Sexy pop
**
14h30 heure de Paris / 8h30 heure de Montréal : ouverture
Programme de la journée
15h Sébastien Hubier (Université de Reims-Champagne-Ardenne), « Pop porn. L'âge d'or de la pornographie cinématographique (1969-1984) »
15h30 Albain le Garroy (Université Bordeaux Montaigne), « Elisabeth Bathory de Raúlo Cáceres ou l’impossibilité du sexy ? »
16h Victor-Arthur Piégay (Université de Lorraine), « Raiders of the Hot Tape : quête masculine de la VHS cochonne dans les fictions de jeunesse »
16h30 Pause
17h Clément Pélissier (Université Grenoble Alpes), « “Il me fait rire...” : Visage(s) et facettes de la femme fatale dans l’animation de Jessica Rabbit »
17h30 Antonio Domínguez Leiva (Université du Québec à Montréal), « Les Années folles, laboratoire de la sexy pop »
18h Discussions.
—
Pour obtenir le lien Zoom permettant de suivre les communications et de participer aux débats, merci d'écrire à sebastien.hubier@univ-reims.fr
—
Depuis les « roaring sixties », ces nouvelles Années folles, ne cesse de se développer une culture nouvelle correspondant à un accès toujours plus large de la jeunesse aux loisirs et à la consommation de masse. Cette culture-là est parfois conçue par les conservateurs comme aliénante ou lénifiante. C'est oublier un peu vite qu'elle est source à la fois de joie, de jouissance et de contestation. En effet, l'appel aux plaisirs, caractéristique de la culture pop pousse aussi l'individu à se révolter contre tous ce qui le brime et le tyrannise : valeurs bourgeoises, carcan familial, poids de la tradition, de la bienséance du conservatisme des bonnes manières. La jouissance devient ainsi un instrument de révolte – un rempart contre les dictatures du chagrin, pour reprendre l'expression qui sert de titre à un des essais les plus connus de Stig Dagerman. En d'autres termes, la pop culture est conjointement source de joie et de contestation ; de contestation dans la joie. Il suffit pour s'en convaincre de songer aux spectacles de la San Francisco Mime Troup, aux extravagances des Merry Pranksters de la révolution hippie ou aux beaux couples heureux et enlacés du Summer of Love (1967) ou de Woodstock (1969) : cette culture-là, jeune et sexy, faite tout à la fois de musiques obsédantes et de chansons entraînantes, de films, de comics, de séries, est une dévoratrice qui, d'un appétit sans frein, avalent tout ce qui passe à sa portée pour le plaisir de tous – tout en militant pour les déclassés, les freaks et les minorités1. De ce point de vue, elle reflète également la découverte d'une forme inédite de libertés. Bien entendu, l'étude de ces cultures pop, nécessairement transdisciplinaire, impose de prendre en compte un nombre considérable de médias – arts plastiques, littérature, cinéma, musique pop et rock, bandes dessinées, télévision, mais aussi design, photographie, modes vestimentaires –, d'interroger la notion de géographie culturelle, laquelle est profondément bouleversée par la mondialisation et par la communication instantanée et, enfin, de comparer les cultures majoritaires et celles des minorités ethniques, la culture des élites et la culture de masse, la culture littéraire et la culture scientifique.
Parmi les thématiques privilégiées de toutes ces formes d'expression se trouvent quelques invariants : le bonheur, la jeunesse, l'amour ou, plus précisément l'éros. C'est précisément ce qui explique la prégnance, depuis les années 1960, des registres, voisins mais point entièrement synonymes, du hot, du glamour, du sexy. Sexy, nous y voilà revenus. Si le hot renvoie clairement à la figuration explicite de la sexualité et si le glamour associe le charme à un goût certain pour la mode, « le sexy d’un corps (qui n’est pas sa beauté), comme l’observait Barthes, tient à ce qu’il soit possible de marquer (de fantasmer) en lui la pratique amoureuse à laquelle on le soumet en pensée (j’ai l’idée de celle-ci précisément, et non de telle autre) »2. Dans la culture hypersexuelle de la postmodernité, ou s'opère sans cesse une véritable « pornographisation du social »3, le sexy est partout et le culte de l’apparence, du look accompli ne cesse de s’intensifier chez les youngies, les teenies et autres lolitas qui constituent un marché d'autant plus lucratif qu'elles sont hantées par la nécessité d’avoir l’air cool et, justement, sexy. Car les médiacultures contribuent à créer un climat favorable à l’érotisation des jeunes corps féminins, par la mise en scène de maquillages affectés, de vêtements provocants, calqués sur les attitudes de jeunes actrices ou de fraîches swinging models. cropped tees, décolletés, jeans slim, taille basse et talons hauts, strings, lingerie fine et chandails moulants, mode du cut out qui ouvre sur le corps le vêtement, tout concourt à sensualiser la jeunesse. « Ce qui était vilipendé parce que porteur d'une image mauvais genre et vulgaire est devenu tendance [...]. Tel est le sexy, lequel se définit par un style aguicheur et décomplexé, une érotisation appuyée du corps délivrée des anciennes condamnations morales »4.
Conformément au projet des études culturelles qui n'établissent aucune hiérarchie entre les fictions qu'elles conçoivent toutes comme des textes idéologiques (appartenant donc à la superstructure) qui sont conjointement le produit et le reflet des luttes (de classes) économiques de la période qui les fabrique (infastructures), on se penchera dans les journées d'études en ligne de cette année sur les mobiles et les enjeux extrêmement divers des liens qui unissent LES cultures pop (qui, toutes, « ser[vent] à faire éprouver à un peuple indéfini son propre pouvoir d'agrégation »5) et toutes les formes de mise en scène de la beauté des corps. Car, c'est bien ce qu'est aussi le sexy : une théâtralisation de la séduction, une scénographie du désir et du fantasme.Toutefois, comme l'ont montré les travaux entrepris par Sharon Lamb, Kaelin Farmer, Elena Kosterina, Susan Lambe Sariñana, Aleksandra Plocha et Renee Randazzo , la « sexiness » est aussi affaire d'outrance, de confiance en soi, de désinvolture, d'insouciance, de goût pour le sexe. C'est aussi une manière ambiguë de souffler le chaud et le froid, de susciter la jalousie en même temps que le désir, de maîtriser l'art de l'insinuation, d'induire l'autre en tentation, d'établir avec lui un jeu, subtil, sur les clichés de la séduction tels qu'ils sont fixés et réinterprétés par la pop culture, sur le port assumé de vêtements sexuellement connotés (talons aiguilles, robes moulantes ou décolletées, etc.), de conformité à des canons physiques eux-mêmes très étroitement dépendant des modèles dominants les fictions quelles qu'elles soient (minceur, chairs fermes, silhouette de la brindille, finesse des membres, etc.). Nous nous pencherons donc sur sur tous ces usages du sexy – sexy qui demande à être soigneusement distingué du slutty certes, mais aussi situé par rapport aux notions de sex-appeal ou de sex-symbol ou même du personnage stéréotypé de la sex-bomb popularisé par la chanson de Tom Jones et les clichés de Jolene Blalock à la fin des années 1990).
On pourra bien sûr s'attacher aussi bien à la littérature (pour expliquer, par exemple, la manière dont le genre du mummy porn a renouvelé le genre du roman érotique) qu'à la peinture (comment, par exemple, le Pop Art a-t-il pu récupérer des stéréotypes de longtemps attachés à la culture érotique ?) ou à la nouvelle vague de la photographie érotique à la mode de Markus Amon, d’Alethea Austin, de Bruno Bisang, de Didier Carré, de Barney Cokeliss ou de Noritoshi Hirakawa. On pourra aussi se pencher sur la manière dont les codes érotiques sont aujourd’hui repris dans la publicité, la mode, la téléréalité, les jeux vidéo et même les arts savants, ainsi que l’a montré Dominique Baqué qui s’attache, dans le post-humanisme qui est le nôtre, au lissé froid des corps pornographiques, à l’enfer esthétique des pratiques extrêmes, aux mutations sexuelles dont témoignent les arts plastiques, la photographie, le cinéma, mais aussi la littérature et la mode6 – notamment dans le cadre de l’alternaporn, cette contre-culture qui relie étroitement la pornographie à des mouvements alternatifs tels que le gothique, le punk, la cyberculture ou la fameuse DIY culture. Dans cette optique, on pourra se demander comment et pourquoi la pornographie se trouve prise dans le vaste mouvement postmoderne qui fait éclater les catégories génériques et, ipso facto, insiste sur la nécessité d’hybridation des tons et des registres : les images pornographiques finissent par s’immiscer dans des œuvres qui, elles, ne sont pas pleinement pornographiques, et, partant, elles sont décontextualisées et recontextualisées. D'une part, on pourra ainsi consacrer une ou plusieurs études à ce que Claude-Jean Bertrand et Annie Baron-Carvais nomment le « porno parcellaire », lequel peut d’ailleurs prendre des formes très différentes (cette expression regroupant des productions aussi diverses que Lucia y el sexo de Julio Medem, Intimacy de Patrice Chéreau, Baise-moi de Virginie Despentes, Le Pornographe de Bertrand Bonello, Love de Gaspard Noé, Nymphomaniac de Lars Von Trier, The Brown Bunny de Vincent Gallo, Romance X de Catherine Breillat). D'autre part, il serait intéressant dans cette perspective d'observer les implications processus, de ce que les anthropologues nomme le « code-switching » au sein de cet imaginaire consumériste qu'est la pop culture (dont un large pan se trouve fondé, aujourd'hui encore, sur la transgression). On pourra pareillement étudier le rôle central qu'ont joué les fumetti per adulti dans l’émergence et la diffusion de l'érotisme postmoderne et considéré comment ces bandes dessinées de petit format ont révélé des grands noms comme Milo Manara, Alessandro Biffignandi, Leone Frollo, Averardo Ciriello ou Aslan et ont surtout popifié de nouveaux types de scénarios érotiques. On pourra étudier des genres finalement pas assez explorés par les théoriciens et les critiques (comme les hentaï, les erotic thrillers, les émissions de téléréalité) ou discuter des grandes figures qui mériteraient d'être reconsidérées dans l'optique de la sexualisation de la pop (Madonna, Britney Spears, Miley Cyrus), envisager la portée de certaines pornstars bien au-delà du monde du X (Jenna Jameson, Brigitte Lahaie, Ovidie), l'influence de la pornographie sur les fictions destinées au grand public (Euphoria) ou sur des spectacles de théâtre ou de danse qui, bien que savants, sont directement à l'imaginaire pop (pensons par exemple à $Shot qui, monté au printemps 2000 par Jennifer Lacey et Nadia Lauro, mêle volontairement les codes films érotiques aux canons de l’art minimaliste), l'importance des rockstars sexy (d'Elvis à Lenny Kravitz) et autres sexy crooners (de Dean Martin à Zayn Malik).
On le voit, les sujets sont extrêmement nombreux, variés et riches, et on pourrait en ajouter, encore, beaucoup d'autres de la figuration des pinup publicitaires aux playmates des magazines de charme, en passant par la vogue de sexualisation des pochettes de disque dans la seconde moitié du siècle dernier.
1 Richard Mèmeteau émet l'hypothèse qu'une différence existe toutefois entre la contre-culture et la culture pop. La première « refuse la réappropriation ou la récupération » tandis que la seconde « en accepte totalement l'idée ». « Les idées d'authenticité et de nouveauté définissent profondément la contre-culture et son paradigme moderniste. Au contraire, la pop culture est située par beaucoup du côté du postmoderne, de la parodie et du collage » (Pop Culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2014, p.15). C'est là une hypothèse qu'on pourra pousser plus avant en étudiant les représentations de la séduction, de l'érotisme, du sexy, dans les œuvres de la culture de masse.
2 Roland Barthes par Roland Barthes, éd.cit., p.41.
3 Feona Attwood, Porn.com. Making Sense of Online Pornography, éd.cit.
4 Gilles Lipovetsky, Plaire et toucher. Essai sur la société de séduction, Paris, Gallimard, 2017, p.205.
5 Richard Mèmeteau, op.cit., p.7.
6 Dominique Baqué, Mauvais Genre(s) : Erotisme, pornographie, art contemporain, Paris, éditions du Regard, coll, « Essais sur l’art », 2002.