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Comment Donald Trump recycle une stratégie de campagne de Ronald Reagan

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Le teint hâlé, les sourcils froncés, le regard vissé à la caméra, le candidat républicain tambourine sur un fond bleu pastel : "Le canal de Panama est un territoire souverain des Etats-Unis […] on l’a acheté, on l’a payé, et on compte bien le garder." Ne vous méprenez pas, le verbe n’est pas celui du président élu qui s’apprête à reprendre le contrôle de la Maison-Blanche, Donald Trump. Nous sommes au milieu des années 70, en pleine campagne présidentielle, Ronald Reagan est en difficulté face au président en fonction Gerald Ford. Comment rallier à sa cause l’électorat conservateur ? Un élu au nez creux lui souffle une idée : parler du canal dont la rétrocession au Panama s’apprête à être entérinée.

L’enjeu se greffe au contexte. Guerre au Vietnam, crise pétrolière, stagflation, scandale du Watergate qui a conduit à la démission de Richard Nixon… À la veille du scrutin présidentiel de 1976, les Etats-Unis se retrouvent fragilisés par une première moitié de décennie émaillée de secousses inédites. Et si la majorité des élus et de la population américaine se montre indifférente au cas du canal de Panama, d’aucuns voient dans ce renoncement "le dernier clou dans le cercueil de la grandeur américaine", explique Françoise Coste, historienne spécialiste du Parti républicain et auteure de Reagan (Perrin), une biographie consacrée à l’ancien locataire de la Maison-Blanche (1981-1988).

Aussi, Ronald Reagan saisit-il l’intérêt de s’ériger en défenseur du maintien sous pavillon américain du canal de Panama. La question devient alors un symbole de patriotisme, boussole du "Make America Great Again". L’ancien acteur reconverti en politique la ressortira quatre ans plus tard, après avoir échoué face à Jimmy Carter. Entre les deux campagnes présidentielles, des traités prévoyant la rétrocession du canal sont signés entre le président démocrate et le chef suprême de la révolution panaméenne Omar Torrijos. Du carburant pour le républicain, qui voit son image de "sauveur" des Etats-Unis renforcée.

Argument électoral pour Ronald Reagan, moyen de pression pour Donald Trump

Quatre décennies plus tard, Donald Trump tente de revêtir la même parure. À l’heure de la dinde de Noël, le président élu remet au goût du jour la promesse de campagne de son prédécesseur : garder - ou plutôt récupérer - le canal de Panama. Et bien que celui-ci soit passé sous souveraineté panaméenne en 1999, les arguments brandis sont quasi-identiques : restaurer la grandeur des Etats-Unis et protéger les intérêts du pays menacés par les rivaux géopolitiques - l’URSS sous Ronald Reagan, la Chine sous Donald Trump. S’il a fait couler des litres d’ancre dans la presse outre-Atlantique, le parallèle s’arrête toutefois là.

Primo, parce que "le canal n’avait pas encore été rétrocédé au Panama et appartenait encore aux Etats-Unis lorsque Reagan a fait campagne dessus", pointe l’historienne Françoise Coste. Il ne s’agissait donc ni de rachat, ni "d’annexion par la force", mais simplement d’un maintien du statu quo du canal de Panama. "Contrairement à Trump, Reagan était mû d’un profond respect des institutions et du droit international, de telle sorte que jamais il n’aurait adhéré au discours expansionniste de Trump qui cible le canal de Panama et d’autres territoires souverains", fait valoir la spécialiste de la présidence du Teflon president.

Deuzio, parce que les finalités du Ronald Reagan des années 80 divergent de ceux de Donald Trump aujourd’hui. Contrairement à son prédécesseur qui en avait fait un argument de campagne, le républicain à la mèche blonde n’a déterré le sujet du canal qu’une fois élu. "Son idée n’est pas tant de fédérer l’électorat le plus conservateur autour de la question comme avait cherché à le faire Reagan, mais plutôt d’utiliser des moyens de pression là où les intérêts des Etats-Unis sont", décrypte Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin et auteur de l’ouvrage Le rêve américain à l’épreuve de Donald Trump (ed. Vendémiaire, 2020).

Donald Trump et la méthode du "bully"

En interne, l'intérêt n'est pas neutre : "Menacer d’annexer le canal pourrait par exemple être une façon d’obtenir une baisse des droits de passage", note Lauric Henneton. Sur la scène internationale, c'est une façon pour Donald Trump de réagir conformément à sa grille de lecture. L’ancien magnat de l’immobilier aurait conservé une logique de Guerre froide qui prévalait dans les années 80. "Aux yeux de Trump, la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping ont pris la place de l’URSS de l’époque Reagan", confirme l’historienne Françoise Coste. Ainsi, face aux velléités expansionnistes des grands rivaux géopolitiques, le prochain occupant du bureau Ovale cherche à asseoir la prédominance des Etats-Unis.

Ne pas laisser à l’Empire du Milieu la liberté d’établir des ports sur les rivages du canal de Panama. Veiller à ce que Moscou et Pékin ne s’accaparent pas les ressources naturelles présentes au Groenland - qu’il a également menacé d’annexer à l’instar du Canada - sans compter l’enjeu crucial des routes maritimes qui s’ouvriront avec la fonte des calottes glaciaires. Pour ce faire, celui qui s’apprête à prêter serment joue sur un triptyque ’contrainte, persuasion et dissuasion'. "Il utilise son côté mâle alpha comme d’un instrument géopolitique", décrypte Lauric Henneton. Et de sourire : "Donald Trump est une sorte de bully comme ceux des cours de récréation. Or, quand un bully demande notre goûter, on lui donne pour éviter de se faire casser les dents, non ?".