Au festival de la BD d'Angoulême, le sacre des autrices et la fin du "boys club"
Le sacre sans bruit de la Française Anouk Ricard, dessinatrice de l'absurde, en dit long sur la révolution silencieuse qui gagne depuis plusieurs années le 9e art et son festival du sud-ouest de la France, longtemps chasse gardée masculine.
"C'est beaucoup mieux pour les femmes", se réjouit la grande dame de la BD britannique Posy Simmonds, lauréate du grand prix 2024, du haut de ses 79 ans. "La bande dessinée était une sphère très masculine mais, pendant les dernières décennies, il y a beaucoup de femmes qui ont infiltré ce boys club", dit-elle à l'AFP.
Du Japon, où les mangakas femmes se font une place, à la France en passant par la Grande-Bretagne, le temps semble loin où les autrices et dessinatrices devaient se contenter d'albums faits par et pour des hommes.
"Quand j'étais étudiante, au début des années 2000, tous les romans graphiques que je lisais étaient écrits par des hommes qui racontaient tous leur désespoir de ne pas avoir de petite amie (...) et ça ne me posait même pas question", dit à l'AFP la Britannique Lizzy Stewart, dont la BD "Alison" est en lice pour le Fauve d'or du meilleur album de l'année, décerné samedi soir.
Jusqu'à ce que, ajoute-t-elle, "la lumière arrive" avec la montée en puissance des autrices.
"Déferlement"
En France, place forte mondiale de la BD où paraissent environ 700 albums par an, la part de dessinatrices et d'autrices ne cesse de grimper: de 4% en 1985 à environ 12% en 2014 à sans doute près du triple aujourd'hui, selon des estimations, dont des figures désormais populaires comme Pénélope Bagieu, Marjane Satrapi ou Catherine Meurisse.
"Il y a un déferlement de femmes dans la BD", résume pour l'AFP Lisa Mandel, venue à Angoulême présenter "Par ailleurs", recueil de ses pages humoristiques parues dans Le Nouvel Obs.
"Dans les écoles de BD, aujourd'hui, la majorité des étudiants sont des étudiantes", ajoute-t-elle, prédisant une parité hommes-femmes "d'ici 10-15 ans".
Avec pour corollaire, selon elle, une hausse inédite des femmes "fans de BD".
"Quand j'étais plus jeune, c'était rare de connaître des meufs qui s'y connaissaient bien en BD. C'était un truc très masculin", se souvient celle qui a participé en 2016 à une fronde contre la sous-représentation des autrices à Angoulême.
Né en 1974, le festival international de la BD a, de fait, longtemps été un repaire d'hommes et n'a sacré que cinq autrices en 52 éditions.
La dessinatrice Florence Cestac, lauréate du grand prix en 2000, affirme toutefois n'y avoir jamais été victime de sexisme. "C'était un milieu masculin mais pas misogyne", dit-elle à l'AFP.
Cette année, au-delà du sacre d'Anouk Ricard, le festival a de nouveau mis en avant la vitalité des autrices, avec une exposition saluant "la plume enchantée" de la mangaka Kamome Shirahama et une autre célébrant des femmes artistes "d'exception".
D'invisibles barrières continuent toutefois de freiner les autrices et certains clichés ont la vie dure.
Exemple parmi d'autres, seuls des auteurs ont eu la chance de faire revivre, dans des séries à grand succès, des personnages mythiques de la BD comme Gaston Lagaffe ou Lucky Luke, dont les créateurs ont disparu.
"C'est un homme qui l'a fait avant, ça parle d'un homme, on va demander à un homme. Naturellement, les gens ne pensent pas qu'une femme puisse dessiner un personnage d'homme", analyse Lisa Mandel qui, comme d'autres autrices, a hâte que la question de la représentation des femmes n'en soit plus une.
"Peut-être qu'on s'approche du jour où cela ne sera plus important", espère Lizzy Stewart. "Femme, homme, noir, arabe ou quoi que soit... On sera juste des auteurs, imaginez ça!"