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Октябрь
2015

Avec Nancy Huston dans le bad show des intellos

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Pourquoi ce titre pour évoquer les débats qui portent sur les intellectuels dits médiatiques qui s'opposent aux intellectuels de gauche ou de la vraie gauche ? Tout d'abord, parce que j'apprécie particulièrement Nancy Huston dont je viens de lire l'autobiographie-roman intitulée Bad Girl. Je lis ses romans avec plaisir, entre autres parce qu'ils me font penser et m'interpellent profondément. On peut voir chez elle des discours de gauche, par exemple son ouverture à l'autre et sa compréhension fine des formes de la domination.

Elle s'attaque à certaines théories ou groupes de théories comme certaines idées tirées de la psychanalyse, des études de genre ou de la biologie. Cela suffirait à la classer à droite pour certains mais ce que j'apprécie c'est justement sa liberté de ton, son refus d'adhérer à un camp et son intrépidité dans l'écriture. Je sens une auteure authentique, qui pense avec talent grâce à la littérature et qui donc ne peut respecter aucune orthodoxie. Je ne me sens pas obligé d'être d'accord avec elle, ses idées, les idées de ses personnages mais ses interpellations génèrent de la réflexion et de l'émotion. Elle nourrit ma pensée sans réclamer une affiliation idéologique et je ne ressens nul besoin d'adhérer. Être d'accord ou pas est secondaire, ma liberté de penser se régale de la sienne. J'apprécie et j'aime (souvent).

Certes, il s'agit de littérature pas de philosophie ou de science politique mais dans le débat actuel au moins un écrivain est au centre des débats : Michel Houellebecq car la forme littéraire sert aussi à penser. Je préfère penser avec Nancy Huston, Joyce Carol Oates ou Philip Roth, par exemple, qu'avec Houellebecq car elles (et il) m'ouvrent plus de perspectives.

Je trouve matière à penser chez Debray, Chomsky, Camus, Onfray, Todorov mais aussi Plenel, Chamayou, Sartre ainsi qu'Aron. Dans le débat sur les intellectuels médiatiques la pensée semble parfois réduite à la quête d'un maître ou d'un gourou. Onfray dit des choses avec lesquelles je suis en désaccord mais j'ai bien aimé certains de ses bouquins ; Todd a publié des livres captivants comme Le Destin des immigrés, mais il tombe parfois dans le café du commerce dans ses interventions médiatiques. Je pense que Camus a mieux résisté au temps que Sartre, ce que beaucoup de mes amis de gauche n'acceptent pas. Le désaccord est fructueux. Les intellectuels qui veulent être des maîtres à penser ne servent pas à grand-chose mais leur participation aux débats républicains est cruciale.

Je regarde parfois les débats entre Badiou et divers intellectuels sur Mediapart sans être un fan de Badiou et souvent il ressort de ces confrontations, toujours courtoises, des idées stimulantes. Il m'arrive d'écouter Finkielkraut sur France culture et je trouve qu'il sait aussi bien faire parler ses invités, comme Badiou dont il est bien évidemment l'opposé idéologique. Il est clair que je suis aux antipodes de Finkielkraut sur nombre de plans politiques et que je trouve certaines de ses déclarations inacceptables mais, dans le même temps, j'apprécie ses commentaires sur la littérature.

Dans le débat républicain, il est toujours bon d'avoir des voix discordantes et de ne pas exclure à priori ou de censurer. Des débats ont lieu et c'est fort bien s'ils ne disparaissent pas dans la foire médiatique.

La lecture de Nancy Huston invite au questionnement et fait voir des phénomènes divers sous des angles inattendus ; elle m'oxygène les méninges. C'est vrai d'un grand nombre d'ouvrages et d'auteurs. Chaque intellectuel peut être lu de cette façon. Ce cheminement est certes contraire à celui du militant mais c'est celui de la pensée critique.

Je peux être en désaccord politique avec Vargas Llosa, qui en passant de gauche au libéralisme a changé de points aveugles, mais apprécier ses romans. Chaque penseur apporte quelque chose même dans le désaccord total. La polémique lancée l'an passé contre Marcel Gauchet pour "Les Rendez vous de l'histoire" de Blois s'articulait sur une demande de censure de Gauchet, demande formulée par deux penseurs de la gauche radicale (Geoffroy de Lagasnerie et Edouard Louis). Une pétition en faveur de Gauchet fut signée, notamment par des universitaires de gauche. Le débat d'idées qui passe par la censure ou les attaques ad hominem est un faux débat qui souvent n'est qu'une chasse à l'homme. Néo-réacs contre néo-stals.

Dans le débat actuel, certains intellectuels me semblent surestimer le pouvoir des intellectuels sur la marche du monde. L'audience des penseurs est faible même celle de ceux qui se rendent à la télévision où ils (ou elles) risquent de s'énerver, de parler trop vite et où ils devront de toute façon dangereusement simplifier leur pensée. Les intellectuels restent dominés dans le champ du pouvoir (Bourdieu). Les joutes ont lieu entre médias autant qu'entre individus et permettent aussi d'asseoir des notoriétés précisément en passant à la télé pour "clasher" ou "basher" l'ennemi. L'un des problèmes du débat est que les animateurs télé, les amuseurs publics à grand tirage, les journalistes plus ou moins informés dominent la scène médiatique et déterminent le dénominateur commun des échanges. Il s'agit plutôt d'analyser le pouvoir de la sphère médiatique ainsi que les conditions socio-économiques qui favorisent tel ou tel type de discours que de diaboliser quelqu'un qui pense et écrit.

Le débat actuel, où tout le monde est d'accord pour dénoncer la bien-pensance du camp d'en face, n'est pas très nouveau ; les intellectuels ont toujours mené bataille en recourant à l'invective. Il n'y a aucun accord sur la qualité des intellectuels : Camus, Chomsky, Orwell sont adulés par certains et détestés par d'autres intellectuels ou universitaires de renom. Il n'y a pas non plus d'accord sur la définition de l'intellectuel, Sartre ou Edward Said en donnent une définition à l'opposé de celle de Foucault.

Je suis assez admiratif du principe défendu par l'ACLU (American Civil Liberties Union) pour qui la seule façon de contrer des paroles inacceptables est de produire d'autres paroles (more speech against offensive speech). La lecture de Nancy Huston est une ouverture sur les mondes possibles et n'implique en rien une position idéologique. Si je lis un auteur réac cela ne veut pas dire que je suis ou vais devenir réac. Si je ne lis ou regarde que ceux qui pensent comme moi, je deviens vite un disciple aveugle ou un true believer (fidèle borné). En tant que citoyen, je n'ai pas besoin de gourou ou de maître à penser mais je bénéficie de ce que le débat public dans une démocratie offre de divers et de contradictoire pour me forger une pensée personnelle. Celle-ci est toujours le résultat de diverses influences donc une production collective faite des hasards et des nécessités de mes rencontres culturelles.

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