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"Si nous décidons d’étendre la vie à Mars, voici ce qu'il faut faire…" : l’entretien futuriste d’Edwin Kite

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Il y a encore quelques années, l’hypothèse d’un avenir où la vie pourrait exister au-delà de la Terre se retrouvait surtout dans les romans de science-fiction. Même si, disons-le d’emblée, ce scénario n’est pas pour tout de suite, certains spécialistes postulent peu à peu que terraformer certaines planètes, à commencer par Mars, ne serait pas si utopique que cela… C’est notamment le cas d’Edwin Kite, professeur en sciences planétaires à l’université de Chicago et chercheur à l’Institut Astera. "Si nous décidons d’étendre la vie à Mars, élargissant ainsi nos responsabilités environnementales, alors la première étape sur laquelle tout le monde s’accorde […] serait de réchauffer Mars", explique-t-il à L’Express. En revanche, nuance-t-il, "lorsque nous envisageons d’établir la vie sur cette planète, nous parlons actuellement de rendre la surface habitable pour des formes de vie simples. Il s’agirait donc essentiellement d’une biosphère photosynthétique composée de microbes, de lichens et d’algues. Leur rôle serait alors d’augmenter lentement le niveau d’oxygène. Il faudrait au moins plusieurs siècles pour rendre la planète propice à des formes de vie plus complexes".

L’un des grands enjeux étant de trouver un organisme capable d’affronter de concert de nombreux défis : supporter un rayonnement ultraviolet intense (Mars n’ayant pas de couche d’ozone), résister à d’importantes variations de température nocturnes, ou encore supporter le perchlorate, un type de sel très agressif pour la plupart des formes de vie. "Pour chacun de ces défis, il existe une forme de vie terrestre capable d’y faire face, mais pour Mars, il nous faudrait trouver un organisme capable de les affronter tous en même temps". Entretien futuriste.

L’Express : Jusqu’à récemment, la perspective d’un avenir où la vie pourrait exister au-delà de la Terre semblait relever de la science-fiction. Cependant, vos recherches montrent que non seulement la terraformation de Mars ne serait pas aussi utopique qu’on pourrait le penser, mais aussi que cette planète aurait pu être habitable dans le passé…

Edwin Kite : Absolument. Grâce aux rovers spatiaux envoyés pour explorer certaines zones de Mars, nous sommes désormais en mesure d’affirmer que les ingrédients nécessaires à la vie, notamment les nutriments, la matière organique et des conditions chaudes et humides, y étaient autrefois présents. Depuis l’orbite de cette planète, nous pouvons voir, par exemple, des réseaux fluviaux aujourd’hui asséchés et d’anciens lits de lacs qui ne sont pas vides. Nous savons donc qu’il y avait beaucoup d’eau à sa surface lorsqu’elle était une jeune planète. Mars abritait probablement de grandes mers, certaines aussi vastes que la mer Caspienne sur Terre. Il devait également y avoir de la neige à certains endroits, peut-être de la pluie – bien que nous ne puissions en être certains –, ainsi que de nombreux nuages et une atmosphère plus dense qu’aujourd’hui. Au lieu du ciel orange-rose que nous voyons aujourd’hui sur Mars, le ciel devait être plus bleu et la surface plus érodée. À une certaine époque, on aurait probablement trouvé de l’argile à la place de la poussière actuelle. En d’autres termes, il est possible que dans la première moitié de son histoire, Mars ait ressemblé à notre planète à l’époque où la vie microbienne n’était pas encore apparue sur terre. Mais à ce stade, nous ne connaissons qu’une partie du puzzle. Par exemple, nous ne savons pas exactement quand Mars s’est asséchée, quand elle a perdu son humidité, et encore moins si elle a jamais été habitée… Mais une chose est sûre : Mars a été habitable, au moins à certaines époques et à certains endroits.

Si la question de la terraformation devait être sérieusement envisagée, Mars serait l'endroit idéal pour commencer

Que faudrait-il faire pour la rendre à nouveau habitable ?

Si nous décidons d’étendre la vie à Mars, élargissant ainsi nos responsabilités environnementales, alors la première étape sur laquelle tout le monde s’accorde – et que beaucoup de gens ont étudiée au fil des années, Carl Sagan ayant probablement lancé le débat dans les années 1970 – serait de réchauffer Mars, car il y fait trop froid pour que l’eau puisse exister sous forme liquide. Une fois Mars réchauffée, ce qui pourrait être fait à l’aide de réflecteurs en orbite pour renvoyer la lumière des satellites vers sa surface, ou d’agents à effet de serre tels que des gaz ou des aérosols – ce que mon équipe étudie actuellement –, il serait alors possible d’y établir des formes de vie simples. Une autre approche, étudiée par le groupe de travail de Robin Wordsworth à l’université de Harvard, consiste à réchauffer une petite partie de la surface à l’aide de polymères produits biologiquement. Cela permettrait à la biologie de se développer davantage, ce qui permettrait à son tour de produire plus de matériaux pour réchauffer la surface. Il s’agirait donc d’une boucle de rétroaction positive.

Le réchauffement de Mars nous permettrait-il d’obtenir le même climat que sur Terre ?

Non. Mars est une planète fondamentalement différente. Elle ne possède pas de plaques tectoniques et son activité volcanique est bien moindre que celle de la Terre. Cela signifie que l’équilibre de la biosphère martienne sera différent de celui de la Terre, même s’il est difficile de prévoir dans quelle mesure. Tout comme les humains sont les principaux agents influençant le climat, le carbone, l’azote, les sédiments et d’autres cycles sur Terre, ils auront un rôle majeur à jouer dans l’évolution de Mars. A ce stade, il est impossible de prédire comment le cycle climatique de Mars réagirait et, pour l’instant, il n’existe toujours pas de vie capable d’augmenter le niveau d’oxygène de la planète. Par ailleurs, l’atmosphère terrestre contient beaucoup d’azote, mais Mars n’en contient pas autant. Pour obtenir une atmosphère riche en azote comme celle de notre planète, il faudrait donc importer de l’azote. C’est l’une des différences clef entre les deux planètes.

Une fois réchauffée, Mars pourrait-elle rester habitable à long terme ?

Les processus qui ont rendu Mars inhabitable au début de son histoire sont aujourd’hui beaucoup moins actifs : nous savons que Mars ne perd pratiquement plus d’atmosphère dans l’espace. Il est ainsi probable qu’elle conserverait son atmosphère pratiquement indéfiniment pendant le reste de la vie du Soleil. Une explication à ce changement est que, à mesure que les étoiles vieillissent, comme c’est le cas pour notre étoile, le Soleil, elles deviennent moins énergétiques qu’un jeune soleil qui, au contraire, émet un flux intense de rayons X et de rayons ultraviolets qui dépouillent vigoureusement l’atmosphère. En bref, la jeune planète Mars était plus vulnérable dans le passé parce qu’elle était proche d’une étoile jeune et énergique. Mais aujourd’hui, le soleil s’est affaibli. C’est donc un moment plus propice pour Mars de conserver son atmosphère.

Quand pouvons-nous espérer terraformer cette planète ?

Soyons clairs : la planète sur laquelle nous vivrons presque tous dans un avenir prévisible reste la Terre. Envoyer un grand nombre de personnes dans l’espace n’est donc pas une alternative à la protection de notre planète. Il s’agit plutôt d’un espoir que nous pourrions réaliser à long terme si nous faisons de bons progrès ici sur Terre. Je dis cela parce que toutes les planètes du système solaire sont extrêmement hostiles à la vie humaine, toutes sans exception, y compris Mars. Ainsi, lorsque nous envisageons d’établir la vie sur cette planète, nous parlons actuellement de rendre la surface habitable pour des formes de vie simples. Il s’agirait essentiellement d’une biosphère photosynthétique composée de microbes, de lichens et d’algues. Leur rôle serait alors d’augmenter lentement le niveau d’oxygène. Il faudrait au moins plusieurs siècles pour rendre la planète propice à des formes de vie plus complexes.

Quoi qu’il en soit, la recherche sur ce sujet en est encore à ses débuts. Il reste beaucoup de travail à faire. Mais l’important est de commencer à faire les premiers pas. Les premiers micro-organismes, qui seront les espèces pionnières, devront faire face à de nombreux défis : ils devront d’abord supporter un rayonnement ultraviolet intense, car Mars n’a pas de couche d’ozone. Ils devront également résister à d’importantes variations de température nocturnes, car Mars est un désert, mais aussi supporter le perchlorate, un type de sel très agressif pour la plupart des formes de vie. Pour chacun de ces défis, il existe une forme de vie terrestre capable d’y faire face, mais pour Mars, il nous faudrait trouver un organisme capable de les affronter tous en même temps. La biologie synthétique pourrait donc jouer un rôle dans la création d’un organisme qui combine le meilleur de ce que les microbes terrestres peuvent faire pour tolérer ces contraintes…

Est-ce la seule planète que nous pourrions tenter de terraformer ?

Grâce aux très grands télescopes (VLT) et au télescope spatial James Webb, nous savons qu’il existe des milliers d’exoplanètes. Cependant, la grande majorité d’entre elles sont très hostiles à la vie. Au sein de notre système solaire, Vénus est trop chaude, Titan trop froide… La différence avec Mars est que Vénus et Titan ont une atmosphère dense. Il leur faudrait donc beaucoup plus de temps pour se réchauffer ou se refroidir. Même si l’on peut légitimement se demander si, avec suffisamment de temps et d’énergie, nous pourrions rendre ces mondes habitables, l’une des questions que nous devons nous poser est la suivante : voulons-nous transformer tous ces mondes pour les rendre habitables ? Si la question de la terraformation devait être sérieusement envisagée, Mars serait l’endroit idéal pour commencer.

Quelles considérations éthiques faudrait-il prendre en compte pour terraformer Mars dans de bonnes conditions ?

Au-delà du fait que toute décision concrète devrait être prise dans un cadre démocratique, le premier principe serait de faire davantage d’efforts pour rechercher la vie sur d’autres planètes avant de prendre des mesures pour y introduire nos propres formes de vie — et le rover européen Rosalind Franklin devrait, espérons-le, y contribuer. En effet, lorsque nous envoyons des robots sur Mars, nous les stérilisons avant leur départ. Mais on ne peut pas stériliser un être humain. Cela signifie que lorsque les humains commenceront à marcher sur Mars, ils introduiront un nombre bien plus important de microbes dans l’environnement que n’importe quel engin spatial robotique précédent. Nous devons donc anticiper cette situation, car elle aura inévitablement des conséquences sur l’environnement martien.

Le deuxième principe serait de veiller à exploiter et à déchiffrer les archives rocheuses de Mars avant d’envisager d’introduire de nouvelles formes de vie sur la planète. Même si Mars n’a jamais abrité de vie, elle possède néanmoins un climat intéressant qui a évolué au fil du temps. Nous pouvons en apprendre davantage sur le changement climatique en étudiant les roches martiennes. Il est donc important d’examiner les archives climatiques dans leur état pré-terraformé avant qu’elles ne soient compromises par la terraformation.

Enfin, le troisième principe consiste à ne pas engager de manière irréversible les générations futures. Si vous souhaitez introduire une technologie ou un système sur Mars, celui-ci doit être doté d’un interrupteur permettant de le désactiver relativement rapidement. Mais que signifie "rapidement" ? Cela signifie-t-il deux ans ? Dix ans ? Cela dépendra de la technologie, mais l’important est que ce soit raisonnablement rapide.

En termes de gouvernance, qui devrait décider d’entreprendre la terraformation, compte tenu des implications du Traité sur l’espace extra-atmosphérique et de la pluralité des acteurs ?

Nous tous. Nous avons déjà l’IMEWG, le Groupe de travail international sur l’exploration de Mars, qui comprend tous les pays, y compris la Chine et les États-Unis. Nous disposons donc d’un cadre initial de coordination. Tous les pays ont signé le Traité sur l’espace extra-atmosphérique, qui stipule que l’exploration et l’utilisation des corps célestes, y compris la Lune et Mars, relèvent de la responsabilité de l’humanité dans son ensemble. Cela vaut quel que soit le stade de développement des pays concernés. Tout le monde s’accorde à dire que les bénéfices de l’exploration spatiale doivent être partagés.

Quel sera l’impact sur Mars ? Nous ne le savons pas. Mais il existe des précédents en matière de gouvernance partagée. L’un d’entre eux concerne la manière dont l’humanité gère les fonds marins. Au-delà de la zone économique exclusive de chaque pays, les fonds marins recèlent de nombreux gisements minéraux. Cependant, la gestion de cette zone repose sur un accord international stipulant que les bénéfices, qui n’ont pas encore été générés, seront partagés entre tous les pays et groupes qui exploitent les minéraux. Je ne dis pas que c’est exactement ce qu’il faudrait faire pour terraformer Mars, mais c’est un exemple d’accord international pour la gouvernance d’une vaste zone, en l’occurrence la moitié de la surface de la Terre.