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Cette énigme qu'Emmanuel Macron n'a jamais réussi à résoudre, par Gérald Bronner

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Il faut du temps à un homme pour reconnaître ses torts. De ce point de vue, l’attitude du président de la République à l’égard de la dissolution de l’Assemblée nationale constitue une introduction idéale à un manuel de psychologie de l’erreur. On le sait par de nombreuses sources croisées, Emmanuel Macron, alors même que le sol politique s’effondrait sous ses pieds et donc sous les nôtres aussi, continuait à se réjouir de l’opération, se félicitant même, selon Le Monde, d’avoir "balancé une grenade dégoupillée".

Ensuite, alors qu’il paraissait évident que le pays devenait ingouvernable, même pour les soutiens les plus zélés du coup de poker présidentiel, les conseillers de l’Elysée voulaient rassurer : "Attendez avant de juger : c’est une décision qui s’appréciera à hauteur de vue de l’Histoire." Comme ça risquait de faire un peu long, Emmanuel Macron a finalement repris la parole à ce sujet en décembre : "J’ai conscience que cette décision a été mal comprise." Ce faisant, il donnait l’impression d’être moins dans le déni… mais son analyse paraissait encore un peu indigente. Mal compris ? Au contraire, je crois que tout le monde a parfaitement compris les intentions derrière cette décision, de même que le coup de billard à cinq bandes politique gagnant auquel elle devait aboutir. Tout le monde a parfaitement saisi que ladite décision était inconséquente.

Nous voici arrivés à l’allocution des vœux du 31 décembre. Inaugurée par un clip rappelant que de belles choses se faisaient en France - ce qui n’est pas inutile - le président n’apparaît qu’après deux minutes trente. Grave, il reconnaît avec "humilité", que la dissolution a apporté plus de mal que de bien. Alors ça y est ? Il admet enfin s’être trompé ? Pas vraiment. D’une part, il s’empresse d’ajouter un "pour le moment" qui donne à son mea culpa les allures d’une concession provisoire. D’autre part, il n’évoque que les conséquences négatives de l’affaire et non les intentions qui y ont présidé. Bref, pas de quoi lui en vouloir réellement puisque ses intentions étaient bonnes. C’est là la clé de sa lecture des événements.

Un "sophisme de composition"

Il utilise ce faisant un argument d’intimidation morale : on ne peut me reprocher d’avoir redonné la parole au peuple. Il me semble que cette déclaration révèle l’énigme de la proxémique politique qu’Emmanuel Macron n’aura jamais réussi à résoudre. Cette sorte d’argumentum ad populum est, en effet, emblématique du fantôme qui aura hanté ses deux mandats. Sans tomber dans les affres du ridicule intellectuel de ceux qui cherchent à le psychiatriser, tous ceux qui l’ont approché savent son pouvoir de séduction. C’est un homme intelligent et charmant et, pourtant, la magie n’opère pas vraiment en dehors des rapports interpersonnels. L’une des bévues d’Emmanuel Macron aura été de croire qu’il pouvait séduire les Français comme il a pu séduire sur le terrain en "face à face". Il y a là une erreur d’échelle que l’on pourrait comparer à ce que John Stuart Mill nommait un "sophisme de composition" qui consiste à considérer un terme sous sa forme distributive dans les prémisses et collective dans sa conclusion.

Sa volonté de trouver sans cesse des dispositifs ad hoc pour nouer un lien direct avec le "peuple de France" s’est manifestée tant par le grand débat national, les comités de citoyens qu’on mettait plus d’empressement à réunir qu’à écouter, que par le nombre de ses prises de parole à la télévision - inégalé dans la Ve République… Le président a cherché à séduire sans relâche la France comme s’il s’agissait d’un seul corps cohérent. Il n’est pas le seul à commettre l’erreur d’hypostasier la nation. Il suffit d’écouter les commentateurs de soirées électorales chercher à comprendre "ce qu’ont voulu dire les Français". On se trompe lorsque l’on veut des preuves d’amour d’un corps qui n’a pas d’esprit unifié. Et tout le monde a compris qu’Emmanuel Macron n’était pas sorti de ce tropisme lorsqu’il a ponctué le terme de son allocution d’une hypothèse référendaire. C’est l’une des seules marges de manœuvre qui lui reste. Encore faut-il que l’article 11 de la Constitution lui permette de retenter de parler au peuple encore une fois.

* Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.