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Январь
2024

Colloque "Poétique du roman choral" (Amiens)

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Université de Picardie-Jules-Verne (Amiens)

Colloque international « Poétique du roman choral »

Le Logis du Roy (Amiens), 25, 26 et 27 septembre 2024

L’adjectif « choral » a été emprunté à la critique cinématographique pour être appliqué à la littérature : si l’étiquette est commode, et a connu un certain succès marketing et médiatique, le roman choral n’a pas fait l’objet de tentative de définition précise. Il conviendra donc de s’interroger sur la pertinence de la notion, son histoire – et aussi sa métaphorologie. Outre celle du chœur, musical ou tragique, qui méritent un examen particulier, les métaphores convoquées pour dire l’œuvre chorale devront faire l’objet d’une étude attentive  : « mosaïque », « kaléidoscope », « puzzle » ; « braided plot », « crossway stories », « network narratives », etc. Parallèlement, l’effort de définition de la singularité de la choralité pose la question de la place de l’œuvre chorale – ou des caractéristiques mises en avant par le choix de l’adjectif – dans une constellation plus large des notions et des catégories génériques qui lui sont associées : « dialogisme », « polyphonie », « plurivocalité », « hétéroglossie » ; « roman pluraliste », « livre de voix », « roman maximaliste », etc.

Il conviendra également de s’intéresser au moment d’émergence, ou de cristallisation, du genre. Menschen im Hotel. Kolportageroman mit Hintergründen (1929, Vicki Baum) est adapté dans la foulée au cinéma (Grand Hotel, 1932, Edmund Goulding). As I Lay Dying (William Faulkner) paraît en 1930, peu après Perrudja (1929, Hans Henny Jahnn), qui est contemporain de The Sound and The Fury (1929), et deux ans plus tard Virginia Woolf publie The Wawes (1931). Il faudrait aussi citer Manhattan Transfer (1925, John Dos Passos) – habituellement considéré comme un roman de montage. Et aussi Berlin Alexanderplatz (1929, Alfred Döblin), sans oublier l’incontournable Ulysses (1918-1920/1922) de James Joyce.

Proposons, par hypothèse et en première approximation, qu’une œuvre chorale se définisse par trois caractéristiques :

- elle met en scène une mosaïque de personnages et donne à entendre une pluralité orchestrée de voix singulières et subjectives, qui alternent. Dans le roman choral, chacun des personnages-narrateurs est ainsi défini par ses paroles et/ou ses pensées, dont les caractéristiques idiosyncrasiques, idio- ou sociolectales, font l’objet d’un investissement particulier,

- elle entrelace des lignes narratives différentes. Le récit se compose d’histoires multiples et entrecroisées, qui suppose à la fois l’indépendance, plus ou moins marquée, des histoires et des points de convergence, de rencontre ou de croisement, qui peuvent être actualisés dans la fiction ou bien relever de l’interprétation. Délinéarisant la chronologie narrative, il agence les événements selon une composition tabulaire, qui favorise, par des jeux de recoupement ou de recouvrement, des associations, locales ou à plus grande échelle, par échos et résonances,

- elle propose une représentation plurisperspectiviste de la réalité. La combinaison des points de vue permet, non pas d’élargir le point de vue, mais de cerner progressivement, et de façon idéalement synoptique, un événement/personnage/objet central – qui est souvent une tache aveugle. Le roman choral est donc fondé sur une tension entre restriction du point de vue et une tentative symétriquement inverse de pallier cette constriction myopique par une représentation kaléidoscopique, facettée ou mosaïque.

Il conviendra d’étudier la pertinence de cette première définition, tout en en affinant les critères pour proposer une typologie opératoire des différentes formes d’œuvre chorale. On pourrait ainsi distinguer :

a) les récits dans lesquels les personnages-narrateurs – qui sont souvent des témoins – présentent successivement leur point de vue (leur vision, leur interprétation) sur/d’un même événement/personnage/objet (l’unité est d’action).

b) les récits dans lesquels les personnages-narrateurs se connaissent/se croisent/se rencontrent sans que les perspectives soient unifiées par un événement commun (l’unité est avant tout de lieu : port, gare, hôtel, café, village, immeuble, tour, voire cimetière, etc.).

c) les récits dans lesquels les personnages-narrateurs n’ont aucun lien/lieu en commun.

On peut distinguer en outre une version optimiste et pessimiste de la choralité, selon que la multiplication des points de vue permet de reconstituer l’objet absent, ou perdu, ou que la tentative échoue, soit par lacune, soit par contradiction interne de points de vue qui n’arrivent pas à s’accorder. Il conviendrait peut-être d’ajouter une troisième catégorie, intermédiaire, où l’événement perçu fait l’objet d’une perception décalée, d’un décentrement de perspective, mais qui ne porte pas atteinte à la cohérence de l’image mosaïque.

La typologie pourra encore s’affiner par variation incrémentale des différents paramètres. Ainsi est-il possible de distinguer différents types de roman choral en fonction du degré de singularisation des voix, qui s’étend de la caractérisation la plus marquée (parlers régionaux, dialectes, argots, créoles, impuretés lexicales ou syntaxiques, ponctuations idiosyncrasiques) à l’absence de singularisation, qui dissout la spécificité des voix des personnages pour les fondre dans un fond atone.

Il pourrait aussi être intéressant de poser la question inverse de celle qui est habituellement posée à la fiction, non plus celle de l’adéquation d’une thématique à sa forme d’expression, mais celle des possibles narratifs que la structure chorale ouvre au récit. Ou, dit autrement, quel type de superstructure narrative l’infrastructure compositionnelle suscite-t-elle, favorise-t-elle, privilégie-t-elle ? Il serait ainsi possible de compléter l’analyse des formes possibles de la choralité par une typologie de ses contenus narratifs et par celle des formes privilégiées d’interrogation herméneutique, ontologique ou politique de la réalité et du monde.

Une étude de poétique historique, qui s’intéresserait au développement des différentes formes de roman choral dans le temps, et dans l’espace, serait ainsi bienvenue, ainsi qu’une enquête généalogique. À titre d’exemple, la relation de filiation du roman choral avec le roman du flux de conscience anglo-saxon ou le roman analytique français méritera d’être interrogée, ainsi que l’hypothèse selon laquelle le roman choral serait une évolution de ces derniers : le roman de conscience monophonique devenant, par multiplication des protagonistes, roman choral. Enfin, si l’on s’attache à distinguer les différentes composantes du genre (multiplication des protagonistes, composition mosaïque, délinéarisation de la narration, perspective plurielle, etc.), l’enquête pourra remonter plus avant dans le temps et reconnaître, non pas tant des précurseurs du genre, que des interrogations et des préoccupations proches dans d’autres types de fiction – la référence à La Comédie humaine est ainsi fréquente. La notion de choralité s’entendrait alors comme effet de lecture, et reconnaîtrait, dans un anachronisme motivé, des composantes chorales dans une œuvre qui ne l’est pas en première intention. 

Le second moment de floraison du genre choral, dans les années 1990, devra aussi faire l’objet d’un examen approfondi. The Sweet Hereafter (Russel Banks) est publié en 1991 et Short Cuts (Robert Altmann) sort en salles en 1993. Depuis, le succès médiatique des œuvres chorales ne se dément pas : Imarat Ya’qubyan (L’Immeuble Yacoubian, 2002) d’Alaa El Aswany se vend à 100 000 exemplaires en Égypte ; en France, Lignes de faille (Nancy Huston) obtient le Prix Femina en 2006, et les ventes du roman atteignent 120 000 exemplaires. Pourtant, ce succès ne s’obtient-il pas au prix d’une simplification – d’un affadissement – de sa complexité formelle d’origine ? On pourra enfin s’interroger sur les convergences entre ces deux moments, d’apparition puis de refloraison, de la forme chorale, et ce qu’elles révèlent de leurs époques respectives.

Le propos de ce colloque sera avant tout théorique, et son ambition est de proposer une – ou plusieurs – définitions du roman choral, en intention comme en extension, ainsi qu’une typologie opératoire des différentes formes de récit choral. Selon le niveau d’analyse, les perspectives pourront relever d’une approche stylistique, narratologique, poétique, ou herméneutique. À ce titre, les études de cas sont bienvenues, mais à la condition qu’elle soient sous-tendues par une réflexion théorique sur la notion.

Les communications pourront se faire en français ou en anglais.

Les projets de communication (1500 mots), accompagnés d’une notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 15 mars 2024 à aurelie.adler@u-picardie.fr, à marine.duval@u-picardie.fr et à christian.michel@u-picardie.fr.


Bibliographie sélective

 AZOULAY, Vincent, ISNARD, Paulin, « Athènes 403. Une histoire chorale », Flammarion, « Au fil de l’histoire », 2020.

 ARONSON, Linda, The Six Sorts of Parallel Narrative, https://www.lindaaronson.com/six-types-of-parallel-narrative.html 

 BARNEY, Darin David, The Network Society, Cambridge, Polity, 2004.

 BEAL, Wesley, LAVIN, Stacy, « Theorizing Connectivity : Modernism and the Network Narratives », Digital Humanities Quaterly, vol n° 5, 2011. 

 CASTELLS, Manuel, The Rise of the Network Society, Oxford, Wiley-Blackwell, 2009.

 DEMANZE, Laurent, Un nouvel âge de l’enquête, Paris, Corti, 2019.

 Dialogisme, polyphonie : approches linguistiques, Jacques Bres, Pierre Patrick Haillet, Sylvie Mellet, Henning Nølke et Laurence Rosier (dir.), De Boeck Supérieur, 2005. https://www.cairn.info/dialogisme-et-polyphonie-approches-linguistiques--9782801113646-page-339.htm

 GENZ, Julia, « Il wullte bien, mais il ne puffte pas » – de la polyglossie à la polyphonie dans le roman Der sechste Himmel (Feier a Flam) de Roger Manderscheid, The Dynamics of Wordplay/ Enjeux du jeux de mots, Esme Winter-Froemel (dir.), De Gruyter, 2015.

 FOSTER, Hal, The Return of the Real. The Avant-Garde at the End of the Century, Cambridge, 1996.

 Livres de voix. Narrations pluralistes et démocratie, Alexandre Gefen, Frédérique Leichter-Flack (dir.), Colloques Fabula, https://www.fabula.org/colloques/sommaire8057.php 

 LECACHEUR, Maud, La littérature sur écoute : recueillir la parole d’autrui de Georges Perec à Olivia Rosenthal, thèse soutenue le 1er avril 2022 à l’ENS-Lyon, à paraître aux Presses universitaires de Saint-Etienne. 

 MESSAGE, Vincent, Romanciers pluralistes, Seuil, « Le Don des langues », 2013.

 Polyphony and the Modern, Jonathan Fruoco (dir.), Routledge, 2021.

 MALCUZYNSKI, M-Pierrette, « Polyphonic Theory and Contemporary Literary Practice », Studies in Twentieth Century Literature (Univ. of Nebraska), Mikhail Bakhtin, Clive Thomson (dir.), 1982.

 Polyphonies : voix et valeurs du discours littéraire, Raphaël Baroni, Francis Langevin (dir.), Arborescences. Revue d’études françaises, n° 6, septembre 2016.

 Plurivocalité et Polyphonies (Une voie vers la modernité ?), Rafaèle Audoubert (dir.), Garnier Classiques, 2022.

 RABATEL, Alain, Homo narrans. Pour une analyse énonciative et interactionnelle du récit, Les points de vue et la logique de la narration (tome1), Dialogisme et polyphonie dans le récit (tome 2), Lambert-Lucas, 2008.

 TOUYA, Aurore, La Polyphonie romanesque, Classiques Garnier, 2015.

 VIART, Dominique, « Les littératures de terrain », Revue critique de fixxion française contemporaine, n°18, 2019, en ligne : https://journals-openedition-org.bnf.idm.oclc.org/fixxion/1275