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Октябрь
2015

Accommodements, n'importons pas ce qui ne marche pas au Canada

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INTERNATIONAL - La victoire éclatante du Parti Libéral et de son jeune premier, héritier d'une longue dynastie politique, Justin Trudeau, ne doit pas masquer la crise d'une certaine gauche intellectuelle canadienne sur le multiculturalisme, et combien nous aurions tort de nous en inspirer.

Le Canada est un pays ouvert, bien plus que la France. Même traumatisé par l'attentat d'Ottawa, il est capable d'être ému par le sort des réfugiés et de vouloir continuer à tendre la main. Pourtant, il y a des dérives, au nom de cette générosité, que même des électeurs libéraux ne veulent plus accepter: les dérogations à la loi au nom de la religion.

Pendant la campagne, le débat a porté sur les questions économiques, mais aussi, beaucoup, sur la façon de faire société. Au cœur de toutes les attentions? Une militante intégriste d'origine pakistanaise qui a exigé, elle et les associations qui l'entourent, de prêter serment pour devenir canadienne le visage entièrement masqué. Ce qui a choqué ses futurs compatriotes, et pas seulement les xénophobes.

Le symptôme du serment en niqab

Pour se moquer de ces dérogations, trop souvent concédées, des Québécois ont feint de vouloir voter avec un sac de patates sur la tête. Le débat politique était plus sérieux.

Le candidat des conservateurs, Stephen Harper, a promis de faire passer une loi obligeant de prêter serment à tête découverte. Campagne oblige, le chef du parti libéral, Justin Trudeau, l'a aussitôt accusé de pratiquer une "politique de la peur et de la division".

Pendant des semaines, la société s'est déchirée, les réseaux sociaux se sont emballés, et certains ont fini par tout mélanger: ces demandes venant d'intégristes ont été assimilées au cas de réfugiés syriens qui ne demandaient pas du tout à prêter serment en niqab!

Une femme voilée s'est faite agresser à Montréal. En réaction, sous le choc, l'Assemblée nationale du Québec a voté à l'unanimité une motion contre le racisme et "l'islamophobie". C'est-à-dire une motion qui mélange tout elle aussi: les critiques légitimes envers les demandes de dérogations intégristes et les propos ou actes réellement racistes envers les musulmans et les réfugiés.

De quoi désespérer les Canadiens de culture musulmane ayant fui les islamistes pour se réfugier au Canada. Eux refusent d'être traités d'islamophobes parce qu'ils dénoncent l'intégrisme. A la télévision, certains se disent dégoûtés des libéraux. Mais comment voter pour les conservateurs, usés et surtout plus anti-laïcs encore que les multiculturalistes de gauche...

Stephen Harper a beau avoir tenté de jouer des peurs vis-à-vis de l'islam, il n'est pas parvenu à faire oublier combien il portait lui-même un conservateur ultra-religieux, évangélique, plaçant la liberté religieuse au-dessus des devoirs, hostile depuis des années à une Charte permettant de réaffirmer la laïcité au Québec...

Entre une droite religieuse et une gauche voulant tout pardonner à l'intégrisme, le choix des Canadiens n'est décidément guère enviable en matière de laïcité. Mieux vaut s'inspirer de leur ouverture d'esprit envers les réfugiés.

Universalistes contre monoculturalistes et multi-culturalistes

Le multiculturel, la diversité d'une société, c'est une richesse culturelle, qui concerne aussi bien la France que le Canada. Le multiculturalisme désigne autre chose: une façon d'orienter les politiques publiques vers le droit à la différence plutôt que le droit à l'indifférence.

Pour faire simple, en France, on pense que l'égalité de tous les citoyens passe par le fait de respecter tous l'égalité hommes-femmes, la mixité et la laïcité, quelle que soit son origine ou sa religion.

Au Canada, pays fédéral, régi par une vision plus multiculturaliste, certains pensent que l'égalité consiste à défendre le droit de porter le voile en toutes circonstances, ou à bénéficier d'horaires non mixtes à la piscine. C'est ce que l'on appelle "les accommodements raisonnables". Des accommodements qui ont dérivé et font débat.

Ces dernières années, il existe même un bras de fer très vif entre les tenants de cette vision du multiculturalisme facilitant l'intégrisme et les tenants d'un modèle québécois plus proche de l'esprit français, universaliste et laïque. Mais comme en France, ce face-à-face est souvent piégé par une troisième posture: ceux qui prétendent lutter contre les dérives intégristes en réaffirmant une identité majoritaire, franchement mono-culturaliste...

Le catéchisme multiculturaliste de Pierre Manent

En France, rares sont ceux qui osent se dire ouvertement monoculturalistes, multiculturalistes ou même hostiles au modèle républicain laïc. Pierre Manent hésite mais saute le pas dans son livre, Situation française.

Sous prétexte d'être plus ouvert ou plutôt d'avoir affaire à un islam totalement fermé, l'auteur invite la République laïque à "céder"... Et à s'accommoder. Face à ce qu'il décrit de façon essentialiste comme des "mœurs musulmanes" difficiles à faire évoluer, son livre nous explique que la laïcité n'est pas la solution mais plutôt un problème. Sur la fin, son plaidoyer semble même vouloir dessiner une nation plus spirituelle grâce à une sorte de sainte Alliance entre monothéismes, ainsi revigorés grâce au détricotage de la laïcité.

Ce qui revient à prôner le pire des "accommodements" à la canadienne, sur ton de catéchisme, semble séduire à la fois multiculturalistes et monoculturalistes. Tous unis pour parler fort et simple, en vue de défaire la seule chose qui marche encore dans ce pays, même si elle est toute en nuances et bien plus complexe à défendre: notre ambition laïque universaliste.

Chronique à retrouver tous les lundis sur France Culture à 7h18.


Caroline Fourest est l'auteure de La dernière utopie (Grasset, Livre de Poche).


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