L’exposition à voir : Bernard Piffaretti, l’art de la duplication
Une toile scindée en deux parties égales par un trait épais. D’un côté, la création d’un motif ; de l’autre, la reproduction, sans calque ni procédé mécanique, du geste initial. C’est le système Piffaretti, un dispositif qu’il appelle "métapeinture" initié par le peintre originaire de Saint-Etienne dans les années 1970 puis formalisé au mitan de la décennie 1980. On peut en découvrir aujourd’hui la portée à deux heures de Paris, au Luxembourg, où la Galerie Ceysson & Bénétière offre un panorama XXL de ce singulier corpus à travers 70 tableaux élaborés au cours des quarante dernières années. L’exposition, orchestrée avec Clémence Boisanté, la directrice du lieu, s’appréhende en compagnie de l’artiste, qui revient sur la genèse de ce protocole du dédoublement : "Mon travail s’est construit sur une réflexion sur l’histoire de l’art, des artistes et surtout du tableau. La première partie se trouve à gauche ou à droite, c’est variable, ce qui amène le spectateur à questionner l’origine du tableau".
Face aux œuvres de Bernard Piffaretti, c’est en effet l’interrogation qui se pose : est-ce à gauche ou à droite de l’axe central que s’est constituée la première étape, celle qui a vu le peintre agir librement ? "Il y a toujours cette question centrale dans l’art : quand commence-t-on un tableau, quand le termine-t-on ? Pour moi, il s’agit de mettre en chantier toutes les situations picturales existantes et de ne pas en privilégier une plutôt qu’une autre. Les ruptures de format, de situation picturale, de couleur, font que les tableaux s’enchaînent les uns par rapport aux autres. En ce sens, je peux dire qu’en quarante-cinq ans, je n’ai peint qu’un seul tableau, celui de la peinture". Car l’artiste rappelle qu’il n’a rien inventé, la "reprise" remontant aux sources de l’art : "Le dripping, par exemple, est une façon de travailler qui traverse l’histoire de l’humanité : on peut voir de magnifiques drippings dans les céramiques de Santorin du XVIe siècle avant Jésus-Christ. Plus tard, Pollock s’approprie brillamment la technique et en faire par là même un acte majeur".
Comprendre que l’art n’était finalement qu’une éternelle reformulation et qu’aucune forme nouvelle ne pouvait être trouvée a ainsi construit le travail de Piffaretti autour de la duplication et, plus largement, de la question du double : "Je crois qu’elle est inhérente à toute création, en littérature comme en peinture, notamment à travers l’histoire de l’autoportrait où l’on voit l’artiste peignant en se regardant dans le miroir".
Mais la reproduction systématique qu’il a érigée en signature n’est-elle pas contraignante ? "Oui, dans la mesure où je m’impose de repasser par tous les actes qui ont eu lieu sur la première moitié du tableau, mais la contrainte, finalement, me permet d’ouvrir un champ des possibles qui est infini". Repris à travers les siècles par les artistes, de la préhistoire aux avant-gardes du XXe siècle, le rond, la ligne ou le carré vont raconter chaque fois une histoire différente, "faire image", nous disent en substance les toiles de Bernard Piffaretti, loin de la routine traditionnellement associée à la répétition. Pour lui, "la peinture est un médium qui, plus que tout autre, permet de redonner la première place au spectateur".