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Февраль
2016

Les Liaisons magnétiques de Thierry Pécou

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La dernière parution discographique de Thierry Pécou est dédiée à la musique de chambre. Piano et percussion, saxophone congas et piano, six instruments à vent avec percussion et douze cordes, voilà trois exemples d'instrumentation hétéroclite mais tellement cohérente avec ces deux éléments omniprésents dans sa musique: la mondialisation et l'érotisme.

Toute autre que celle de l'industrie du luxe, code narcissique planétaire de l'individualisme à succès, la mondialisation de Pécou est organique, ancrée dans la réalité de ces gens qu'une monstruosité sémantique désireuse de leur enlever décidément tout nous a habitués à appeler les gens modestes. Mondialisation qui rétablie le lien entre la partie et le tout, combinaison du rationalisme athée occidental et du paganisme rituel de Dieu sait où.

Les cérémonies du corps, la transe, semblent si étrangères à la culture occidentale que l'on a tendance à les considérer comme le fait de civilisations extra-européennes, avec toute la panoplie des images Technicolor de tribus en plein délire sacrificiel. Rien n'est plus erroné: la transe est bel et bien présente à l'assise même de la culture occidentale; il suffit de considérer les rites dionysiaques dans le théâtre classique grec. Et nier le corps, l'emprisonner, comme des siècles de culture chrétienne nous a habitués de le faire, ne nous a-t-il pas menés à la névrose et à la pornographie, inextricablement liées?

Art ou pornographie?

Chez Pécou tout est art (complexe, structuré, résultat d'un métier immense, on ne peut plus cérébral), mais en même temps, tout est érotico-eurythmie.

"Je ne connais encore personne qui sache parler du corps. On balbutie des vulgarités ou des fadeurs", écrivait le philosophe Kostas Axelos en 1977.

Entre la fadeur de la "sensualité" en art (bon nombre d'académiciens se vantent dans les talk-shows de pratiquer cette qualité dans leur œuvre) et la pornographie, vulgaire parce qu'encore plus conformiste que la "sensualité" précitée, la voie de Pécou est unique dans la création musicale contemporaine; Pécou parle de ça et uniquement de ça de manière qui ne soit ni fade ni vulgaire.

Les compositeurs de l'école de Darmstadt et leurs épigones revendiquent, dans leur quasi-totalité, un athéisme militant d'un côté tout en pratiquant une écriture musicale on ne peut plus "religieuse intégriste" de l'autre, tellement le corps en est absent, tellement il y est inconcevable de chanter, danser, déconner (qualité omniprésente chez Mozart). Tout le contraire de Pécou, qui lui compose pour le corps et ses excès -il n'est pas de corps sans excès-; le chant, la danse et sa suite naturelle, la transe, sont au cœur de son œuvre. Son écriture demande certes aux interprètes un engagement corporel intense mais n'est jamais agressive pour leur corps.

Et puisqu'on parle du corps... comment est-il nourri, celui d'un compositeur de musique "sérieuse" (ajoutons une pluie de guillemets)? Parler d'argent (oui ! celui du loyer, de l'électricité, des courses à Franprix !) au sujet d'un compositeur vivant pourrait mettre le lecteur le plus compréhensif dans la gêne qu'éprouverait un hôte si son comptable venait à se manifester devant les invités pour détailler, factures à l'appui, le coût de la réception...

Pourtant, sachez que notre compositeur n'enseigne pas dans un conservatoire (filet de sécurité pour la plupart de ses collègues), qu'il n'écrit pas pour la pub ou les firmes de téléphones portables, ne fait pas les orchestrations du dernier Johnny.

Les compositeurs de musique classique contemporaine font face aux mêmes difficultés que toute une catégorie d'intellectuels quasi prolétaires (chercheurs aux multiples doctorats et au salaire à peine supérieur au smic) et surtout au même paradoxe: une grande valorisation sociale d'un côté. une grande dépréciation économique de l'autre; ainsi ne serait-ce que pouvoir acquérir les livres, les partitions et les disques indispensables à leur travail devient totalement impossible. Il n'est guère politiquement correct de le dire, mais les plus grands fraudeurs, ceux qui téléchargent illégalement, ne sont pas les ados mais les intellectuels, les chercheurs, les compositeurs, les universitaires.

Et c'est là un des paradoxes dans la vie de ce compositeur du plaisir et de la jouissance décomplexée: composer "comme cela lui chante" lui est chose tellement chère, qu'il paye avec une angoisse permanente pour la commande suivante, quand c'est en claquant des doigts qu'un compositeur possédant son métier se voit offrir un pont d'or dans l'industrie du cinéma ou de la variété.


Inspirées par la musique des Andes aux "concepts sonores aussi fascinants que complexes", Les liaisons magnétiques qui prêtent leur titre au CD ont été interrompues dans leur composition par le décès d'Henri Dutilleux. Elles ont été repensées, ressenties et reconstruites sous le magnétisme de ce grand compositeur français et dont la liberté laissait le champ libre pour exprimer sans aucune censure les liaisons musicales les plus personnelles.



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