement mondial, avec les banques américaines, et que seule une banque française figure dans le Top 10.

A côté d'affirmations erronées, il y a aussi les oublis flagrants. Rien sur les efforts historiques des banques depuis la crise, notamment en matière de solidité, pourtant mis en exergue à la fois par la BCE, dans son rapport "Financial Stability Review" de mai 2016 et, excusez du peu, par le Prix Nobel d'économie, Jean Tirole, dans dernier son ouvrage "Economie du bien commun". Pas un mot sur le rôle des banques dans l'économie (en termes d'emplois et de contribution au PIB). Et, bien sûr, rien sur l'exceptionnelle performance des banques françaises dans le financement de l'économie à des taux les plus bas d'Europe. Le fait que le crédit aux entreprises ait augmenté en un an de 4,3 % en France, contre 0,8 % en zone euro (6), risquerait de questionner la thèse avancée sur la nécessaire intervention de l'Etat.

Car finalement, le chantre du libéralisme ne voit pas d'autre solution à son problème que dans une solide intervention... des pouvoirs publics. Il préfère, à la main invisible, la grosse patte organisatrice de l'Etat! Vive la DGCCRF (7), l'ACPR, le gouvernement, la Commission et le Parlement européens. On est en France tout de même. On ne va pas faire totalement confiance aux entreprises et au marché. L'apparition de nouveaux acteurs doit être encouragée par le pouvoir politique (peu important, apparemment, leur vraie valeur ajoutée et les risques associés). Quant aux banques, elles doivent être mises au pas par l'Etat, grand visionnaire en matière bancaire comme l'histoire l'a montré. La volonté des acteurs à se remettre fondamentalement en cause sous l'effet de la demande des clients, leur capacité à innover et à bouleverser leur modèle semble ainsi échapper au raisonnement de M. Koenig.

La liberté de penser est un droit. Celle de dire n'importe quoi a tout de même ses limites.


(1) ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), La situation des grands groupes bancaires français à fin 2015, Analyses et Synthèses n° 62, mai 2016.
(2) Banque de France, Lettre introductive au Rapport annuel de la Banque de France, 18 mai 2016.
(3) BCE (Banque Centrale Européenne), Financial Stability Review, mai 2016.
(4) ROE : Return on Equity (rentabilité des capitaux propres).
(5) L'ACPR note à ce sujet que "les taux durablement bas, voire négatifs, érodent la marge nette d'intérêt des banques", mai 2016.
(6) Source: Banque Centrale Européenne, Non-financial corporations: Annual growth rates at end of period, mars 2016.
(7) Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.


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