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Rwanda: trente ans après le génocide, la littérature comme mémoire politique

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Dans son roman Les fils qui nous relient, Emmanuel Cortez explore les cicatrices du Rwanda contemporain et les liens complexes entre mémoire, identité et réconciliation.


Trente et un ans après le génocide des Tutsis, qui fit entre 800 000 et un million de morts en à peine cent jours, le Rwanda s’affiche comme un modèle de stabilité et de développement en Afrique. Mais derrière la réussite économique du « pays des mille collines », la question mémorielle reste centrale. La littérature, souvent plus libre que le discours politique, continue d’interroger les blessures du passé. C’est dans cette veine qu’Emmanuel Cortez publie Les fils qui nous relient, un roman où l’intime et l’Histoire se répondent, et où la fiction devient un prolongement de la mémoire collective.

Un récit entre fuite, survie et reconstruction

Le roman s’inspire de faits réels. Il raconte l’histoire de Marie-Ange, jeune paysanne tutsie qui parvient à échapper aux massacres de 1994. Réfugiée dans un camp protégé par les légionnaires français, elle croise Enguerrand, un lieutenant venu d’un autre monde. De cette rencontre brève naît Jean-Jacques, un enfant métis, fils de la guerre et témoin d’un double héritage : celui du Rwanda meurtri et celui de la France spectatrice et actrice à la fois de son histoire.

« J’ai voulu donner voix à une génération marquée par le génocide, en racontant la fuite, la survie, mais surtout la reconstruction », confie Emmanuel Cortez.

Le parcours de Jean-Jacques, de Kigali à Paris, devient alors une métaphore : celle d’un peuple cherchant à se relever tout en affrontant le poids du passé.

Réconciliation et mémoire collective

Depuis la fin du conflit, le Rwanda a mis en place une politique de réconciliation nationale structurée autour de la justice, de la vérité et du rétablissement de la cohésion sociale. Les juridictions gacaca, créées au début des années 2000, ont permis de juger plus d’un million de personnes tout en rétablissant un dialogue communautaire. La Constitution de 2003 affirme désormais que tous les Rwandais jouissent des mêmes droits, indépendamment de leur origine ethnique.

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Pourtant, au-delà du cadre institutionnel, la reconstruction passe aussi par la culture. Les fils qui nous relient s’inscrit dans cette dynamique de mémoire vivante. En retraçant le destin d’un enfant né du chaos, Emmanuel Cortez rappelle que la mémoire du génocide n’est pas un monument figé mais un tissu de récits individuels, transmis de génération en génération. « Comment un peuple peut-il se réconcilier après s’être autodétruit ? », interroge l’auteur. « Ce roman est une manière de dire que les fils de l’humanité ne se rompent jamais. »

Les zones grises de la relation franco-rwandaise

Le choix de faire d’un officier français le père du héros n’est pas anodin. Il renvoie aux ambiguïtés diplomatiques entre Paris et Kigali, longtemps marquées par le soupçon et la distance. Le rapport Duclert, remis en 2021, a reconnu les « responsabilités lourdes et accablantes » de la France, sans toutefois conclure à une complicité directe. Depuis, la relation entre les deux pays s’est apaisée, marquée par les visites officielles et une coopération accrue.

Dans le roman, la rencontre entre Marie-Ange et Enguerrand traduit cette complexité : celle d’un lien à la fois douloureux et nécessaire, fait de mémoire et de compréhension mutuelle. Le métissage de Jean-Jacques devient ainsi un symbole géopolitique autant qu’humain, celui d’une identité partagée, entre deux continents que l’histoire a unis dans le drame.

Quand la littérature prolonge la diplomatie

En situant son intrigue entre Kigali et Paris, Emmanuel Cortez inscrit Les fils qui nous relient dans la continuité des écrivains de la mémoire: Scholastique Mukasonga, Gaël Faye ou Boubacar Boris Diop, qui ont chacun donné voix aux rescapés et aux témoins. Son roman illustre le rôle de la littérature comme outil de diplomatie culturelle et de compréhension internationale, à l’heure où les mémoires coloniales et post-conflit restent des points sensibles du dialogue entre l’Afrique et l’Europe.

Plus de trois décennies après les faits, alors que le Rwanda s’affirme comme un acteur régional influent et un partenaire clé pour les puissances étrangères, Les fils qui nous relient rappelle une vérité simple : la réconciliation ne se décrète pas, elle se construit. Et la mémoire, loin d’être un fardeau, demeure une boussole pour les peuples qui refusent de répéter l’histoire.

266 pages

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