Donald Trump II, jour 1 : comment il a dessiné les contours de l'Amérique qui vient
D’abord, le "show", voire le grand spectacle. En la matière, l’Amérique a affaire à un expert : avant de devenir le 47e président des Etats-Unis, lundi 20 janvier à midi, l’ancien promoteur immobilier Donald J. Trump a – ne l’oublions pas – organisé des combats de boxe et des rencontres de catch ; dirigé des concours de beauté (Miss USA et Miss Univers) ; présenté l’émission de téléréalité The Apprentice ; tourné une quinzaine de spots publicitaires ou encore fait des apparitions dans des séries télévisées.
Règle n° 1 de l’amuseur public, désormais nouveau locataire de la Maison-Blanche : se renouveler, surprendre, créer des émotions fortes. Pour célébrer son spectaculaire come-back et marquer les esprits, le nouveau chef de l’Etat a donc soigné son public en évitant une redite de la cérémonie d’il y a huit ans. Voilà pourquoi, outre les conditions climatiques (il faisait un froid polaire à Washington), sa prestation de serment a été relocalisée in extremis à l’intérieur du Capitole plutôt qu’à l’extérieur. Se renouveler, surprendre…
Autre nouveauté : la séquence des décrets présidentiels. Au lieu de les signer dans le calme et la solennité d’un bureau, comme ce fut le cas en 2017, Donald J. Trump a préféré cette fois en signer quelques uns sur scène, en "live", dans la salle omnisports Capital One Arena, devant 20 000 fans. Là, à un kilomètre de la Maison-Blanche, la bête de scène n’a pas déçu son public. Lors de ce énième meeting, il a étrillé son prédécesseur, juré d’en finir avec la "folie woke", promis de sécuriser la frontière mexicaine, annoncé une ère de prospérité "comme les Etats-Unis n’en ont jamais connu" et assuré que l’Amérique découvrirait avec lui "un nouvel âge d’or".
Enfin, à la manière d’un John Kennedy annonçant le programme spatial Apollo, il a lancé un nouveau défi aux astronautes américains : objectif Mars ! Au pays de Buffalo Bill, l’inventeur du Wild West, premier grand spectacle figurant l’Ouest sauvage, the show must go on ! "J’espère que mon élection restera dans les mémoires comme la plus importante de l’histoire de notre pays", a osé le président, confirmant ce que l’ex-présentateur vedette de Fox News Bill O’Reilly avait déjà annoncé aux lecteurs de L’Express voilà un mois : "Il pense à sa postérité."
Et Trump ne veut pas perdre une minute pour "entrer dans l’Histoire". Ainsi, l’état d’urgence a déjà été décrété à la frontière du Mexique où le président remet en place sa politique "Remain in Mexico ". Plutôt efficace pour lutter contre l’immigration clandestine, elle avait été abolie par Joe Biden lors de son arrivée à la Maison-Blanche. Plus spectaculaire : l’Alien Ennemies Act de 1798 est ressuscité. Mise en place à une époque où le pays craignait d’entrer en guerre avec la France, cette "loi sur les ennemis étrangers" doit permettre d’expulser les étrangers naturalisés américains qui seraient membres d’une organisation criminelle. Et cela, même s’ils sont âgés de seulement 14 ans. Les cartels de la drogue mexicains qui sèment la mort en important du Fentanyl (un opioïde qui provoque environ 70 000 morts par overdose chaque année) seront placés sur la liste des organisations terroristes, au même titre que le Hezbollah, le Hamas, Al-Qaeda ou les Houthis. Des mesures applaudies par une majorité d’Américains dont le pays a vu affluer 7 à 11 millions de clandestins durant le mandat de Joe Biden.
Etat d’urgence énergétique
Dans le domaine économique, Donald Trump exigera des membres de son gouvernement qu’ils "se mobilisent à tous niveaux pour la baisse des prix et de l’inflation". Cela passe, a-t-il déclaré dans son discours inaugural, par la baisse des dépenses publiques. En décrétant "l’état d’urgence énergétique nationale", une première dans l’histoire du pays, le président veut aussi "booster" la production de pétrole et de gaz en forant à tout-va, selon son slogan "Drill, baby, drill !", soit "Creuse, bébé, creuse !" "Nous allons remplir nos réserves stratégiques tout en faisant baisser le cours mondial de l’or noir." En prime, les énergies fossiles recevront un coup de pouce avec l’annulation de la politique écologiste du Green New Deal et la révocation des avantages liés à l’achat de voitures électriques. "Vous pourrez acheter la voiture que vous voulez !" s’est-il exclamé. Trump augmentera aussi les droits de douane : "Au lieu de taxer nos citoyens pour enrichir les pays étrangers, nous allons faire le contraire : taxer les pays étrangers pour enrichir nos concitoyens !" Cette politique risque toutefois d'avoir deux conséquences : une hausse des salaires des ouvriers et des prix des produits importés, d'où un possible effet inflationniste.
Reste que les démocrates, notamment Joe Biden et Kamala Harris, installés aux premières loges des cérémonies d’investiture, ont dû passer un moment désagréable. Non seulement Trump n’a cessé d’attaquer leur politique avec une brutalité effarante et sans le moindre fair-play mais, de plus, il s’est ingénié à remuer le couteau dans la plaie électorale en rappelant qu’il avait nettement progressé dans les électorats latino et noir. "Je ne vous oublierai pas !" a-t-il promis aux membres de ces deux groupes ethniques. Et d’ajouter, comme un pied de nez à la vice-présidente sortante noire : "En l’honneur de Martin Luther King, nous allons accomplir son rêve", a-t-il déclaré par allusion au fameux discours "I have a dream" prononcé en 1963 par le pasteur, à quelques mètres du Capitole.
"Les démocrates sont K.-O. debout, constate l'américaniste Françoise Coste, une experte de la vie politique auteure de Reagan (Perrin). La preuve, c’est qu’à la différence de 2017 où s’était organisé un grand mouvement de protestation anti-Trump avec, notamment, une Marche des femmes à Washington, rien de massif n’a eu lieu cette fois-ci. Au contraire, un sentiment d’invincibilité domine du côté des républicains qui détiennent la majorité au Sénat, à la Chambre des représentants et, même, à la Cour suprême. Si l’on ajoute à cela que les grands médias, traditionnellement progressistes, sont dépassés par les réseaux sociaux aujourd’hui aux mains des conservateurs Elon Musk (X) et Mark Zuckerberg (Facebook, Instagram, WhatsApp), le tableau est complet."
Il suffit, ces jours-ci, de voir la mine déconfite des journalistes de CNN – autrefois hégémoniques – pour prendre la mesure de la défaite des démocrates dans la guerre culturelle en cours. Un autre indicateur du moral en berne de la gauche américaine est, par exemple, la piètre prestation des démocrates lors de l’audition au Sénat de Pete Hegseth. Les sénateurs n’ont jamais déstabilisé ce candidat notoirement sous-qualifié que Donald Trump veut placer à la tête du ministère de Défense. "Après la claque de 2016, la seconde claque de 2024 agit comme une douche froide, juge Amy Greene, auteure de L’Amérique face à ses fractures (Tallandier). Quelque chose cloche et les démocrates essayent de voir ce qui n’a pas marché." Visiblement, ils n’ont pas encore compris quoi. "Ils sont au début du processus, leur examen de conscience commence tout juste", plaide Amy Greene.
Fin du wokisme
Sans doute cette introspection les mènera-t-elle à mesurer la façon dont le wokisme a, par ses excès, pesé sur le scrutin. Selon les républicains, l'actualité a apporté ces dernières semaines une nouvelle illustration des dérives des politiques d’Affirmative Action (discrimination positive), aujourd’hui englobée sous le terme DEI (soit Diversité, inclusion, égalité) et rejetée par un nombre croissant d’Américains. A la tête des pompiers de Los Angeles depuis 2022, Kristin M. Crowley, à qui l’on reproche sa mauvaise gestion des incendies, se retrouve au cœur d’une large polémique. Les trumpistes l’accusent d’avoir été nommée à ce poste en raison de son orientation sexuelle (elle est lesbienne), en vertu de la politique de DEI.
Dès sa première prise de parole, Donald Trump a fait allusion à la tragédie de Los Angeles qui constitue l’arrière-fond de son arrivée au pouvoir. C’est peut-être ainsi qu’il faut lire le retour de Trump au pouvoir : comme la fin de la prédominance des discours woke. Dans l’un des premiers décrets qu’il a signés, le 47e président s’est engagé à défendre les femmes contre "l’extrémisme idéologique du genre". "A partir de maintenant, a-t-il déclaré, il n’y aura plus que deux genres aux Etats-Unis : masculin et féminin." Cela promet.