Catalogne, la révolution des sourires
INTERNATIONAL - Le 27 septembre prochain, les Catalans sont appelés aux urnes pour les élections du parlement régional de Catalogne. Il est évident pour tous ceux qui suivent avec intérêt cette consultation et plus largement s'intéressent aux événements outre Pyrénées et à l'Europe, que malgré les démentis répétés, affolés et hargneux du gouvernement espagnol, ce n'est absolument pas une consultation comme les autres.
Les forces politiques catalanes favorables au droit de décider et au-delà à l'indépendance de cette région autonome ont constitué, tous courants politiques confondus, avec d'importantes organisations de la société civile catalane, Omnium culturel et l'Assemblée National Catalane, une liste transversale d'union appelée "Ensemble pour le oui" (Junts pel si), avec comme objectif la mise en œuvre d'un processus négocié, démocratique et pacifique de séparation de l'Espagne et d'indépendance de la Catalogne, s'ils obtiennent une majorité claire des suffrages ou des sièges du parlement catalan.
Cette perspective inouïe de tentative et de volonté de séparation d'une région appartenant à un Etat membre de l'Union européenne survient un an après le processus de consultation démocratique en Ecosse, exemplaire du point de vue du respect de la volonté populaire dans le cadre de la Grande-Bretagne et quelques décennies après l'apparition des nouveaux Etats européens issus de la dislocation du bloc soviétique ou de l'ex Yougoslavie, ayant modifié le paysage politique européen.
Il est pertinent de signaler qu'il est plus que probable que jamais un gouvernement espagnol négociera ou donnera son consentement à l'indépendance de la Catalogne. Penser que la Catalogne, qui a été le moteur économique de l'Espagne à plusieurs périodes de leur histoire commune et aujourd'hui encore productrice du cinquième du PIB de l'Espagne, serait libre de choisir pacifiquement et démocratiquement son destin, d'exercer le droit à la souveraineté et à l'indépendance et le pouvoir de décider par soi même, avec le consentement du gouvernement espagnol et avec le plein gré d'une majorité de la population espagnole est plus qu'improbable.
Si cette éventualité devrait se concrétiser, elle le sera contre la volonté et dans l'opposition farouche du gouvernement espagnol. Rien ne leur sera épargné en cas de défaite, ils seront étrillés et piétinés politiquement et économiquement sans pitié et sans vergogne comme lors des précédents historiques. Si les Catalans veulent vraiment être libres et décider seuls et souverainement de leur destin, même pacifiquement et démocratiquement, ils devront arracher cette liberté au pouvoir de Madrid. La classe politique et les élites espagnoles au pouvoir, contrairement aux britanniques ou canadiennes, n'ont ni la volonté, ni la culture, ni la maturité démocratique, ni la hauteur de vue pour accepter une telle probabilité. Pour eux, la Catalogne, outre le fait d'être un porte-monnaie, appartient de droit à l'Espagne, de gré ou de force. Elle est une propriété, une possession espagnole et doit le rester.
Le rappel des précédents historiques est symptomatique du sort réservé par l'Espagne aux vaincus. En 1714, la tête d'un des principaux généraux catalans de l'armée autrichienne, Josep Moragues i Mas, héros parmi tant d'autres défenseurs des libertés catalanes au siège de Barcelona, a été, après avoir été décapité et écartelé (guère mieux que ce que fait Daech aujourd'hui dans leur califat, mais c'était une autre époque), exposée dans une cage en fer au port de Barcelona pendant douze années, 12, au titre d'avertissement, en faisant fi de tous les traités et tractations internationales de l'époque. Rien de tel que la peur pour refroidir les ardeurs patriotiques catalanes.
Plus récemment, le 123e président légitimement et démocratiquement élu de la "Generalitat de Catalunya", l'institution de gouvernement de l'autonomie catalane, quelque soit le regard porté sur son action politique dans les circonstances exceptionnelles de la guerre civile, Lluis Compayns i Jover, a été fusillé en 1939 après avoir été arrêté en France par la gestapo avec l'aide de la police française de Vichy et livré à la vengeance franquiste à l'issue de la guerre civile. Non tant parce qu'il était républicain, mais parce qu'il était catalan et le symbole éminent de la Catalogne institutionnelle. En fusillant son président, Franco fusillait la Catalogne. Le signal renvoyé par les nationalistes (espagnols !) et la symbolique était limpide pour tous les Catalans.
La dernière tentative de la part de la Catalogne de corriger la tendance atavique au centralisme bureaucratique de Madrid, avec la mise en œuvre d'un nouveau statut d'autonomie en 2006, voté démocratiquement par le parlement espagnol, par le parlement catalan et approuvé par référendum du peuple catalan, lui permettant d'envisager une meilleure gestion au niveau local des services publics et de son économie avec plus de fluidité, rationalité, rapidité et efficacité, qualités dont Madrid et particulièrement le gouvernement réactionnaire du Parti Populaire sont, d'après le gouvernement autonome et une frange importante de la société civile catalane, totalement dépourvus et de tenter de corriger avec la négociation d'un nouveau pacte fiscal, semblable à celui dont jouit le pays Basque. L'injustice réelle ou vécue comme telle, qui consiste à maintenir un régime fiscal permettant à l'Etat de prélever un taux de la richesse produite par la Catalogne bien plus élevé, parfois proche du double, du taux moyen consenti et en usage dans les autres démocraties européennes pour leurs régions et territoires autonomes, faisant que, bien que la Catalogne produit un PIB qui devrait a priori être suffisant, d'après les souverainistes catalans, pour lui permettre d'assurer sans difficultés, la couverture de la majorité de ces dépenses publiques, de sa dette, le renouvellement de ses infrastructures et l'investissement. En plus d'une contribution de solidarité plus juste et plus acceptable au budget de l'Etat espagnol, elle se trouve dans la situation de, non seulement ne pas pouvoir financer la totalité de ses dépenses publiques et le renouvellement de ses infrastructures, mais dans l'obligation en outre de s'endetter pour y parvenir partiellement, alors qu'il n'y aurait aucune raison de le faire, d'après les indépendantistes, si elle disposait et du pouvoir de décision et du contrôle de ses finances, tout en contribuant solidairement dans des proportions justes et équitables au budget de l'Etat et à la solidarité entre régions.
L'une et l'autre de ses tentatives de réforme institutionnelle entreprises par la Catalogne, le nouveau statut d'autonomie de 2006 et le projet de nouveau pacte fiscal, ont été rejetées par le gouvernement du PP à Madrid ou mis en cause par le tribunal constitutionnel en 2010 après leur mise en œuvre, ne laissant apparemment à la Catalogne comme dilemme devant cette déception et par dépit, tout au moins vécu comme tel par une part croissante de la population catalane, d'autre choix que, au mieux, continuer dans une situation de dépendance politique, de précarité économique et social, avec des infrastructures insuffisantes, inadaptées et mal entretenues, des décisions importantes pour le territoire prises exclusivement à Madrid par des fonctionnaires et des politiques, jamais ou rarement catalans, ignorant tout du territoire et sans tenir compte de la réalité, des avis et souhaits de la population catalane, au pire, se paupériser en ayant le sentiment d'être rackettés légalement d'une part indue des fruits de son travail et de disparaître dilués dans un état centralisateur et prédateur, soit de réagir et d'arracher le droit de disposer par eux-mêmes de leur propre avenir pacifiquement et démocratiquement et du pouvoir de décision sur leur propre existence et sur leur destin en tant qu'individus et en tant que collectivité.
Il serait pertinent de faire un peu de statistique, pour comprendre une des sources de l'incompréhension par Madrid de la société, de la mentalité et de la culture catalane, en vérifiant combien de ministres du gouvernement et de hauts fonctionnaires directeurs des grandes administrations de l'Etat il y a eu dans les gouvernements espagnols depuis le retour de la démocratie à la fin des années 70, et combien parmi eux sont d'origine catalane. Le pourcentage obtenu serait à lui seul révélateur du malaise et du problème catalan et de celui de la caste politique espagnole qui gouverne et dirige le pays, droite et gauche confondues avec une mention spécial au PP et à son absence totale de sens du compromis et de la négociation. Intéressant à noter qu'il n'y a presque pas ou très peu d'officiers militaires d'origine catalane, ce qui est extrêmement révélateur de ce malaise pour nous Français, habitués à une armée républicaine issue de toutes les couches sociales et territoires de la nation. Se poser la question sur ces paradoxes est déjà répondre un peu au conflit catalano-espagnol.
La situation politique actuelle est partiellement le résultat de la politique réactionnaire du parti populaire (PP) gouvernant à Madrid, lequel est objectivement pour beaucoup et malgré lui, le meilleur allié des souverainistes catalans. Plus le gouvernement du PP s'acharne par des manœuvres dilatoires et grossières à ignorer le particularisme criant et à vilipender la Catalogne, plus croît le nombre de Catalans favorables au droit de décider de leur destin, tant il sert de repoussoir à ces derniers. Héritier des traditions politiques, religieuses et sociales les plus rétrogrades, anachroniques et réactionnaires du pays, le PP est une vrai usine à fabriquer des indépendantistes, par leur incapacité totale à penser une Espagne autrement qu'en entité politique monolithique gouverné exclusivement par le centre, sans tenir compte ni de l'histoire passée et récente ni de la détermination farouche des Catalans à préserver leur identité propre, et par l'incapacité à envisager un modèle institutionnel différent qui respecte la pluralité, la particularité et la différence des peuples et de citoyens qui composent l'Etat et qui soit un projet fédérateur partagé par tous, ou chaque composante participe réellement et effectivement aux prises de décision de l'ensemble.
La situation ne serait probablement jamais arrivée au point de rupture actuel si Madrid avait négocié un pacte fiscal équitable et juste et parvenu à un compromis durable et si le Conseil constitutionnel n'avait pas à la demande et à l'instigation du PP censuré après coup, un statut politiquement approuvé par les partis, les parlements et la population.
L'Espagne ne se ruinera probablement pas par la mise en œuvre d'un nouveau pacte fiscal plus juste pour la Catalogne, sauvegardant la nécessaire solidarité envers les autonomies déficitaires et par l'ensemble des dispositions d'un statut d'autonomie rénové pour permettre à la Catalogne de décider par elle-même rapidement et efficacement sur les questions qui concernent exclusivement le territoire, santé, éducation, infrastructures, langue, culture, transports etc.
Mais sans doute cela obligera le gouvernement central à une remise en cause salutaire de son positionnement démocratique, à revoir son mode de fonctionnement, et ses capacités de gestion d'un Etat moderne. Le refus du gouvernement du PP de faire évoluer le cadre institutionnel, 35 ans après avoir été pacté avec la dictature franquiste, pour tenir compte de la réalité historique, sociologique, démocratique et plurielle de l'Espagne est une erreur (horreur?) politique majeure, mais probablement voulue, souhaitée et sciemment recherchée par le PP dans une énième tentative espagnole d'éradiquer définitivement l'identité catalane.
Une fois de plus, comme en 1714 avec Philippe V de Bourbon, (petit fils de Louis XIV) et en 1936 par le Général Francisco Franco, l'Espagne est probablement prête à casser par tous les moyens, quels qu'ils soient, sans reculer probablement devant rien, toute tentative d'évolution et de modernisation du cadre institutionnel, plutôt que perdre les privilèges, rentes, avantages économiques, financiers et politiques qu'ils ont conquis et conservés par les armes et la violence au long de l'histoire, plutôt que remettre en cause un modèle inefficace et archaïque, qui a favorisé le maintien de grandes fortunes prédatrices et l'accumulation éhontée de capital et des terres, les fameux "latifundios", par une minorité de privilégiés, les grands d'Espagne, autrefois aristocrates de l'Ancien régime, maintenant banquiers et rentiers ultra riches du capitalisme financier débridé et international, plutôt que favoriser l'évolution structurelle, la modernisation de l'économie et le progrès de l'ensemble de la société pour le bien être de la majorité des citoyens. Il suffit de rappeler la très dure crise économique en cours, avec la dramatique perte des logements pour des dizaines de milliers de familles espagnoles à la rue, la fermeture de milliers de commerces et de petites entreprises, du chômage massif des jeunes, des tentatives d'involution sociétale intentées par le PP, comme la tentative de limiter l'interruption de grossesse, pour y voir les signes d'une forme d'archaïsme doctrinal du modèle espagnol promu par le PP, frange la plus réactionnaire et la moins démocratique d'Espagne.
Les dirigeants actuels du PP à Madrid sont les héritiers en ligne directe de cette Espagne-là, incapables d'envisager autre chose et autrement. Le PP est vu par beaucoup de Catalans comme un parti démocrate décaféiné et la démocratie espagnole comme une démocratie light qui ne résisterait pas six mois aux normes, aux pratiques et aux règles démocratiques de dialogue et de compromis du nord de l'Europe. La démocratie espagnole n'est pas née d'une évolution ou d'une révolution démocratique, mais d'un compromis, pour beaucoup bancal et a minima entre les forces politiques de l'opposition et les héritiers d'une dictature d'extrême droite (c'est le moins qu'on puisse dire en faisant l'effort d'oublier que le régime franquiste était au départ alliée des nazis). Et la Catalogne, héritière des marches de l'empire carolingien, profondément européenne par nature et culture, par son sens du compromis et du dialogue, du progrès social, son sens de l'entreprenariat et du risque, du travail et du commerce, n'en veut pas de cette Espagne-là. Tout au moins n'en veut plus.
La Catalogne a espéré et cru parfois pouvoir changer cette Espagne pour la sortir de son autisme et contribuer à sa modernisation. Elle a rêvé de former une autre Espagne. Une Espagne réellement démocratique, plurielle et respectueuse des différences. Il est possible que cette volonté soit maintenant totalement anéantie. Quelque chose s'est fatalement et irrémédiablement cassé depuis 2010 en Catalogne. La confiance n'y est plus. Cela fait plusieurs siècles déjà qu'elle a essayé de changer l'Espagne de l'intérieur, sans succès, peine perdue. Peut-on reprocher aux Catalans en désespoir de cause de vouloir voler de leurs propres ailes vers un modèle de société différent, plus proche des standards européens ou scandinaves, qui n'est pas partagé par l'élite politique de Madrid, et de vouloir s'en émanciper démocratiquement et pacifiquement de façon rationnelle et adulte? Pour beaucoup de Catalans, il n'y a plus rien à attendre désormais de bon ni de mieux de l'Espagne actuelle. Trop peu, trop tard. Ce n'est pas un sentiment contre l'Espagne ou les Espagnols en soi. C'est une aversion profonde et amère contre une forme et une vision politique de l'Espagne qui n'est pas, qui n'est plus, la leur.
L'indépendantisme catalan n'est pas vécu par la plupart des Catalans comme une réaction contre l'Espagne ou contre les Espagnols avec lesquels ils partagent une histoire torturée mais commune.
La plupart des Catalans ont du respect et de l'admiration pour la culture espagnole, fruit de ce passé partagé, pour sa littérature, ses arts, ses monuments, ses paysages magnifiques, sa diversité et ses gens. Aucun mépris de la majorité des Catalans de cette richesse culturale et de l'identité espagnole. Uniquement la volonté que l'Espagne politique leur foute la paix une fois pour toutes, faute de pouvoir s'entendre et faute de vouloir partager un destin commun. Qu'elle les laisse tranquilles et s'occupe uniquement de ses propres problèmes, qui sont nombreux. Les Catalans souverainistes ont à cœur et se sentent suffisamment adultes et capables de s'occuper par eux-mêmes de leurs propres problèmes sans vouloir s'occuper de ceux des autres.
La Catalogne se bat depuis trois siècles déjà, inlassablement, pour sauvegarder sa langue, sa culture et ses institutions politiques avec l'esprit industrieux, marchand, libéral, européen avant l'heure et démocratique. La seule façon de connaître si cette aspiration de la société catalane est majoritaire ou pas était, soit la consultation par référendum avec une question clairement posée, ce à quoi s'est opposé farouchement le gouvernement espagnol, soit par des élections régionales avec une coalition de partis qui se présentent avec l'indépendance comme programme essentiel, ce contre quoi le gouvernement espagnol ne peut rien y faire sauf à se déjuger en tant que démocrates et à suspendre l'autonomie de la Catalogne ou sortir les chars dans la rue pour montrer "l'autre visage" de la démocratie espagnole post franquiste et les limites de l'exercice démocratique en Espagne. La récente et glaçante précision du gouvernement à Madrid ces derniers jours, excluant explicitement une intervention armée en Catalogne est à la fois symptomatique et inquiétante des tentations non avouées d'une partie du PP.
La population de la Catalogne s'achemine lentement mais tenacement vers le droit d'exprimer leur volonté d'émancipation de la tutelle espagnole et vers la tentative de prendre leur destin en main par la voix démocratique et pacifique et renouer ainsi avec leur souveraineté nationale perdue. Lasse aujourd'hui de l'impéritie des gouvernements espagnols mise en évidence dans l'échec économique et financier patent et dramatique que vit l'Espagne et dont le soutien et l'appartenance à l'Union Européenne l'empêche de sombrer entièrement. Elle est décidée manifestement, si la majorité le souhaite et d'après les enquêtes d'opinion récentes, à saisir son destin et à se libérer définitivement de l'appartenance à une construction politique bâtie parfois contre elle ces derniers siècles et dans laquelle elle ne se reconnaît plus.
Pourquoi reconnaît-on aux pays Baltes, Estonie, Lituanie et Lettonie le bien-fondé du droit de se séparer unilatéralement de l'Union soviétique, au Monténégro, à la Croatie, la Slovénie, la Bosnie, le Kosovo et la Macédoine le droit de se séparer unilatéralement de la Yougoslavie, à la Slovaquie le droit de se séparer d'un commun accord de la Tchéquie, à l'Ecosse et au Québec le droit d'exprimer leur volonté sur leur destin et pourquoi est si difficile d'envisager le droit de faire de même pour la Catalogne, pacifiquement et démocratiquement, si une majorité qualifié et conséquente de ses citoyens le réclament, partant du postulat qu'en démocratie le pouvoir ultime et la souveraineté réside dans le peuple, dans sa volonté démocratiquement exprimé et dans l'existence d'un droit naturel des peuples à assumer leur destin et des minorités à disposer d'un Etat, tel que pensé et formulé par la doctrine Wilson au cours du XX siècle. Argumentaire par ailleurs qui a le don d'exaspérer le gouvernement de Madrid qui ne veut sous aucun prétexte laisser échapper le coffre-fort qui est la Catalogne.
Les forces politiques catalanes favorables au droit de décider et au-delà à l'indépendance de cette région autonome ont constitué, tous courants politiques confondus, avec d'importantes organisations de la société civile catalane, Omnium culturel et l'Assemblée National Catalane, une liste transversale d'union appelée "Ensemble pour le oui" (Junts pel si), avec comme objectif la mise en œuvre d'un processus négocié, démocratique et pacifique de séparation de l'Espagne et d'indépendance de la Catalogne, s'ils obtiennent une majorité claire des suffrages ou des sièges du parlement catalan.
Cette perspective inouïe de tentative et de volonté de séparation d'une région appartenant à un Etat membre de l'Union européenne survient un an après le processus de consultation démocratique en Ecosse, exemplaire du point de vue du respect de la volonté populaire dans le cadre de la Grande-Bretagne et quelques décennies après l'apparition des nouveaux Etats européens issus de la dislocation du bloc soviétique ou de l'ex Yougoslavie, ayant modifié le paysage politique européen.
Il est pertinent de signaler qu'il est plus que probable que jamais un gouvernement espagnol négociera ou donnera son consentement à l'indépendance de la Catalogne. Penser que la Catalogne, qui a été le moteur économique de l'Espagne à plusieurs périodes de leur histoire commune et aujourd'hui encore productrice du cinquième du PIB de l'Espagne, serait libre de choisir pacifiquement et démocratiquement son destin, d'exercer le droit à la souveraineté et à l'indépendance et le pouvoir de décider par soi même, avec le consentement du gouvernement espagnol et avec le plein gré d'une majorité de la population espagnole est plus qu'improbable.
Si cette éventualité devrait se concrétiser, elle le sera contre la volonté et dans l'opposition farouche du gouvernement espagnol. Rien ne leur sera épargné en cas de défaite, ils seront étrillés et piétinés politiquement et économiquement sans pitié et sans vergogne comme lors des précédents historiques. Si les Catalans veulent vraiment être libres et décider seuls et souverainement de leur destin, même pacifiquement et démocratiquement, ils devront arracher cette liberté au pouvoir de Madrid. La classe politique et les élites espagnoles au pouvoir, contrairement aux britanniques ou canadiennes, n'ont ni la volonté, ni la culture, ni la maturité démocratique, ni la hauteur de vue pour accepter une telle probabilité. Pour eux, la Catalogne, outre le fait d'être un porte-monnaie, appartient de droit à l'Espagne, de gré ou de force. Elle est une propriété, une possession espagnole et doit le rester.
Le rappel des précédents historiques est symptomatique du sort réservé par l'Espagne aux vaincus. En 1714, la tête d'un des principaux généraux catalans de l'armée autrichienne, Josep Moragues i Mas, héros parmi tant d'autres défenseurs des libertés catalanes au siège de Barcelona, a été, après avoir été décapité et écartelé (guère mieux que ce que fait Daech aujourd'hui dans leur califat, mais c'était une autre époque), exposée dans une cage en fer au port de Barcelona pendant douze années, 12, au titre d'avertissement, en faisant fi de tous les traités et tractations internationales de l'époque. Rien de tel que la peur pour refroidir les ardeurs patriotiques catalanes.
Plus récemment, le 123e président légitimement et démocratiquement élu de la "Generalitat de Catalunya", l'institution de gouvernement de l'autonomie catalane, quelque soit le regard porté sur son action politique dans les circonstances exceptionnelles de la guerre civile, Lluis Compayns i Jover, a été fusillé en 1939 après avoir été arrêté en France par la gestapo avec l'aide de la police française de Vichy et livré à la vengeance franquiste à l'issue de la guerre civile. Non tant parce qu'il était républicain, mais parce qu'il était catalan et le symbole éminent de la Catalogne institutionnelle. En fusillant son président, Franco fusillait la Catalogne. Le signal renvoyé par les nationalistes (espagnols !) et la symbolique était limpide pour tous les Catalans.
La dernière tentative de la part de la Catalogne de corriger la tendance atavique au centralisme bureaucratique de Madrid, avec la mise en œuvre d'un nouveau statut d'autonomie en 2006, voté démocratiquement par le parlement espagnol, par le parlement catalan et approuvé par référendum du peuple catalan, lui permettant d'envisager une meilleure gestion au niveau local des services publics et de son économie avec plus de fluidité, rationalité, rapidité et efficacité, qualités dont Madrid et particulièrement le gouvernement réactionnaire du Parti Populaire sont, d'après le gouvernement autonome et une frange importante de la société civile catalane, totalement dépourvus et de tenter de corriger avec la négociation d'un nouveau pacte fiscal, semblable à celui dont jouit le pays Basque. L'injustice réelle ou vécue comme telle, qui consiste à maintenir un régime fiscal permettant à l'Etat de prélever un taux de la richesse produite par la Catalogne bien plus élevé, parfois proche du double, du taux moyen consenti et en usage dans les autres démocraties européennes pour leurs régions et territoires autonomes, faisant que, bien que la Catalogne produit un PIB qui devrait a priori être suffisant, d'après les souverainistes catalans, pour lui permettre d'assurer sans difficultés, la couverture de la majorité de ces dépenses publiques, de sa dette, le renouvellement de ses infrastructures et l'investissement. En plus d'une contribution de solidarité plus juste et plus acceptable au budget de l'Etat espagnol, elle se trouve dans la situation de, non seulement ne pas pouvoir financer la totalité de ses dépenses publiques et le renouvellement de ses infrastructures, mais dans l'obligation en outre de s'endetter pour y parvenir partiellement, alors qu'il n'y aurait aucune raison de le faire, d'après les indépendantistes, si elle disposait et du pouvoir de décision et du contrôle de ses finances, tout en contribuant solidairement dans des proportions justes et équitables au budget de l'Etat et à la solidarité entre régions.
L'une et l'autre de ses tentatives de réforme institutionnelle entreprises par la Catalogne, le nouveau statut d'autonomie de 2006 et le projet de nouveau pacte fiscal, ont été rejetées par le gouvernement du PP à Madrid ou mis en cause par le tribunal constitutionnel en 2010 après leur mise en œuvre, ne laissant apparemment à la Catalogne comme dilemme devant cette déception et par dépit, tout au moins vécu comme tel par une part croissante de la population catalane, d'autre choix que, au mieux, continuer dans une situation de dépendance politique, de précarité économique et social, avec des infrastructures insuffisantes, inadaptées et mal entretenues, des décisions importantes pour le territoire prises exclusivement à Madrid par des fonctionnaires et des politiques, jamais ou rarement catalans, ignorant tout du territoire et sans tenir compte de la réalité, des avis et souhaits de la population catalane, au pire, se paupériser en ayant le sentiment d'être rackettés légalement d'une part indue des fruits de son travail et de disparaître dilués dans un état centralisateur et prédateur, soit de réagir et d'arracher le droit de disposer par eux-mêmes de leur propre avenir pacifiquement et démocratiquement et du pouvoir de décision sur leur propre existence et sur leur destin en tant qu'individus et en tant que collectivité.
Il serait pertinent de faire un peu de statistique, pour comprendre une des sources de l'incompréhension par Madrid de la société, de la mentalité et de la culture catalane, en vérifiant combien de ministres du gouvernement et de hauts fonctionnaires directeurs des grandes administrations de l'Etat il y a eu dans les gouvernements espagnols depuis le retour de la démocratie à la fin des années 70, et combien parmi eux sont d'origine catalane. Le pourcentage obtenu serait à lui seul révélateur du malaise et du problème catalan et de celui de la caste politique espagnole qui gouverne et dirige le pays, droite et gauche confondues avec une mention spécial au PP et à son absence totale de sens du compromis et de la négociation. Intéressant à noter qu'il n'y a presque pas ou très peu d'officiers militaires d'origine catalane, ce qui est extrêmement révélateur de ce malaise pour nous Français, habitués à une armée républicaine issue de toutes les couches sociales et territoires de la nation. Se poser la question sur ces paradoxes est déjà répondre un peu au conflit catalano-espagnol.
La situation politique actuelle est partiellement le résultat de la politique réactionnaire du parti populaire (PP) gouvernant à Madrid, lequel est objectivement pour beaucoup et malgré lui, le meilleur allié des souverainistes catalans. Plus le gouvernement du PP s'acharne par des manœuvres dilatoires et grossières à ignorer le particularisme criant et à vilipender la Catalogne, plus croît le nombre de Catalans favorables au droit de décider de leur destin, tant il sert de repoussoir à ces derniers. Héritier des traditions politiques, religieuses et sociales les plus rétrogrades, anachroniques et réactionnaires du pays, le PP est une vrai usine à fabriquer des indépendantistes, par leur incapacité totale à penser une Espagne autrement qu'en entité politique monolithique gouverné exclusivement par le centre, sans tenir compte ni de l'histoire passée et récente ni de la détermination farouche des Catalans à préserver leur identité propre, et par l'incapacité à envisager un modèle institutionnel différent qui respecte la pluralité, la particularité et la différence des peuples et de citoyens qui composent l'Etat et qui soit un projet fédérateur partagé par tous, ou chaque composante participe réellement et effectivement aux prises de décision de l'ensemble.
La situation ne serait probablement jamais arrivée au point de rupture actuel si Madrid avait négocié un pacte fiscal équitable et juste et parvenu à un compromis durable et si le Conseil constitutionnel n'avait pas à la demande et à l'instigation du PP censuré après coup, un statut politiquement approuvé par les partis, les parlements et la population.
L'Espagne ne se ruinera probablement pas par la mise en œuvre d'un nouveau pacte fiscal plus juste pour la Catalogne, sauvegardant la nécessaire solidarité envers les autonomies déficitaires et par l'ensemble des dispositions d'un statut d'autonomie rénové pour permettre à la Catalogne de décider par elle-même rapidement et efficacement sur les questions qui concernent exclusivement le territoire, santé, éducation, infrastructures, langue, culture, transports etc.
Mais sans doute cela obligera le gouvernement central à une remise en cause salutaire de son positionnement démocratique, à revoir son mode de fonctionnement, et ses capacités de gestion d'un Etat moderne. Le refus du gouvernement du PP de faire évoluer le cadre institutionnel, 35 ans après avoir été pacté avec la dictature franquiste, pour tenir compte de la réalité historique, sociologique, démocratique et plurielle de l'Espagne est une erreur (horreur?) politique majeure, mais probablement voulue, souhaitée et sciemment recherchée par le PP dans une énième tentative espagnole d'éradiquer définitivement l'identité catalane.
Une fois de plus, comme en 1714 avec Philippe V de Bourbon, (petit fils de Louis XIV) et en 1936 par le Général Francisco Franco, l'Espagne est probablement prête à casser par tous les moyens, quels qu'ils soient, sans reculer probablement devant rien, toute tentative d'évolution et de modernisation du cadre institutionnel, plutôt que perdre les privilèges, rentes, avantages économiques, financiers et politiques qu'ils ont conquis et conservés par les armes et la violence au long de l'histoire, plutôt que remettre en cause un modèle inefficace et archaïque, qui a favorisé le maintien de grandes fortunes prédatrices et l'accumulation éhontée de capital et des terres, les fameux "latifundios", par une minorité de privilégiés, les grands d'Espagne, autrefois aristocrates de l'Ancien régime, maintenant banquiers et rentiers ultra riches du capitalisme financier débridé et international, plutôt que favoriser l'évolution structurelle, la modernisation de l'économie et le progrès de l'ensemble de la société pour le bien être de la majorité des citoyens. Il suffit de rappeler la très dure crise économique en cours, avec la dramatique perte des logements pour des dizaines de milliers de familles espagnoles à la rue, la fermeture de milliers de commerces et de petites entreprises, du chômage massif des jeunes, des tentatives d'involution sociétale intentées par le PP, comme la tentative de limiter l'interruption de grossesse, pour y voir les signes d'une forme d'archaïsme doctrinal du modèle espagnol promu par le PP, frange la plus réactionnaire et la moins démocratique d'Espagne.
Les dirigeants actuels du PP à Madrid sont les héritiers en ligne directe de cette Espagne-là, incapables d'envisager autre chose et autrement. Le PP est vu par beaucoup de Catalans comme un parti démocrate décaféiné et la démocratie espagnole comme une démocratie light qui ne résisterait pas six mois aux normes, aux pratiques et aux règles démocratiques de dialogue et de compromis du nord de l'Europe. La démocratie espagnole n'est pas née d'une évolution ou d'une révolution démocratique, mais d'un compromis, pour beaucoup bancal et a minima entre les forces politiques de l'opposition et les héritiers d'une dictature d'extrême droite (c'est le moins qu'on puisse dire en faisant l'effort d'oublier que le régime franquiste était au départ alliée des nazis). Et la Catalogne, héritière des marches de l'empire carolingien, profondément européenne par nature et culture, par son sens du compromis et du dialogue, du progrès social, son sens de l'entreprenariat et du risque, du travail et du commerce, n'en veut pas de cette Espagne-là. Tout au moins n'en veut plus.
La Catalogne a espéré et cru parfois pouvoir changer cette Espagne pour la sortir de son autisme et contribuer à sa modernisation. Elle a rêvé de former une autre Espagne. Une Espagne réellement démocratique, plurielle et respectueuse des différences. Il est possible que cette volonté soit maintenant totalement anéantie. Quelque chose s'est fatalement et irrémédiablement cassé depuis 2010 en Catalogne. La confiance n'y est plus. Cela fait plusieurs siècles déjà qu'elle a essayé de changer l'Espagne de l'intérieur, sans succès, peine perdue. Peut-on reprocher aux Catalans en désespoir de cause de vouloir voler de leurs propres ailes vers un modèle de société différent, plus proche des standards européens ou scandinaves, qui n'est pas partagé par l'élite politique de Madrid, et de vouloir s'en émanciper démocratiquement et pacifiquement de façon rationnelle et adulte? Pour beaucoup de Catalans, il n'y a plus rien à attendre désormais de bon ni de mieux de l'Espagne actuelle. Trop peu, trop tard. Ce n'est pas un sentiment contre l'Espagne ou les Espagnols en soi. C'est une aversion profonde et amère contre une forme et une vision politique de l'Espagne qui n'est pas, qui n'est plus, la leur.
L'indépendantisme catalan n'est pas vécu par la plupart des Catalans comme une réaction contre l'Espagne ou contre les Espagnols avec lesquels ils partagent une histoire torturée mais commune.
La plupart des Catalans ont du respect et de l'admiration pour la culture espagnole, fruit de ce passé partagé, pour sa littérature, ses arts, ses monuments, ses paysages magnifiques, sa diversité et ses gens. Aucun mépris de la majorité des Catalans de cette richesse culturale et de l'identité espagnole. Uniquement la volonté que l'Espagne politique leur foute la paix une fois pour toutes, faute de pouvoir s'entendre et faute de vouloir partager un destin commun. Qu'elle les laisse tranquilles et s'occupe uniquement de ses propres problèmes, qui sont nombreux. Les Catalans souverainistes ont à cœur et se sentent suffisamment adultes et capables de s'occuper par eux-mêmes de leurs propres problèmes sans vouloir s'occuper de ceux des autres.
La Catalogne se bat depuis trois siècles déjà, inlassablement, pour sauvegarder sa langue, sa culture et ses institutions politiques avec l'esprit industrieux, marchand, libéral, européen avant l'heure et démocratique. La seule façon de connaître si cette aspiration de la société catalane est majoritaire ou pas était, soit la consultation par référendum avec une question clairement posée, ce à quoi s'est opposé farouchement le gouvernement espagnol, soit par des élections régionales avec une coalition de partis qui se présentent avec l'indépendance comme programme essentiel, ce contre quoi le gouvernement espagnol ne peut rien y faire sauf à se déjuger en tant que démocrates et à suspendre l'autonomie de la Catalogne ou sortir les chars dans la rue pour montrer "l'autre visage" de la démocratie espagnole post franquiste et les limites de l'exercice démocratique en Espagne. La récente et glaçante précision du gouvernement à Madrid ces derniers jours, excluant explicitement une intervention armée en Catalogne est à la fois symptomatique et inquiétante des tentations non avouées d'une partie du PP.
La population de la Catalogne s'achemine lentement mais tenacement vers le droit d'exprimer leur volonté d'émancipation de la tutelle espagnole et vers la tentative de prendre leur destin en main par la voix démocratique et pacifique et renouer ainsi avec leur souveraineté nationale perdue. Lasse aujourd'hui de l'impéritie des gouvernements espagnols mise en évidence dans l'échec économique et financier patent et dramatique que vit l'Espagne et dont le soutien et l'appartenance à l'Union Européenne l'empêche de sombrer entièrement. Elle est décidée manifestement, si la majorité le souhaite et d'après les enquêtes d'opinion récentes, à saisir son destin et à se libérer définitivement de l'appartenance à une construction politique bâtie parfois contre elle ces derniers siècles et dans laquelle elle ne se reconnaît plus.
Pourquoi reconnaît-on aux pays Baltes, Estonie, Lituanie et Lettonie le bien-fondé du droit de se séparer unilatéralement de l'Union soviétique, au Monténégro, à la Croatie, la Slovénie, la Bosnie, le Kosovo et la Macédoine le droit de se séparer unilatéralement de la Yougoslavie, à la Slovaquie le droit de se séparer d'un commun accord de la Tchéquie, à l'Ecosse et au Québec le droit d'exprimer leur volonté sur leur destin et pourquoi est si difficile d'envisager le droit de faire de même pour la Catalogne, pacifiquement et démocratiquement, si une majorité qualifié et conséquente de ses citoyens le réclament, partant du postulat qu'en démocratie le pouvoir ultime et la souveraineté réside dans le peuple, dans sa volonté démocratiquement exprimé et dans l'existence d'un droit naturel des peuples à assumer leur destin et des minorités à disposer d'un Etat, tel que pensé et formulé par la doctrine Wilson au cours du XX siècle. Argumentaire par ailleurs qui a le don d'exaspérer le gouvernement de Madrid qui ne veut sous aucun prétexte laisser échapper le coffre-fort qui est la Catalogne.
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