Livres : loin du prix Goncourt et ses 750 pages, petit éloge de la forme courte
Ceux qui sont attachés à une certaine idée de l’esprit français ont pu s’étonner de l’emballement général autour de La Maison vide de Laurent Mauvignier. Au XVIIe siècle, on savait exprimer une vérité intemporelle en une maxime bien tournée ; au XXIe, le lauréat du prix Goncourt s’étend sur 750 pages pour rabâcher les clichés de son temps. Est-ce vraiment un progrès ? Dieu merci on trouve encore en librairie des écrivains qui préfèrent la ligne claire au charabia ampoulé.
A cause de son look d’éternel jeune homme, on a tendance à prendre Fabrice Gaignault à la légère. C’est injuste. A bientôt 70 ans, il a construit une véritable œuvre littéraire, à ranger dans le genre mélancolique pop. Entre autres titres il a signé des livres envoûtants (Egéries sixties ou Aspen Terminus, sur Claudine Longet), un roman autobiographique poignant (La Vie la plus douce) et un récit carrément fascinant (Patrick Procktor, sur ce peintre ami de David Hockney qui finit éclipsé par son cadet alors qu’il était plus à la mode à leurs débuts).
Avec Un livre, Gaignault s’éloigne de ses marottes habituelles et nous emmène à Auschwitz auprès de Primo Levi. Ce dernier, âgé de 25 ans et malade de la scarlatine, n’a plus que la mort comme horizon. Il tombe un jour sur Remorques, un roman du Français Roger Vercel (prix Goncourt en 1934 pour Capitaine Conan) dans lequel il puise un "élixir de vie" (l’expression est de Gaignault). Levi va s’accrocher à cette lecture comme à un radeau, ainsi qu’il l’a rapporté lui-même dans Si c’est un homme. Avec sobriété, élégance et finesse, Gaignault raconte pendant 84 pages le lien existentiel que Levi a entretenu avec Remorques, dans les camps et après. On pense être arrivé au terme de l’histoire quand la postface nous saisit. Gaignault y révèle le vrai visage de Vercel. Nous ne divulgâcherons pas ici le choc provoqué par la chute, qui laisse le lecteur durablement frappé. Enfermez-vous une soirée avec Un livre, vous ne le regretterez pas.
Un week-end au coin du feu
La Vie à contre-courant, le recueil de nouvelles de Jean-René Van der Plaetsen, vous permettra quant à lui d’agrémenter idéalement un week-end au coin du feu – il y est souvent question de résidences secondaires en Normandie, contrée de cœur de l’écrivain-journaliste (plume du Figaro Magazine) au nom à consonance flamande. Avant toute chose, rappelons que Van der Plaetsen fut dans une autre vie Casque bleu au Liban, et qu’il est par sa mère le petit-fils de Jean Crépin (général d’armée et Compagnon de la Libération), auquel il avait rendu un vibrant hommage dans La Nostalgie de l’honneur.
On tient sans doute différemment son stylo quand on a eu jadis un Famas entre les mains : lorsqu’il écrit, Van der Plaetsen vise juste. La nouvelle, qui exige de condenser son propos en quelques pages, lui permet d’ajuster encore plus le tir. Dans la quinzaine de textes qui composent La Vie à contre-courant, le plus ancien remonte à 1989 – il avait été publié par Eric Neuhoff dans son éphémère revue Rive droite. "Rebelle, et pour cause", est la confession imaginaire d’un mercenaire désabusé. Van der Plaetsen est-il revenu du dandysme de sa vingtaine ? Oui et non, et heureusement : il s’est débarrassé avec les années de quelques tics superflus mais est resté fidèle à son imaginaire.
On déconseille à ceux qui auront le plaisir de passer Noël avec Mathilde Panot de déposer dans ses chaussons un exemplaire de La Vie à contre-courant. Il y a là toute la panoplie littéraire des héritiers des hussards (l’Indochine perdue, les valeurs catholiques, le goût de l’humour, de la noblesse et des vieilles maisons). Si on pense tour à tour à Fitzgerald et Drieu La Rochelle, l’ombre de Jean-Paul Sartre ne plane jamais sur les nouvelles de Van der Plaetsen. On y boit souvent plus fort que dans les romans de Blondin – lequel n’aurait pas pu tenir le rythme de l’auteur. "Faire-part", avec son côté frivole et désenchanté à la Sagan, mériterait d’être illustré par Floc'h. "La Vengeance du baron" évoque les ambiances de Barbey d’Aurevilly. "La journée de feu", journal intime d’un moine marqué par un drame, rappelle La Miséricorde de Jean Raspail. A un moment, Van der Plaetsen parle d’une pierre calcaire d’une grande beauté : la pierre dite de Caen, avec laquelle Guillaume le Bâtard fit élever la Tour de Londres. Les nouvelles de La Vie à contre-courant ont été façonnées avec des phrases de la même qualité.
Un livre par Fabrice Gaignault. Arléa, 84 p., 13 €.
La Vie à contre-courant par Jean-René Van der Plaetsen. Le Rocher, 195 p., 20 €.
