Repose en paix, Lemmy
Les mots ne viennent pas facilement, surtout quand on sait que Lemmy se serait foutu de nous en nous voyant chercher le bon ton pour parler de son héroïsme. Dès que j'essayais de lui faire un compliment, il me regardait fixement, d'un air mi-amusé, mi-méprisant. Mais il y avait indubitablement quelque chose d'héroïque chez lui.
Il était exceptionnel, dans tous les sens du terme. Il incarnait une multitude de personnalités incompatibles. Sa musique était exubérante, agressive, intransigeante et il se débrouillait pour que ses paroles ne laissent pas entrevoir la moindre sensibilité. Pourtant, c'était un pacifiste, un penseur, un homme profondément fidèle en amitié. Je n'ai jamais fait partie de ses intimes mais nous nous sommes souvent croisés. Il faisait toujours preuve d'un incroyable respect envers moi, ce qui me désarmait parce qu'il détestait les compliments. En apparence, tout du moins.
L'une de mes meilleures amies a vécu avec lui pendant dix ans, et elle l'a toujours décrit comme quelqu'un de tendre, très différent de l'image qu'il véhiculait et qui traduisait son regard sans concession sur le monde qui nous entoure. Lemmy était très cultivé, mais on ne l'aurait jamais deviné en le voyant collé pendant des heures devant une machine à sous au Rainbow Bar and Grill, sur Sunset Strip. D'ailleurs, ce temple du rock 'n' roll porte à jamais la trace de sa présence.
Nous venons au monde sous forme de bébés, et nous devenons ce que nous voulons être. Lemmy, par la seule force de sa volonté, est probablement le prototype de l'icône du hard rock. Il vivait sa musique, et le personnage qu'il s'était créé pour l'occasion, à 100%. La plupart du temps, Motörhead était un groupe de trois, voire quatre, personnes - là encore, sans fioritures - qui se donnaient toujours à fond. Je me souviens d'avoir joué avec eux à l'Academy de Brixton, ce qui reste peut-être l'expérience la plus assourdissante de toute ma carrière. Généralement, les groupes s'arrangent pour ne pas jouer trop fort sur scène, même s'ils ont l'air menaçant et percutant, parce que le gros son est transmis au public par l'intermédiaire d'enceintes gigantesques.
Ce n'était pas le cas de Motörhead (avec le fameux tréma sur le "o"). Les montagnes d'enceintes derrière le groupe étaient bien allumées et le volume poussé au maximum. Quand on entendait la basse de Lemmy, on avait l'impression d'être dans un broyeur gigantesque qui couvrait l'ensemble du spectre sonore. Ce n'était pas du tout un son de basse habituel. Même quand il était le seul à jouer, elle vous défonçait les oreilles de 50 Hz à 10 MHz. La plupart du temps, il tambourinait dessus (et je choisis mes mots avec soin) au rythme de 200 notes par minute. C'était, et c'est toujours, exceptionnel. Et, par-dessus ce boucan extraordinaire, on entendait sa voix inimitable, sortie des profondeurs de sa gorge de fumeur invétéré.
Difficile de deviner que le Lemmy des premières années deviendrait ce monstre légendaire, mais il déchirait déjà pas mal dans le groupe psychédélique Hawkwind, avec qui Queen avait partagé l'affiche vers 1970, peut-être bien à Epsom Baths. Il avait ensuite formé son propre groupe, beaucoup plus âpre, à l'antithèse du Flower Power. Je ne me souviens plus de leur première incarnation, mais je connaissais Fast Eddie Clarke (qui portait bien son nom), son premier guitariste, et Philthy Animal à la batterie. Le groupe dégageait une énergie incroyable, frénétique et sauvage. Je me souviens aussi de Wurzel, une force de la nature. Mais pendant des années, l'extraordinaire Phil Campbell a donné la réplique à Lemmy à la guitare. Phil était tout aussi incontrôlable et dangereux, mais il leur a apporté une très grande dextérité technique.
Je pourrais en écrire comme ça pendant des pages. Sur le talent de Lemmy pour mettre les gens mal à l'aise (moi y compris), et sa capacité à absorber des produits stupéfiants en quantités suffisante pour endormir un rhinocéros. Mais ce n'est pas nécessaire: l'essentiel se trouve dans sa musique. Phil m'avait convaincu de participer au dernier album de Motörhead, un honneur que je chéris encore davantage aujourd'hui. Je joue sur un morceau intitulé The Devil. S'il y a une justice sous terre, Lemmy est dans un bar rock au firmament, en train de boire du Jack Daniels avec le diable et à discuter dans un sourire de l'absurdité de la vie.
Repose en paix, Lemmy.
Signé: Bri
Ce blog, publié à l'origine sur le Huffington Post britannique, a été traduit par El Fugitivo pour Fast for Word.
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