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Lyrique: un opéra-oratorio de Haendel sacrifié à la transposition scénographique

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À l’origine, Semele a la forme d’un oratorio profane – car on ne donnait pas d’opéra pendant le Carême. Œuvre tardive du compositeur saxon naturalisé anglais Georg Friedrich Haendel (1685-1757), elle n’eut alors qu’un succès très relatif – quatre représentations à peine.  Créée en 1744 à Covent Garden (soit trois ans après le célèbre Messie), Semele fut écrite en un temps record, par un compositeur à la santé très délabrée, en ce mois de juillet 1743, sur un livret de William Congreve tiré des Métamorphoses d’Ovide.

De cet opéra durablement éclipsé du répertoire lyrique, le Théâtre des Champs-Elysées avait donné une version scénique en 2004, reprise en 1010, –  au pupitre, Marc Minkowski puis Christophe Rousset. Au XXIème siècle, il n’est pas facile d’illustrer les trois actes de cet argument mythologique où s’entrecroisent dieux et mortels dans des jeux d’amour et de pouvoir fort compliqués: Jupiter est secrètement aimé de la princesse thébaine Semele, fille de Cadmus, promise en mariage à Athamas, prince de Béotie, dont Ino, la sœur de Semele, est elle-même éprise. Junon, épouse de Jupiter, est folle de jalousie. Jupiter prend l’apparence d’un aigle pour enlever Semele. Junon, aidé de sa servante Iris, en appelle à Somnus, dieu du sommeil, pour se venger. Elle se débrouille pour apparaître à Semele sous les traits de sa sœur Ino, et conseille à Semele (qui, rappelons-le, est mortelle) de se refuser à Jupiter tant qu’il ne lui promet pas l’immortalité. Pris au piège du serment qui lui est arraché, le dieu du tonnerre voue Semele aux flammes. Et Jupiter de décider qu’Ino épousera Athamas. Mais « des cendres de Semele surgira un phénix (…) Il témoignera d’un dieu plus grand que l’Amour et empêchera pour toujours les soupirs et les chagrins », assure Apollon, avant que le chœur des prêtres n’invite Bacchus à « crown the joys of love ». Bref, la vertu du foyer est sauve.

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Sous la houlette d’Olivier Mears, l’actuel directeur du Royal Ballet londonien, cette fable hédoniste, flamboyante, peuplée d’Amours et de Zéphirs, ne revêt plus la forme que d’un marivaudage bourgeois. Sur un décor signé Annemarie Woods passablement anachronique, celui d’un palace post-art déco flottant entre les années 1940, 1950 et 1960, qui aurait été meublé avec froideur par quelque capitaliste parvenu, de mœurs légères : éclairé d’appliques murales en verre dépoli,  fermé en fond de plateau par une large baie totalement aveugle, un espace grisâtre au milieu duquel trône un vaste sommier circulaire dans le goût propre aux maisons closes, plumard drapé et molletonné d’un vert hideux, près duquel flambe une imposante colonne – cheminée habillée de carreaux de porcelaine (où se consumera Semele, of course). A main gauche, un meuble bas supporte une platine stéréo où, à l’occasion, entre deux clopes – car on fume beaucoup chez Haendel –  Semele fera crépiter un vinyle sorti de son étui, d’un chromatisme furieusement sixties. Le troisième acte nous transporte dans la repoussante bathroom envahie de tessons où un Somnus en caleçon et fixe-chaussettes prend les eaux du Léthé au fond de sa baignoire fangeuse. Puis retour dans la suite XXL de l’hôtel, siège, au passage, d’une bataille de polochons entre les deux frangines. Accoutrés de tenues pied-de-poule et de falzars amarante, les chœurs figurent les femmes de chambre et autres larbins de l’entreprise dont Jupiter est le grand patron… Junon, blonde marâtre atrabilaire, troquera au dernier acte son austère tenue noire pour une robe éclatant du rouge de la vengeance.

Aucune transposition contemporaine du répertoire lyrique baroque n’est, en soi, irrecevable. Sinon que toute la satire, à la fois capiteuse, leste et fantasmagorique où, extraites la fable antique, s’ébattent ces êtres surnaturels, voués aux plus improbables prodiges (Jupiter métamorphosé en rapace, Semele en beauté céleste sous l’effet d’un miroir magique…), se banalise ici jusqu’à la trivialité, sous les espèces d’une confrontation socioéconomique attisée par la frustration et la jalousie.

SEMELE – Au Theatre des Champs Elysees – Vincent PONTET

Ce parti pris élude l’enchantement, la fantaisie, le faste qui rutilent dans l’écriture baroque.  C’est d’autant plus navrant que sous les traits de la grande mezzo Alice Coote, Junon développe une musicalité cuivrée, d’une amplitude souveraine ; que la célèbre soprano sud-africaine Pretty Yende se risque pour la première fois hors du bel canto, son territoire de prédilection, pour exécuter les trilles et les ornements virtuoses du rôle-titre sans faillir ; que le contre-ténor Carlo Vistoli incarne Athamas impeccablement ; que le ténor Ben Bliss, surtout, campe un Jupiter  absolument superbe ; tandis que la jeune Irlandaise Niamh O’Sullivan se projette avec aisance dans le rôle d’Ino, tout comme la soprano arménienne Marianna Hovanisyan, qu’on découvre dans celui d’Iris… Quant aux chœurs du Concert d’Astrée, ils sont d’une solidité à toute épreuve. Et si Emmanuelle Haïm, comme toujours à la baguette de sa formation maison, dirige la fosse avec plus de nerf que de rondeur, Semele pourrait parfaitement se passer de mise en scène pour renaître de ses cendres.              


Semele. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Pretty Yende, Ben Bliss, Alice Coote… Direction : Emmanuelle Haïm. Mise en scène : Olivier Maers. Orchestre et chœur Le Concert d’Astrée.
Durée : 3h
Théâtre des Champs-Elysées, les 11, 13, 15 février à 19h30. Le 9 février à 17h.

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