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Comment Donald Trump peut-il rester l’idole des complotistes ? Par Gérald Bronner

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Ils sont nombreux à avoir tenté de capitaliser cyniquement ou sincèrement – comment savoir ? – sur la "démocratie des crédules" qui commençait à pointer son nez dans les années 2010. Des candidatures aussi diverses que celle d’un François Asselineau ou d’un Florian Philippot ont lamentablement échoué dès lors qu’elles ont cherché à fédérer les voix du complotisme en France. D’autres figures ont buté de la même manière sur la difficulté de donner un corps électoral à des représentations du monde pourtant courantes sur les réseaux sociaux.

A ce titre, le parcours de Martine Wonner, qui fut d’abord députée La République en marche et sombra à l’occasion de la pandémie de Covid, est exemplaire. Elue facilement, en 2017, de la 4ᵉ circonscription du Bas-Rhin, elle fut balayée avec seulement 5,38 % lors de l’élection suivante dès lors qu’elle fit son coming out complotiste. Le cas d’Olivier Rohaut n’est pas moins inintéressant car il ne put rassembler plus de 4 % des électeurs alors qu’il avait été une des figures historiques des gilets jaunes. Un mouvement social remarqué mais dont l’une des caractéristiques était d’être autophage : tous les leaders qui en émergeaient se trouvaient discrédités presque immédiatement, et parfois de façon violente, par ceux-là même qui les avaient propulsés vers les sommets de la notoriété. Ces gens s’y sont cassé les dents car ces publics sont rétifs – par nature – à l’ambition en général et à ceux qui briguent le pouvoir en particulier.

Elite plus ou moins imaginaire

Pourtant, on tirerait une leçon trop rapide si, de ce qui précède, on en concluait que les récits conspirationnistes nuisent toujours à ceux qui briguent le pouvoir. Il est au moins un contre-exemple flagrant : celui de Donald Trump. Pourquoi le 47e président des Etats-Unis ne s’est-il pas fait avaler par la mâchoire autophagique des croyances qu’il promeut ? C’est d’autant plus étonnant que ce n’est pas son premier mandat : il a exercé le pouvoir. Dès lors, derechef, comment se fait-il que sa présidence ne l’ait pas discrédité en tant que héros du complotisme ?

La réponse est qu’il a réussi à faire croire qu’il n’a pas vraiment été au pouvoir, ou, plus précisément, qu’on a empêché l’exercice de son mandat alors que le peuple l’avait choisi. Qui donc ? L’Etat profond. De quoi s’agit-il ? Ce terme, qui a été utilisé de bien des façons dans l’histoire du XXe siècle, est devenu un étendard pour les conspirationnistes qui imaginent que le pouvoir est, en fait, administré par une hiérarchie secrète composée notamment par des fonctionnaires qui ne sont pas assujettis à l’alternance politique. Bien que les dirigeants puissent changer, cette caste perpétuerait son pouvoir à travers le temps. Donald Trump et ses soutiens en ont fait un leitmotiv. Il y trouvait une explication à tous ses échecs et détournait ainsi la colère qui s’agrège chez les conspirationnistes contre tous ceux qui exercent le pouvoir. La mise en scène d’une élite plus ou moins imaginaire est un bon miroir aux alouettes. Trump a d’ailleurs fait de la lutte contre cet Etat secret et malfaisant son cheval de bataille électoral en s’inspirant des recommandations du "Projet 2025" de la très conservatrice Heritage Foundation. Nombre des décrets pris à la hâte par Trump depuis janvier sont en fait la mise en scène de la lutte contre l’emprise supposée de cet Etat profond.

Ennemi extérieur

Dans ces conditions, le 47e président pourra-t-il longtemps faire croire qu’il n’est pas vraiment au pouvoir alors qu’il ne cesse, au contraire, d’exhiber à la face d’un monde sidéré sa libido dominandi ? Peut-être pas, mais il lui reste de nombreuses munitions pour continuer à manipuler les conspirationnistes, par exemple en transmuant ce supposé "ennemi intérieur" en ennemi extérieur.

Ainsi, on l’a vu décider des sanctions contre les membres de la Cour pénale internationale qui fait un bon épouvantail provisoire. Il y a plus : il a aussi ordonné la déclassification des archives de l’assassinat de John F. Kennedy quand 65 % des Américains déclarent ne pas adhérer à la version officielle – encore un autre os à ronger pour les complotistes. La corde s’usera peut-être au bout d’un moment mais reconnaissons qu’il use habilement du miroir aux alouettes.

Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.