Ce que la "paix des brevets" entre Google et Microsoft nous dit de leur conccurence
Google et Microsoft ont annoncé la semaine dernière avoir mis un terme par un accord à une vingtaine de procès qui les opposaient depuis 2010 sur la contrefaçon de brevets. Ceux-ci concernaient des technologies relatives aux smartphones, aux communications Wi-Fi et à la distribution de vidéos sur Internet. Cet accord permet aux deux groupes d'échapper à l'incertitude judiciaire qui faisait peser sur eux des risques financiers considérables : au moment où les actions judiciaires ont été lancées, l'enjeu était de plusieurs milliards de dollars par an de redevances, avec des risques d'interdiction de commercialiser des produits majeurs pour les deux groupes.
Cet accord se situe dans le droit fil de plusieurs autres accords ayant mis un terme aux guerres similaires entre Apple et Samsung, Microsoft et Samsung, notamment. On notera cependant que cet accord entre Google et Microsoft ne traite pas du futur : ce qui a été rendu public n'indique pas que les deux groupes se sont concédé réciproquement licence de l'ensemble de leurs brevets. Il s'agit donc d'une trêve et non d'une paix définitive. Une première question posée par ce type d'accords est de savoir si la valeur des droits de brevet va en être affectée. Une deuxième question est de savoir quelles conséquences les entreprises françaises doivent en tirer pour la protection de leurs propres innovations.
La valeur des brevets est-elle affectée par l'accord entre Google et Microsoft ?
Une tendance lourde, dont l'accord entre Google et Microsoft est une conséquence, est que les brevets portant sur des standards, nombreux dans l'économie numérique, sont amputés d'une partie de la valeur qu'ils avaient encore récemment : de nombreuses juridictions aux Etats-Unis, en Europe et en Asie ont jugé que les entreprises qui avaient participé à des travaux de normalisation, et déposé des brevets couvrant les standards issus de ces travaux, avaient pris l'engagement d'en concéder licence à ceux qui commercialisaient des produits mettant en œuvre ces standards à des conditions "Justes, Raisonnables et Non Discriminatoires", "Fair, Reasonable And Non Discriminatory" ou FRAND en anglais.
Deux conséquences importantes ont été tirées de cette position :
Dans ce contexte, on ne peut que comprendre la logique de la décision de Google et Microsoft de mettre un terme (provisoire ?) à une guerre dans laquelle leurs armes étaient fortement émoussées : mieux vaut un bon accord qu'une guerre sans issue prévisible. Seuls les avocats des deux parties auraient sans doute profité de la poursuite des contentieux en cours...
Google et Microsoft vont continuer à se concurrencer sur leurs marchés avec leurs produits et, vraisemblablement, à les protéger par des brevets. Il ne semble pas y avoir de baisse des dépôts de brevets des deux groupes. Les nombres sont d'ailleurs impressionnants : Google a 3500 familles de brevets déposées à son nom en 2013 (1600 en 2009) et Microsoft, 3600 (4300 en 2009) ! Ces deux géants ne font pas les choses à moitié et ils ont probablement compris que les brevets portant sur des standards ne pouvaient suffire...
Un premier enseignement de cette tendance de fond, dont l'accord entre Google et Microsoft n'est qu'une manifestation, est donc que parmi les brevets portant sur des produits, ceux qui protègent des architectures, des applications ou des interfaces originales peuvent avoir plus de valeur que ceux portant sur les technologies de base normalisées, qui seront normalement accessibles à tous ceux qui voudront commercialiser des applications utilisant ces technologies de base. Sans exclure une présence sur les standards, sans doute désormais plus ouverts, c'est sur ces couches applicatives que vont probablement se concentrer les investissements futurs en brevets.
Quelles conséquences pour les entreprises françaises ?
Dans cet océan de brevets, les entreprises françaises sont des petits poissons : les plus grands groupes à base française du même domaine technique, Alcatel Lucent, Technicolor et Orange ont respectivement déposé 1600, 700 et 500 demandes de brevet en 2013. Certaines d'entre elles ont été en contentieux avec les grands groupes américains ou asiatiques précités et ont signé des accords avec elles. La paix (armée) entre Google et Microsoft ne change probablement pas grand-chose pour elles. Elles sont affectées comme ces dernières par la "démonétisation" des brevets dits "Standard essential" ou SEP. Mais elles ont comme elles dans leurs portefeuilles des brevets applicatifs qui leur permettent de protéger à la fois leurs parts de marché sur leurs produits et leurs investissements dans les technologies de base.
Cependant, celles qui tirent une partie significative de leurs profits opérationnels d'une activité de licensing de leurs brevets subissent sans doute les conséquences de cette démonétisation des brevets SEP : Alcatel-Lucent ne pourrait sans doute plus aujourd'hui garantir un emprunt de plus de 2 milliards de dollars par son portefeuille de 29.000 brevets...
Les PME et startups ne sont pas directement affectées par ces accords de géant. On observera que, de manière générale, dans un univers de concurrence féroce, ce sont plutôt les grands groupes qui ont intérêt à émousser ou neutraliser les armes que pourraient utiliser contre eux ceux qui n'ont pas leur pouvoir de marché.
Celles qui coopèrent avec ces grands groupes mondiaux à l'affût d'innovations de la "vieille" Europe, savent qu'il convient de se protéger, notamment par des brevets, avant de coopérer avec eux. Il ne faut pas penser que la paix (relative) des brevets doit conduire au désarmement. Nous ne vivons pas encore dans un monde de bisounours...
Cet accord se situe dans le droit fil de plusieurs autres accords ayant mis un terme aux guerres similaires entre Apple et Samsung, Microsoft et Samsung, notamment. On notera cependant que cet accord entre Google et Microsoft ne traite pas du futur : ce qui a été rendu public n'indique pas que les deux groupes se sont concédé réciproquement licence de l'ensemble de leurs brevets. Il s'agit donc d'une trêve et non d'une paix définitive. Une première question posée par ce type d'accords est de savoir si la valeur des droits de brevet va en être affectée. Une deuxième question est de savoir quelles conséquences les entreprises françaises doivent en tirer pour la protection de leurs propres innovations.
La valeur des brevets est-elle affectée par l'accord entre Google et Microsoft ?
Une tendance lourde, dont l'accord entre Google et Microsoft est une conséquence, est que les brevets portant sur des standards, nombreux dans l'économie numérique, sont amputés d'une partie de la valeur qu'ils avaient encore récemment : de nombreuses juridictions aux Etats-Unis, en Europe et en Asie ont jugé que les entreprises qui avaient participé à des travaux de normalisation, et déposé des brevets couvrant les standards issus de ces travaux, avaient pris l'engagement d'en concéder licence à ceux qui commercialisaient des produits mettant en œuvre ces standards à des conditions "Justes, Raisonnables et Non Discriminatoires", "Fair, Reasonable And Non Discriminatory" ou FRAND en anglais.
Deux conséquences importantes ont été tirées de cette position :
- Les redevances doivent être fixées par le titulaire du brevet à un niveau qui reste compatible avec une marge raisonnable, en tenant compte de tous les autres brevets pour lesquels des redevances peuvent être dues, et de la valeur ajoutée par la fonction couverte par le brevet ;
- Une interdiction de vendre n'est imposée au contrefacteur que si celui-ci n'a pas accepté d'entrer dans une négociation sérieuse d'un accord de licence à des conditions raisonnables.
- Or une grande partie des brevets opposés par Google à Microsoft venaient de Motorola Mobility et portaient sur des standards de communication sans fil. Google demandait des redevances à un taux de 2,25% du chiffre d'affaires des terminaux commercialisés par Microsoft, qui ont été jugées excessives par un juge américain, qui a également refusé de délivrer une ordonnance d'interdiction de vendre les produits en question. De manière symétrique, Microsoft était titulaire de nombreux brevets portant notamment sur des standards de compression vidéo ou audio et des fonctions d'operating system.
Dans ce contexte, on ne peut que comprendre la logique de la décision de Google et Microsoft de mettre un terme (provisoire ?) à une guerre dans laquelle leurs armes étaient fortement émoussées : mieux vaut un bon accord qu'une guerre sans issue prévisible. Seuls les avocats des deux parties auraient sans doute profité de la poursuite des contentieux en cours...
Google et Microsoft vont continuer à se concurrencer sur leurs marchés avec leurs produits et, vraisemblablement, à les protéger par des brevets. Il ne semble pas y avoir de baisse des dépôts de brevets des deux groupes. Les nombres sont d'ailleurs impressionnants : Google a 3500 familles de brevets déposées à son nom en 2013 (1600 en 2009) et Microsoft, 3600 (4300 en 2009) ! Ces deux géants ne font pas les choses à moitié et ils ont probablement compris que les brevets portant sur des standards ne pouvaient suffire...
Un premier enseignement de cette tendance de fond, dont l'accord entre Google et Microsoft n'est qu'une manifestation, est donc que parmi les brevets portant sur des produits, ceux qui protègent des architectures, des applications ou des interfaces originales peuvent avoir plus de valeur que ceux portant sur les technologies de base normalisées, qui seront normalement accessibles à tous ceux qui voudront commercialiser des applications utilisant ces technologies de base. Sans exclure une présence sur les standards, sans doute désormais plus ouverts, c'est sur ces couches applicatives que vont probablement se concentrer les investissements futurs en brevets.
Quelles conséquences pour les entreprises françaises ?
Dans cet océan de brevets, les entreprises françaises sont des petits poissons : les plus grands groupes à base française du même domaine technique, Alcatel Lucent, Technicolor et Orange ont respectivement déposé 1600, 700 et 500 demandes de brevet en 2013. Certaines d'entre elles ont été en contentieux avec les grands groupes américains ou asiatiques précités et ont signé des accords avec elles. La paix (armée) entre Google et Microsoft ne change probablement pas grand-chose pour elles. Elles sont affectées comme ces dernières par la "démonétisation" des brevets dits "Standard essential" ou SEP. Mais elles ont comme elles dans leurs portefeuilles des brevets applicatifs qui leur permettent de protéger à la fois leurs parts de marché sur leurs produits et leurs investissements dans les technologies de base.
Cependant, celles qui tirent une partie significative de leurs profits opérationnels d'une activité de licensing de leurs brevets subissent sans doute les conséquences de cette démonétisation des brevets SEP : Alcatel-Lucent ne pourrait sans doute plus aujourd'hui garantir un emprunt de plus de 2 milliards de dollars par son portefeuille de 29.000 brevets...
Les PME et startups ne sont pas directement affectées par ces accords de géant. On observera que, de manière générale, dans un univers de concurrence féroce, ce sont plutôt les grands groupes qui ont intérêt à émousser ou neutraliser les armes que pourraient utiliser contre eux ceux qui n'ont pas leur pouvoir de marché.
Celles qui coopèrent avec ces grands groupes mondiaux à l'affût d'innovations de la "vieille" Europe, savent qu'il convient de se protéger, notamment par des brevets, avant de coopérer avec eux. Il ne faut pas penser que la paix (relative) des brevets doit conduire au désarmement. Nous ne vivons pas encore dans un monde de bisounours...
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