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Сентябрь
2015

Le Vernet après le crash de la Germanwings

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Lorsque, ce mardi 24 mars en fin de matinée j'apprends la nouvelle, je suis immédiatement saisi d'effroi. Ces montagnes, ce sont les miennes. Apprendre qu'une catastrophe de cette ampleur a pu se produire dans un lieu qui m'est si cher me paraît aussi inimaginable qu'insupportable. Je pense aussitôt à celles et ceux qui se trouvaient dans l'avion, aux familles qui les attendaient à Düsseldorf, à celles que les malheureuses victimes ont laissées à Barcelone. Toutes affaires cessantes, je décide de me rendre sur place...

Le crash


Je lève les yeux vers la montagne. Le jour peu à peu disparaît. À mesure que l'ombre gagne la vallée, avalant lentement la lumière, puis la dévorant par vallons tout entiers, la chaîne de la Blanche se pare d'un immense voile rose. D'abord très pâle, le long rideau tendu entre les sommets vire à l'incarnat. L'ombre grimpe sans effort le long de la paroi pour atteindre les plus hautes cimes. De furtives flammèches rouges s'allument encore. Puis tout s'éteint. C'est la nuit.

Ce spectacle magistral, chaque jour répété, dont le déroulement chaque jour varie imperceptiblement, et qui chaque fois me réjouit par sa mélancolie changeante, plus jamais je ne le verrai comme avant.



Dans ces montagnes, tout au fond d'un étroit ravin, sur une paroi de marnes noires surmontée d'une barre rocheuse couleur d'albâtre infranchissable, cent cinquante vies ont été pulvérisées. C'est là, le 24 mars 2015, à 10 h 41, qu'un appareil de la Germanwings, parti de Barcelone une demi-heure plus tôt en direction de Düsseldorf, est venu s'écraser.

La scène que nous avons sous les yeux en contrebas nous paraît irréelle. La barre montagneuse semble avoir avalé l'avion; pas de trace d'impact, pas de cratère, pas de crevasse, juste une carlingue réduite en confettis. Aucun des morceaux que je vois ne fait plus de deux mètres. Je me dis qu'il est impossible qu'un Airbus A320 puisse s'être écrasé là. Il y a sûrement une erreur. À moins que la plus grosse partie de l'appareil se trouve ailleurs. Entre les débris dispersés sur une superficie beaucoup plus réduite que les hectares dont parlaient les médias, une fine colonne de fumée grise s'élève. Au milieu des pièces de carlingue et d'habitacle disloquées, il ne reste que des éclats de sièges, des lambeaux de vêtements et autres: je ne cherche pas à savoir.

L'info du jour, c'est la venue au Vernet d'Angela Merkel, Mariano Rajo et François Hollande. Les gendarmes, déployés en nombre, ont été rejoints par une compagnie de CRS. Ils observent le spectacle des médias en action. Faute de sensationnel, on chasse le pittoresque. Il y a des journalistes passés maîtres dans l'art du casting villageois. L'accent local est très prisé, de même que l'habillement jugé local: godillots, pantalon en velours, chemise à carreaux style bûcheron. Caméra à l'épaule ou micro tendu, patrouillant entre les bâtiments, s'aventurant dans les bois alentour ou interpellant les villageois qui passent, la gent journalistique s'agite. Plantée au milieu de ce décor, l'école, installée dans une partie de l'ancien centre de vacances. Dans la cour, les enfants s'amusent, indifférents à la cohue qui règne tout autour d'eux.

Les jours d'après


Un peu plus d'un mois a passé depuis le drame. Déjà. Je décide de revenir au Vernet. Envie de comprendre. Envie de parler. Besoin surtout d'écouter et de partager avec le village. J'en suis parti quarante-huit heures après le crash. Je ne voulais pas croiser le regard des familles. J'aurai du mal à présent à entrer dans la chapelle ardente installée à côté de l'école. Je ne veux pas voir le visage des victimes sur les photos qui y sont exposées. Je file directement vers Seyne.


Photo: Max Tranchard


Plus rien qui ne rappelle l'animation fébrile des heures qui ont suivi le crash. Sauf dans le souvenir des Seynois. Ils sont un peu remontés contre la gent journalistique et ses incivilités. Un peu vexés aussi d'avoir été pris de haut par certains reporters. " On nous traitait parfois comme des pacoulins", me dit un jeune. La chasse aux témoins d'abord les a amusés, puis franchement agacés. Dans la grande rue qui traverse le village, on comptait au moins deux journalistes pour un Seynois. " Dès qu'on acceptait de parler devant un micro, on se faisait assaillir ". Il y a aussi eu la chasse au wifi. " Les journalistes frappaient aux portes pour nous demander si on avait une connexion Internet. Certains étaient très polis. Mais tu ouvrais à un, tu en avais douze dans ton salon ".

Dès le lendemain du crash, l'accès à la montagne a été totalement verrouillé. Barrages de gendarmerie, survol d'hélicoptères puis installation, au col de Mariaud, d'agents d'une société privée. Dans les premiers jours, les contrôles systématiques de véhicules ont été mal vécus. " Quand ils t'ont vu passer trois fois, avec la même voiture, pourquoi te demander une quatrième fois tes papiers ?", se demande un habitant.

Un autre me raconte qu'on a même fouillé son coffre. La maréchaussée pensait-elle y trouver un paparazzi caché Il est possible que là-haut, des débris, et même des restes humains puissent encore être trouvés. Mais la robine a été presque entièrement nettoyée. Enquête criminelle en cours ? Principe de précaution en raison de la pollution du site? Ces arguments, parfaitement valables, ne convainquent pas grand monde. Au point que l'on se demande s'il n'y aurait pas quelque chose à cacher. Je n'y crois pas un instant. Mais ce qu'expriment certains Vernetois traduit le sentiment dominant dans le petit village soudainement confronté à un événement extraordinaire. Voir plusieurs centaines de journalistes sillonnant le village en quête de témoignages, n'hésitant pas à poursuivre les habitants jusque dans leur maison, a fait naître une angoisse. Une habitante me dit avoir été dépossédée de son village.

Françoise est probablement la dernière personne à avoir aperçu l'avion avant qu'il ne s'écrase. Elle nous raconte être partie ce matin-là avec douze personnes pour une randonnée ordinaire. Remontant le Galèbre, le groupe quitte le sentier qui suit le lit du torrent à la hauteur de Pié Fourcha pour monter directement en direction du col de Mariaud par le Soucas.

Françoise est à l'arrière de la colonne lorsqu'elle entend un bruit d'avion. " Je me suis demandé ce qu'il faisait si bas. Au début, je pensais qu'il s'agissait d'un avion de chasse. Il en passe souvent. Mais le bruit, assez faible d'ailleurs, me semblait différent. Je me suis retournée et j'ai vu la masse imposante d'un avion de ligne. Il est passé juste au-dessus de moi. Jamais je n'avais vu un avion en vol de si près. J'ai parfaitement vu passer tout son fuselage, la queue, les couleurs de la compagnie. Les gaz n'étaient pas à fond. Tout semblait normal sauf l'altitude, et bien sûr l'endroit où il se trouvait.

Avec les montagnes tout autour, j'ai bien compris qu'il ne passerait pas, qu'il allait finir dans l'Estrop ou ailleurs. Il a alors disparu de ma vue, et d'un coup, deux secondes plus tard peut-être, j'ai vu de la fumée, un nuage de fumée. Ce qui m'a étonné, c'est qu'il n'y a eu aucun bruit d'explosion. Juste cette fumée noire qui s'élevait dans le ciel, comme un champignon. Le ciel était couvert, avec de gros nuages noirs. Je savais bien ce qui s'était passé, mais je n'avais pas envie que soit ça ".


Photo: Max Tranchard


Sur la route du Vernet, je m'arrête au niveau du pont qui franchit la Bléone à l'entrée de La Javie. Derrière le petit oratoire Saint-Marc la vue en direction de l'Arigéol et du Galèbre, confluents de La Bléone, est bouchée par le mamelon de Chaudol. À plus de dix mille mètres la trace blanche d'un avion de ligne qui déjà survole la chaîne de la Blanche, exactement dans le couloir aérien emprunté par le vol 4U9525 de la Germanwings le 24 mars. Il était alors 10H39. 56 secondes plus tard, 149 vies allaient être pulvérisées par la folie du copilote ayant volontairement précipité l'appareil contre la montagne. Cette montagne, c'est la mienne; plus jamais je ne la verrai comme avant.

Ce billet regroupe quelques extraits de l'ouvrage de Nicolas Balique, Retour à Vernet - Mon village après le crash aux Editions Gaussen.



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