ru24.pro
World News in French
Октябрь
2025
1 2 3 4 5 6 7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31

La justice, c’est quand on gagne le procès…

0

Les yeux de l’Éternel sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leur cri.
Psaume 34 :16.

La justice, c’est quand on gagne le procès.
Samuel Johnson.


En France, font les manchettes la condamnation de l’ex-président Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le cadre du procès relatif au financement libyen et le procès en cours de Cédric Jubillar, accusé de meurtre de son épouse.

Sarkozy : une nouvelle affaire Dreyfus ?

Commençons par l’ex-chef de l’État.

Plus que sa condamnation en elle-même, c’est la décision d’exécution provisoire qui fait débat : d’aucuns y voient une atteinte à la présomption d’innocence dont jouit en principe tout condamné qui fait appel.

Il n’est pas question ici de se prononcer sur le bien (ou mal)-fondé de cette condamnation. Aux citoyens justiciables et aux médias que l’affaire intéresse d’examiner le dossier, en commençant évidemment pas les attendus du jugement et en faisant les recoupements pertinents. Chacun peut souverainement tirer ses propres conclusions; chacun a le droit absolu de « juger les juges » et de défendre ses conclusions dans l’agora.

On se penchera sur les déclarations publiques pertinentes. La droite dénonce un acharnement « politique » et Nicolas Sarkozy, lui, évoque non seulement une « honte », une « indignité », mais aussi une « infamie ». Bref, une nouvelle affaire Dreyfus.

Comme il fallait s’y attendre (on est en France) les cris aigus de vierges effarouchées ne se sont pas fait attendre : une vingtaine d’avocats viennent de porter plainte contre Nicolas Sarkozy, l’accusant d’avoir discrédité l’institution judiciaire: il y aurait « de fait un acte délibéré de discrédit porté à l’institution judiciaire, de nature à affaiblir la confiance des citoyens dans l’impartialité et l’indépendance de la justice ».

Et, ô surprise, abonde dans le même sens M. Ghaleh-Marzban, le nouveau président du Tribunal de Paris, selon lequel ces critiques « sapent les bases de notre droit et les fondements de notre démocratie ». Rien que ça.

La question est donc posée: l’institution judiciaire mérite-t-elle cette confiance de la part des citoyens?

Un peu d’histoire française (et pas seulement française).

Depuis l’affaire Calas, l’institution judiciaire s’est parfois complue dans l’infamie. L’exemple classique est l’affaire Dreyfus, où chaque magistrat de toute la hiérarchie judiciaire fut le servile larbin de l’antisémitisme. Idem en ce qui concerne la persécution de son défenseur Émile Zola. La nature humaine a-t-elle changé depuis et les leçons ont-elles été tirées? Plus récemment, il y a aussi l’affaire Outreau. Et d’ailleurs, à ce sujet, l’infamie persiste puisque l’ex-juge d’instruction Fabrice Burgaud a fait l’objet d’une simple réprimande et (aux dernières nouvelles) coule aujourd’hui des jours heureux dans sa sinécure d’avocat général référendaire de la Cour de cass’; une référence précieuse dans les pourvois fondés sur l’erreur judiciaire. Il a eu droit à un poste qui fait l’envie de bien des juristes.

(Petite note de droit comparé : en droit pénal anglo-saxon, il n’y a pas de juge d’instruction et ses fonctions sont remplies par le procureur, qui est avocat; un Burgaud aurait été rayé du barreau et fait, en… outre (si l’on ose dire), lui-même l’objet de poursuites pénales).

Bien entendu, les menaces de violence proférées contre les magistrats sont gravement attentatoires à l’État de droit et inadmissibles. Mais quid des remontrances des condamnés?

On répondra aux détracteurs de l’ex-président que, objectivement, c’est plutôt le bâillonnement d’un condamné qui est dangereux pour l’État de droit, lequel repose, précisément, sur le droit absolu du condamné de dénoncer une possible injustice du processus judiciaire. L’article 434-25 du code pénal est une archaïque survivance de l’esprit de la Sainte Inquisition qui a d’ailleurs été habilement transposé dans la procédure pénale stalinienne.

Le vrai fondement de la démocratie et de l’État de droit, c’est le droit absolu de dire : « J’accuse ». Incidemment, cela vaut aussi pour Mme Rachida Dati, qui fait face à un calendrier judiciaire relativement chargé.

(Autre petite note de droit comparé, l’infraction de common law équivalente, dite « scandalizing the court » – les lecteurs auront traduit d’eux-mêmes – a disparu des juridictions anglo-saxonnes les plus évoluées, notamment pour inconstitutionnalité, au titre de la violation de la liberté d’expression).

Comme le savent tous les magistrats et les avocats plaideurs dignes de ce nom, en substance, tout procès (civil ou pénal) est une vente aux enchères; la mise à prix dépend évidemment de divers facteurs, notamment de la nature de la cause, mais l’issue dépend étroitement des ressources respectives des parties, car le riche (qui a aussi pleinement droit à la présomption d’innocence dans un État de droit) est en meilleure position pour soutenir une guerre de tranchées. En l’espèce, il serait instructif de connaître le budget des parties. A ce stade, l’on peut sans doute conjecturer que M. Sarkozy a pu puiser dans un arsenal quelque plus conséquent que celui de l’officier d’artillerie Alfred Dreyfus jadis.

Cela dit, les bonnes âmes qui font de la confiance aveugle en l’institution judiciaire un acte de foi sont parfaitement libres de voir dans les récriminations d’un quelconque condamné, et de ses défenseurs, la hargne des mauvais perdants. Cela n’engage qu’elles.

Il faut déplorer cette tendance de la magistrature à être juge… et partie. En tentant de réduire au silence par l’intimidation un condamné censé jeter le discrédit sur elle, elle se livre à un abus de pouvoir et oublie que dans le mot « discrédit », il y a le mot « crédit ». C’est mettre la charrue avant les bœufs. Pour toute institution humaine, le respect, ça se mérite.

Parlant de respect, passons au procès Jubillar.

On constate d’abord une entrée en matière classique en France: sont exposés les antécédents et les analyses de personnalité de l’accusé effectuées par d’éminents experts disciples de Jacques Derrida.

(Autre petite note de droit comparé : la procédure anglo-saxonne, logiquement, rejette une telle hérésie car les parties débattent d’abord la matérialité des faits et, le cas échéant,  en recherchent ensuite, les éventuelles explications psychologiques. En France, on met encore la charrue avant les bœufs.)

Nous n’en sommes qu’aux premières phases du procès. Se succèdent des témoignages sur la personnalité apparemment peu amène de l’accusé.

Tous ces témoignages sont troublants.

Très troublants.

Et ce – parlant d’infamie – d’autant plus que cette fichue procédure pénale franchouillarde permet aux témoins de vomir leurs soit-disant convictions dans les prétoires.

(Petite note de droit comparé supplémentaire : en droit anglo-saxon, le témoin doit s’en tenir strictement aux seuls faits bruts dont il a une connaissance directe).

Cela dit, l’on ne peut que constater l’absence de tout indice déterminant. En dépit de tous ces éléments que l’on qualifiera charitablement de tangentiels… la réalité incontournable, maintes fois proclamée dans la sphère publique, est inchangée. Il n’existe aucune preuve formelle de culpabilité: surtout pas de corps, et encore moins d’aveux (encore que la religion de l’aveu est un autre archaïsme superstitieux bien français). En théorie, tout verdict de culpabilité repose sur des preuves factuelles, qui ne laissent place à nul doute. En l’absence de corps, pas d’ADN, pas d’analyses balistiques solides ou pas d’angles de coups de couteau, pas de datation de la mort, etc.

(Les conclusions des médecins-légistes, qui ont les pieds sur terre et mettent la main à la pâte, sont généralement plus fiables que les divinations hasardeuses des psys dont l’outil de travail est la boule de crystal).

Dans ce cas, en effet, la réunion, rigoureuse, de preuves indirectes peut suffire à emporter la conviction… si elles sont en béton. Est bien connu en droit pénal (pas seulement français) le délit de sale gueule; en l’espèce, seul est nettement caractérisé le délit de sale caractère.

Et y a-t-il eu enquête à charge, qui complique toujours considérablement la tâche de la défense? A ce stade du procès, demeure posée la question (classique, pas seulement en France, encore qu’est légendaire l’« entonnoir » français, tandis que dans les juridictions anglo-saxonnes a cours l’expression « tunnel vision » – les lecteurs auront encore traduit d’eux-mêmes). A chacun d’apprécier les tout aussi classiques véhémentes protestations d’innocence des enquêteurs en la matière.

A suivre. En France, le doute a, à l’occasion, plutôt tendance à profiter à l’accusation. Y aura-t-il un coup de théâtre?

Moralité : si nous sommes tous des chasseurs de prime, cela est particulièrement vrai pour les policiers, magistrats, avocats et journalistes.

L’article La justice, c’est quand on gagne le procès… est apparu en premier sur Causeur.