Poutine s'impose au Moyen-Orient
En intensifiant son soutien militaire à Bachar al-Assad, la Russie entend signer son grand retour au Moyen-Orient, mais aussi redevenir une puissance globale.
Les Russes le surnomment le "Syrie express". Dans les grands instituts de la capitale, le corridor aérien qui relie Moscou à Damas est presque aussi connu que la ligne ferroviaire qui rejoint Saint-Pétersbourg. Aujourd'hui les Russes l'utilisent pour envoyer des chars et de l'artillerie, mais aussi des conseillers à leur allié Bachar el-Assad.
Une action offensive qui vise à imposer aux puissances régionales et aux Occidentaux une grande coalition anti-Daech. Un coup tactique destiné à pousser même les plus réticents, comme la France, à désigner les djihadistes de l'État islamique comme leur principal ennemi.
Forts liens avec la Russie
Missiles sol-air, roquettes antichars, système de défense antiaérienne: l'armée syrienne a été équipée par le grand frère soviétique, puis russe. Les livraisons d'armes au régime de Damas se poursuivent depuis la chute du mur de Berlin. Environ 25 000 Russes vivent encore dans ce pays. Le nouveau renforcement militaire de Moscou en Syrie s'insère donc dans une stratégie de longue date. Il s'appuie sur des réseaux puissants et fidèles en partie installés pour contrer l'influence occidentale.
"C'est le retour d'une diplomatie néo-primakovienne consistant à replacer la Russie au coeur du Moyen-Orient avec des cartes limitées mais utilisées sans état d'âme" , décrypte Camille Grand, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Spécialiste du Moyen-Orient, ministre des Affaires étrangères de Boris Eltsine, Evgueni Primakov fut l'artisan du retour de la Russie sur la scène internationale ainsi qu'un âpre défenseur des intérêts de la puissance russe face à Washington. Un partenaire indispensable Le "retour" de la Russie au Moyen-Orient s'effectue parallèlement au "retrait" des États-Unis dans la région.
Obama a créé un vide
Élu pour ramener les troupes américaines d'Irak et d'Afghanistan, hostile à l'idée d'ouvrir un nouveau front au Moyen-Orient, tenté par un pivot vers l'Asie, Barack Obama a créé un vide que la Russie veut aujourd'hui combler. Elle le fait d'autant plus facilement que vis-à-vis de la Syrie, sa politique n'a jamais changé depuis le début de la guerre. Contrairement aux Occidentaux et à leurs alliances hésitantes, les Russes ont toujours soutenu le régime de Damas et leur allié Bachar el-Assad, même dans les périodes les plus difficiles.
La Russie ne voit que des avantages à ce retour précipité en Syrie. Elle sécurise sa présence dans le port de Tartous, qui lui offre son seul accès à la Méditerranée.
Maintenir l'homme fort
En soutenant le régime syrien, Vladimir Poutine prévient aussi qu'il n'acceptera pas pour Bachar el-Assad le destin qui fut réservé à Kadhafi en 2011 après l'intervention franco-britannique en Libye. Le retrait d'un homme fort, selon Moscou, entraîne toujours plus d'instabilité. "Et les Russes n'aiment pas l'instabilité quand ce n'est pas eux qui la provoquent" , commente ironiquement un diplomate français.
Comme il le fit au lendemain du 11 septembre 2001, lorsqu'il était critiqué par les Occidentaux pour sa brutalité en Tchétchénie, en offrant son soutien à la coalition anti-talibans, le Kremlin se présente aujourd'hui comme un partenaire indispensable pour combattre les djihadistes. Pour les Russes, qui s'inquiètent des turbulences dans leurs Républiques musulmanes et du nombre croissant de djihadistes qui partent combattre en Syrie, la lutte contre le terrorisme est une question de sécurité nationale.
Maîtresse du jeu
C'est un moyen de se réhabiliter aux yeux de la communauté internationale. "Les Russes préfèrent ne combattre qu'un ennemi à la fois. Ils pensent en outre que l'idée d'une coalition anti-Daech peut réconcilier tout le monde" , poursuit le diplomate. Car le "retour" militaire des Russes au Moyen-Orient se double d'une initiative diplomatique. Vladimir Poutine pourrait rencontrer Barack Obama en marge de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, où il se rendra le 28 septembre pour la première fois depuis dix ans.
La stratégie occidentale en Syrie ayant conduit à l'impasse, la Russie devient maître du jeu. Pour mettre fin à la guerre, Poutine propose de créer une grande coalition internationale contre les djihadistes, incluant l'armée syrienne, sous parapluie onusien. À charge pour le Kremlin de mener ensuite Bachar el-Assad à la table des négociations et d'imposer à tous une formule de transition politique qui préserverait le régime. Le projet russe assure à Moscou une place de choix à la table des futures négociations. En quelques mois, le Kremlin a réussi à imposer sa vision du futur syrien et à convaincre les Occidentaux, notamment la France, que le départ de Bachar ne devait plus être une condition préalable à des pourparlers mais l'aboutissement d'un processus de transition. LE FIGARO