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Сентябрь
2015

Cette affection qui libère la grandeur des terroirs et des entreprises

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Imaginez que vous venez de déguster un très grand vin. Si vous êtes un simple amateur, il vous a permis de passer un bon moment. Mais, si vous êtes un connaisseur, vous allez chercher à en savoir davantage sur ce vin. Vos interrogations porteront sur son terroir, son appellation, son sol, sa vinification. Ce vin est-il du domaine ou vient-il d'une parcelle spécifique? Quel est l'âge de la vigne ? Cette vigne a-t-elle été traitée chimiquement, ou est-elle plutôt issue d'une viticulture raisonnée, bio ou biodynamique ? Puis, viendront des questions sur la vinification.

Un amateur aurait déjà été lassé par ces interrogations. A contrario, les connaisseurs et les spécialistes auraient aimé aller encore plus loin, les premiers pour connaître le vin et les seconds pour découvrir sa méthode, sa recette magique.

Les grands vignerons n'hésitent pas à expliquer leur savoir-faire, non seulement aux connaisseurs, mais aussi aux autres vignerons. Je me rappelle encore de cet ancien chef d'entreprise, tout nouveau propriétaire d'un vignoble dans le Languedoc, venu visiter un grand domaine de Loire. Il posait des dizaines de questions techniques, du type, comment ce vigneron souffre-t-il les barriques. Ce dernier répondait docilement, bien que sans grande passion. Mais dès qu'il dégustait son vin, son visage s'animait. Il disait, "Il n'est pas mal celui-ci" ou encore, "Celui-là, dois-je encore le travailler ?", en filigrane, pointait à chaque remarque toute l'affection qu'il portait à son vin, certains diront l'amour.

Quelle est la recette de l'amour ?

Depuis qu'Ovide a écrit L'Art d'aimer, de nombreux poètes se sont adonnés à la tâche. Plus prosaïquement, les Beatles ont chanté Money can't buy me love. Ils auraient pu aussi bien chanter Consultants can't buy me love. Oui, il y a des très bons vins, que les consultants ont aidé à produire pour leurs propriétaires. Mais fatalement, les bons vins de la même région produits avec les mêmes techniques se ressemblent. Or, un grand vin est unique. Et c'est l'affection de son auteur, grand vigneron qui l'a rendu ainsi. C'est fort possible qu'il se soit fait aider, surtout au début, mais l'affection, l'amour de son terroir et de son vin, il les porte en lui. Il ne les a pas acquis. Les Beatles ont donc raison.

Vigneron authentique, leader authentique : mêmes convictions

Quel est le lien entre ces considérations vigneronnes et l'entreprise libérée ? Je le tiens pour fort.

Un leader libère son entreprise car il a l'ambition d'en faire une entreprise unique. Il va bien sûr s'inspirer d'autres entreprises libérées. Quel grand vigneron n'a pas dégusté d'autres grands vins ? Mais, il ne cherchera pas de recettes. Comme le vigneron avec son terroir, il sait que son entreprise ne ressemble à aucune autre. Les personnes qui y travaillent, leurs habitudes, leur histoire--tout ceci est unique. Ce leader est attaché à cet héritage précisément--et au rêve de grandeur de son entreprise.

Alors, il tentera de comprendre les leçons et les convictions d'autres leaders qui ont déjà libéré leur entreprise. Il découvrira qu'elles sont proches de ses propres convictions, que certains principes fondamentaux sont récurrents.

Le premier est le principe du respect. Comme pour le vigneron qui respecte son terroir, ses pieds de vigne et ses cépages, ce leader a un respect profond pour les personnes. Il n'essaiera pas de changer leur comportement préconisé par une méthode. Il créera plutôt avec ses salariés un environnement naturel et propice pour qu'ils puissent faire le meilleur travail possible. Exactement comme le grand vigneron qui respecte et qui écoute sa vigne en créant l'environnement naturel et propice à la production du meilleur raisin.

Le second principe du leader libérateur est la confiance dans le potentiel des gens--comme le grand vigneron qui croit au potentiel de sa vigne. Pour lui, chacun a un don, un talent. Ainsi, il créera les conditions pour que ce potentiel se révèle, potentiel que parfois la personne elle-même ignorait. Comme pour le vin. Regardez ce que certains vignerons ont su faire d'un cépage comme Melon de Bourgogne dans le Muscadet. Des grands vins.

Enfin, il y a le principe de l'auto-direction. Comme pour le grand vigneron qui croit en l'intelligence de sa vigne, le leader croit en l'intelligence de chaque personne, en sa capacité à trouver les solutions aux problèmes qu'elle rencontre. La vigne enfoncera ses racines très profondément dans la terre et trouvera de l'eau. De même, les salariés, avec l'intelligence de "ceux qui font", trouveront des solutions aux problèmes.

De la philosophie à l'invention

Que fait un leader libérateur, une fois armé de sa philosophie et de ses convictions ? Il les articule avec l'héritage humain et culturel de l'entreprise qu'il affectionne. Ne croyant ni aux recettes, ni aux modèles, il demandera à ses salariés de fixer les règles de vie qu'ils souhaitent voir appliquées dans l'entreprise. Les expériences passées montrent que ces règles seront toutes proches des trois principes évoqués plus haut. Ensuite, le leader demandera à ses salariés d'indiquer les pratiques de l'entreprise qui ne correspondent pas à ces règles de vie. Et il les invitera à proposer de nouvelles pratiques. Un unique mode organisationnel de l'entreprise sera ainsi, inventé qui libérera l'initiative et le potentiel des salariés, et avec eux la grandeur de l'entreprise.

En effet, le patron libérateur réinvente l'entreprise comme le grand vigneron réinvente la vigne. Celui-ci "écoute" son terroir pour transformer toutes les pratiques qui ne sont pas en accord avec ses convictions : le respect du terroir, la foi en son potentiel et en sa capacité d'agir. Les deux résultats ne serons pas aux contours parfaits à la "Le Notre". Mais ces contours seront uniques, crées pour libérer le potentiel et la grandeur.

Quand les cèpes deviennent vieux

Combien de temps un vin peut-il rester un grand vin ? Quels sont les aléas qui peuvent lui faire perdre ce statut ?

Il y a d'abord le grand vigneron qui, un jour, partira. Sera-t-il remplacé par celui qui, comme Aubert de Villaine, le grand vigneron du Domaine de la Romanée-Conti se voit juste en "gardien" du terroir qui est "là pour, un jour, transmettre" ? Ou au contraire, par celui qui, convaincu de son intelligence, dira qu'il faut produire de son terroir, par exemple le vin naturel.

Puis, il y a le nouveau propriétaire. Fera-t-il confiance, comme l'ancien propriétaire, à son vigneron? Ou, ne faisant pas confiance, ruinera-t-il le trésor qu'il a acquis? Ne dit-on pas que le meilleur moyen d'avoir une petite fortune, c'est d'investir une grosse dans un vignoble.

Le vin ne se révoltera pas, mais il ne sera plus le même. Un jour, un amateur, un amoureux de ce vin, le goûtera puis déclarera, "Ce n'est plus le même". Heureusement, ce n'est pas le seul qu'il aimait, car il en a goûté d'autres et que chaque année des nouveaux grands vins enchanteront son palais.

"A votre santé !"

Isaac GETZ intervient en tant qu'expert dans le cadre de l'Apm (www.apm.fr) auprès des dirigeants adhérents, et notamment lors de la convention des 1er et 2 octobre 2015 à Lille. 3 200 chefs d'entreprises se réunissent autour du thème de l'aventure pour écouter, échanger, débattre et réfléchir avec 180 experts, aventuriers, philosophes, économistes, scientifiques... L'Apm rassemble près de 7 000 dirigeants francophones, répartis dans 350 clubs, présents dans 23 pays. Chaque dirigeant s'engage à se perfectionner dans le but de faire progresser durablement son entreprise et ses collaborateurs.


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