Réconcilation nationale : Ces propositions qui font polémique
Le projet de l’avocat Merouane Azzi, par lequel il appelle à la «reconnaissance» et l’«indemnisation» des catégories «non citées» dans la charte pour la paix et la réconciliation nationale, n’a pas pu convaincre les concernés. Alors qu’il s’apprête à le soumettre au président de la République, les victimes, elles, doutent déjà de la crédibilité du projet.
Le projet de loi complémentaire initié par l’avocat Merouane Azzi concernant l’«indemnisation» et la «reconnaissance» de certaines catégories qui n’ont pas été citées dans la charte pour la paix et la réconciliation nationale a suscité des réactions. Les familles des disparus et les détenus du Sud «demandent à connaître» le statut actuel de Me Azzi, tandis que les victimes du terrorisme et les groupes paramilitaires qui ont lutté contre le terrorisme «refusent catégoriquement» les solutions proposées.
Interrogé sur le contenu du projet, Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, nuance : «L’initiative en elle-même est louable. Car quand quelqu’un subit des dommages, l’Etat doit forcément les réparer. Le Président peut prendre des dispositions complémentaires à la charte, mais est-ce le rôle des uns et des autres de faire ce genre travail ?
Ça, je ne le sais pas !» Désormais, ce projet qui sera présenté dans 10 jours au président de la République, dans le cadre de la célébration de la 10e année de la réconciliation nationale, par la commission nationale de suivi et d’application de la charte, ne peut pas plaire à tout le monde. «Selon l’article 47 de la charte, le président de la République peut prendre de nouvelles dispositions pour améliorer l’application de ce texte. J’estime alors qu’il y a encore des victimes qu’il faut prendre en charge», assure Me Azzi. A commencer par les prisonniers acquittés. Ils ont été emprisonnés des mois ou des années, puis acquittés par la justice. Aujourd’hui, ces ex-détenus demandent des dédommagements.
Puis viennent les condamnés par les tribunaux spéciaux et militaires dans les années 1992 à 1995. «Nous avons demandé à ce qu’ils soient libérés pour des raisons humanitaires», écrit Me Azzi dans son rapport. «Aujourd’hui, ils sont vieux, malades. Certains sont même dépressifs et mentalement déséquilibrés», dit-il encore. Ils sont condamnés à perpétuité ou à la peine capitale, car ils étaient considérés comme membres de l’ex-FIS et accusés d’actes de terrorisme. Selon le même rapport, l’élargissement des dispositifs pourrait toucher aussi les détenus du Sud. Abdelaziz Nesreddine, porte-parole des détenus des camps du Sud, «salue» l’initiative mais souhaite connaître le statut réel de l’avocat.
Patriotes
«Je remercie l’avocat d’avoir pensé à nous. Mais, j’aimerais vraiment savoir s’il a été réellement chargé pour cette mission ou
non ? Surtout après les déclarations d’Ahmed Ouyahia qui a affirmé qu’il n’y aura pas de changement dans la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Toutefois, je souhaite que ça marche, car nous ne revendiquons que la réparation matérielle et morale des détenus.» Les gardes communaux sont également cités dans les propositions de Me Azzi.
Alors que le gouvernement affirme que leurs doléances sont «prises en charge», les gardes communaux, eux, continuent à manifester leur mécontentement dans la rue. Il reste, selon Me Azzi, une minorité qui est aussi à prendre en charge par l’Etat. Idem pour les Patriotes. Le rapport demande des dédommagements et des indemnités pour les années de travail de ces groupes paramilitaires dans le cadre de la lutte antiterroriste.
Antiterroriste
Pour les gardes communaux, le projet de Me Azzi reste un acte «isolé», affirme Lahlou Aliouat, porte-parole du Mouvement des gardes communaux libres. «Cet avocat n’a aucune crédibilité. Qui l’a mandaté pour faire ce travail ? Si c’est en son nom, je lui rappelle que sa mission de suivi de la charte est terminée. Il veut nous conduire dans un faux débat.
Qu’il dénonce ce que fait Mezrag. Nous ne l’avons jamais entendu s’exprimer sur ce sujet.» Quant au leader du mouvement des Patriotes, Ali Bouguetaya, il refuse qu’on mette sur un même pied d’égalité les islamistes et les victimes du terrorisme, les Patriotes et les gardes communaux. «Pourquoi nous compare-t-il aux islamistes ? Nous refusons d’être mis sur la même balance que Madani Mezrag. Les terroristes ont bénéficié des dispositifs de la charte. Ils doivent remercier Dieu pour ça, s’emporte Bouguetaya. Je pense que c’est un manque de respect envers une catégorie, comme la nôtre, qui a participé à la lutte antiterroriste.
Nous ne cherchons ni l’argent ni la constitution d’un parti. Nous revendiquons la régularisation de notre situation sociale et appelons au rassemblement des catégories qui ont lutté contre ces barbares.» Les industriels ruinés par les actes terroristes sont aussi concernés par ce projet. Ils réclament, depuis vingt ans, une aide financière de l’Etat pour pouvoir enfin reprendre leurs activités. Mais aucune réponse ne leur a été donnée jusqu’à aujourd’hui. Fatima Halaïmia, de la catégorie des industriels ruinés par le terrorisme, salue l’initiative : «Nous avons sollicité son aide à maintes reprises.
Je pense qu’il est dans le bon sens. J’espère que le projet atteindra ses objectifs.» Même situation pour plusieurs victimes de la tragédie nationale, dont les familles n’arrivent pas à obtenir le procès-verbal. Leurs noms ne figurent pas en effet sur les listes des différents services de sécurité, c’est-à-dire ni sur la liste des disparus ni sur celle des terroristes tués ou morts. La situation n’est pas encore réglée et leurs familles demandent des solutions ; la question a été soulevée à la Présidence pour un règlement définitif.
Victimes
La porte-parole du Collectif des familles de disparus en Algérie, Nassera Dutour, met en doute la crédibilité du projet. «Si Me Azzi soutient la vérité et la justice sur les disparitions forcées, tant mieux ; mais qui l’a responsabilisé ? Nous ignorons si c’est lui qui a pris l’initiative ou le projet lui a été dicté. Je suis surprise, car je sais qu’il n’a aucun pouvoir», assure-t-elle. Le rapport défend aussi le droit des militaires rappelés pendant les années de terrorisme.
A leur demande, la commission a exigé des dédommagements des années travaillées, soit de 1995 à 1997, surtout que plusieurs rappelés souffrent aujourd’hui de handicap et revendiquent un statut particulier. Autre catégorie qui devrait aussi bénéficier de la charte, selon le rapport, les militaires blessés pendant la lutte antiterroriste. Ce dossier est actuellement, selon Me Azzi, au niveau du ministère de la Défense nationale.
Le rapport demande aussi un statut particulier pour les victimes du terrorisme qui leur permettra de recevoir l’indemnité financière et l’allocation avec une prise en charge morale des victimes. «Je pense que cette catégorie sera incluse dans la prochaine révision constitutionnelle, dans la mesure où on parle des victimes du devoir national qui doivent être l’une des constantes de la nation», suggère l’avocat. Les victimes du terrorisme «rejettent» le projet en question et «appellent» au rassemblement des forces qui ont lutté contre le terrorisme. Selon Mohamed Boumaali, porte-parole des victimes, seule cette force peut lutter pour la reconnaissance et contre l’oubli «Nous revendiquons un statut et non des indemnisations.
Nous voulons un statut qui protègera les victimes et toutes les catégories qui ont lutté contre le terrorisme islamiste. Me Azzi, ainsi que l’Etat et tous ceux qui ont participé à l’élaboration et l’application de la charte veulent nous faire taire aujourd’hui en nous proposant de l’argent. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Nous ne voulons pas de son projet, car nous continuerons à nous indigner jusqu’à la reconnaissance de nos droits», insiste Mohamed.
Par ailleurs, d’autres dossiers soulevés à la Présidence dans le rapport de 2011 commencent à être réglés, dont celui des enfants nés dans les maquis. Faute de textes juridiques, plusieurs dossiers sont restés en suspens. En Algérie, 500 cas de naissances au maquis ont été enregistrés. La commission de suivi de la charte pour la paix et la réconciliation nationale n’a reçu que 100 dossiers dont 27 ont été régularisés, selon Me Azzi. «Si les autres cas n’ont pas été pris en charge, c’est parce qu’il n’ont pas rempli les conditions. Nous sommes en train de leur chercher la solution adéquate», explique-t-il.
Le rapport de Me Azzi demande aussi la création d’un département qui englobera toutes les institutions concernées par la tragédie nationale. Au total, le rapport contient quatre chapitres où il fait le bilan de l’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale pour faire enfin des propositions d’élargissement. Douze points ont été ainsi soulevés. Des données chiffrées ont été établies et Me Azzi ne les rendra publiques qu’après la remise du rapport au président Bouteflika.