Retailleau face à la crise de l’autorité
Bruno Retailleau a affirmé être « horrifié » par le meurtre d’Elias. Selon le ministre de l’Intérieur, « on est au bout d’un cycle de laxisme, où on a été dominé par une idéologie gauchisante, où l’on a refusé l’autorité ». Le sociologue Charles Rojzman revient sur les causes de cette violence.
Les affaires récentes du meurtre d’Elias, commis par deux adolescents, et celui de Philippine ont bouleversé la France. Ces événements tragiques ne sont pas de simples faits divers isolés, mais s’inscrivent dans un contexte plus large d’insécurité croissante et d’angoisse collective. La gestion des récidivistes mineurs par la justice, l’immigration de masse, le développement des trafics de drogue et l’impunité apparente des actes de violence inquiètent à juste titre la population, qui ne peut que constater l’impuissance des autorités à y apporter des réponses efficaces.
Histoire de la violence
Ces violences qui frappent notre société atteignent un niveau alarmant. Qu’elles soient verbales ou physiques, elles suivent une dynamique graduelle : insultes, agressions et, dans les cas les plus extrêmes, des actes tragiques comme les récentes attaques au couteau ayant coûté la vie à des adolescents et des adultes. Ces actes ne surgissent pas de nulle part. Ils sont le produit de tensions sociales, culturelles et idéologiques profondes, qu’il est essentiel de comprendre pour y apporter des réponses adaptées.
Parmi les manifestations contemporaines de la violence, celle d’une partie de la jeunesse issue des cités est particulièrement préoccupante. La violence a toujours une histoire. Elle s’ancre d’abord dans des familles souvent issues de l’immigration musulmane, touchées de plein fouet par une crise du patriarcat qui laisse des enfants brutalisés par des pères violents ou abandonnés sans repères, livrés à la loi de la rue et des gangs. Mais ces jeunes ne sont pas seulement des victimes passives d’une société injuste. Ils évoluent dans des environnements où l’ordre social a été remplacé par des logiques de domination et de puissance.
République parallèle
Si le discours traditionnel pointe la précarité et le chômage, il faut reconnaître qu’un autre système économique s’est installé : celui des trafics. Ces activités illicites, omniprésentes dans certains quartiers, fournissent une source de revenus bien supérieure à celle des emplois légaux. Elles instaurent un système parallèle où les règles de la République n’ont plus cours. Ces jeunes ne se perçoivent pas comme marginalisés économiquement, mais comme puissants dans leur environnement, affirmant leur contrôle sur leurs territoires à travers la violence. Le couteau, l’insulte ou l’intimidation deviennent des outils pour asseoir leur position, imposer leur respect et rejeter tout ce qui n’appartient pas à leur monde.
Dans ces quartiers, un autre facteur amplifie la violence : l’influence de leaders négatifs et de discours idéologiques radicaux. Certains prêcheurs religieux, figures communautaires ou chefs de réseaux encouragent un rejet explicite de la société « majoritaire », présentée comme un ennemi à combattre. Ce rejet vise souvent des cibles précises : les juifs, les blancs, ou encore les représentants des institutions républicaines.
Ces discours ne sont pas de simples paroles en l’air. Ils forgent une idéologie où la violence devient légitime, voire valorisée, comme un moyen de punir ou de se venger. Dans cette logique, l’autre n’est plus perçu comme un être humain, mais comme une menace ou une cible à éliminer. La haine ainsi nourrie explose sous forme de violences physiques ou verbales, traduisant un rejet total de l’autre et un sentiment de toute-puissance. La solidarité affichée avec la résistance du Hamas chez certains jeunes est significative d’une complicité idéologique.
Pourtant, la violence spectaculaire des agressions à l’arme blanche et du terrorisme ne doit pas nous faire oublier les formes plus quotidiennes et universelles de la violence dans notre société. Dans les entreprises, les tensions liées à la hiérarchie, au stress ou à la compétition se traduisent par des agressions verbales et des conflits ouverts. Dans les espaces publics, l’agressivité est omniprésente : insultes, incivilités, harcèlement. Même dans les institutions politiques, les débats deviennent de plus en plus brutaux, et l’insulte remplace l’échange argumenté.
Ces différentes expressions de la violence traduisent une crise profonde de l’autorité, une perte de sens collectif et un effritement des structures traditionnelles. Faute d’espace légitime pour exprimer les tensions, celles-ci se transforment en violences destructrices.
Face à cette montée des violences, il est essentiel de replacer le conflit au cœur des interactions sociales. Contrairement à la violence, qui déshumanise et détruit, le conflit repose sur la reconnaissance de l’autre comme un être humain, porteur d’intérêts opposés mais légitimes. Ce travail exige plusieurs étapes :
- Reconnaître la réalité des fractures
Il ne sert à rien de nier les tensions ou de minimiser la gravité des violences, qu’elles viennent des cités, des entreprises ou des espaces publics. La première étape consiste à accepter l’existence de ces tensions et à les nommer.
- Créer des espaces de confrontation légitime
Dans les quartiers, les écoles, et même les institutions, il faut réintroduire des lieux où les désaccords peuvent être exprimés, débattus et affrontés sans basculer dans l’agression.
- Désamorcer les discours de haine
Les figures négatives qui nourrissent la violence doivent être activement combattues. Cela passe par une vigilance accrue envers les prêcheurs, les leaders communautaires ou les chefs de réseaux qui encouragent le rejet et la déshumanisation de l’autre.
Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas seulement une répression plus ferme, mais une capacité à transformer les tensions en conflits productifs. Replacer le conflit au centre des interactions et offrir des alternatives aux logiques destructrices est le défi d’une société qui refuse de se laisser submerger par la haine et la violence. À la fermeté nécessaire des institutions régaliennes doit s’ajouter aujourd’hui une compréhension des dynamiques différentes et spécifiques qui installent les actes violents ou les discours violents dans l’ensemble de notre vie commune.
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