EXCLUSIF. Les coulisses du gouvernement : le coup de fil de Le Pen à Bayrou, le non de Macron à Darmanin
Vigilance jaune, vent modéré, dimanche 22 décembre à la mi-journée, Xavier Bertrand est ministre de la Justice. A deux reprises dans les jours qui précèdent, François Bayrou a confirmé au président des Hauts-de-France sa nomination à la Chancellerie. Le problème avec les promotions annoncées trop tôt, c’est qu’elles ont le temps d’irriter leurs opposants. Vigilance orange, une bourrasque et l’information parvient aux oreilles de Marine Le Pen ce même dimanche 22. Elle peine à le croire.
Trois jours plus tôt, la patronne des députés du Rassemblement national a eu la bonté d’envoyer l’élu du Nord Sébastien Chenu déclarer sur RTL que "Xavier Bertrand secrétaire d’Etat au Tourisme" - même si cela serait perçu comme "une provocation" - ne provoquerait pas une censure de François Bayrou par le RN d’entrée de jeu. Mais comment le Premier ministre peut-il songer un instant que le parti lepéniste resterait placide devant un Xavier Bertrand Garde des Sceaux ? Bien sûr, le ministre de la Justice ne peut influencer le tribunal de Paris qui rendra, le 31 mars prochain, sa décision dans le procès des assistants parlementaires mais il n’empêche. L’ancienne candidate à la présidentielle le sait : parmi ses 11 millions d’électeurs, ils sont nombreux à croire que les liens sont troubles entre le ministère de la Justice et les juges. L’arrivée de Xavier Bertrand place Vendôme serait interprétée comme le signe de son affaiblissement, elle doit agir.
Vigilance rouge, tempête dans le combiné de François Bayrou. C’est Marine Le Pen au bout du fil, elle qui a décroché son téléphone pour trompetter sa colère, elle qui s’écrie : "Xavier Bertrand à la Justice, c’est censure automatique." Le Premier ministre ne peut se le permettre. Quelques heures plus tard, il appelle Xavier Bertrand. Il peut avoir un autre portefeuille, pas celui-là…
Le président des Hauts-de-France décline, bientôt il va mettre en scène sa disparition, avec un communiqué délibérément inspiré du testament politique laissé par Jacques Chirac le 11 mars 2007 dans une allocution télévisée solennelle : "Ne composez jamais avec l’extrémisme." Michel Barnier convenait en privé qu’Emmanuel Macron s’était assuré qu’il ne serait pas censuré a priori par le RN avant de le nommer à la tête du gouvernement. Xavier Bertrand souligne qu’il n’entre pas dans une équipe formée "avec l’aval de Marine Le Pen".
"Les dix mecs"
"François Hollande, à chaque fois qu’on se voit, me répète ce que je lui ai dit il y a 10 ans : 'Qui sont les 10 mecs qu’on assoit autour d’une table en temps de crise ?' On y est." Ainsi parlait François Bayrou cet été, imaginant déjà ce qu’il ferait s’il était à Matignon. On y est. Il y est. Mais ce sont les absents que l’on voit le plus. Le Béarnais avait argué auprès d’Emmanuel Macron qu’il pourrait embarquer de Xavier Bertrand à Bernard Cazeneuve - aucun des deux ne figure à bord.
Michel Barnier avait délibérément exclu tout poids lourd de son équipe, seul Bruno Retailleau avait réussi à percer le mur du son. François Bayrou au moins a voulu éviter ce reproche. Il se souvient, pour l’avoir vécu comme ministre de l’Education, de ce que Philippe Séguin disait d’Alain Juppé chef du gouvernement entre 1995 et 1997 : "Il aime régner sur un désert." Il se souvient aussi de sa première expérience ministérielle, en 1993. Il appartenait alors au gouvernement Balladur qui, comme celui annoncé ce lundi soir, comptait quatre piliers, quatre ministres d’Etat. En 2017, François Bayrou avait lui-même demandé à Emmanuel Macron (et obtenu) le titre de ministre d’Etat lorsque lui avait été proposée la Chancellerie, pour mieux sortir du lot.
Cette fois, ils sont donc quatre. Parmi eux, Gérald Darmanin, qui suit un glorieux précédent en obtenant la Justice après être passé par l’Intérieur (François Mitterrand sous la IVe République). Le choix du président - oui, mais lequel ? Certainement pas l’actuel qui lors de la nomination de Michel Barnier s’est bien gardé de réclamer quoi que ce soit pour son ancien ministre de l’Intérieur. Deux noms ont été explicitement cités par Emmanuel Macron au moment de la composition du précédent gouvernement : Sébastien Lecornu, qu’il voulait voir rester aux Armées, et Rachida Dati, qu’il voulait voir rester tout court. Il se méfie de Gérald Darmanin qu’il juge parfois dur et menaçant.
Cette fois, François Bayrou était prêt, s’il le fallait, à sacrifier son ami du Modem Jean-Noël Barrot, mais Emmanuel Macron, comme la fois précédente, a bien caché son enthousiasme sur l’arrivée de Darmanin au Quai. Le président a plaidé la continuité, aux Affaires étrangères comme à la Défense, ce qui était le meilleur moyen de résoudre le casse-tête.
"Gérald fait des trous dans le sol"
Non, le président sur lequel peut compter le député du Nord s’appelle Nicolas Sarkozy. Bien sûr, François Bayrou se fiche pas mal de satisfaire ce rival qu’il déteste et qui le lui rend bien mais la politique est affaire d’équilibres et le pouvoir de nuisance de l’Ex existe encore… "Darmanin reviendrait pour calmer les sarkozystes", prédisait un proche du chef de l’Etat avant l’annonce du nouveau gouvernement.
Autre avantage, il n’existe pas avec cet ambitieux de risque de refus. Son départ de Beauvau l’a ébranlé et le retour à une vie loin des ministères ne l’enthousiasme que modérément à en croire l’un de ses amis : "Gérald s’emmerde, il fait des trous dans le sol." Dit autrement par un intime du président : "Darmanin, tantôt il veut enlever la cravate, tantôt il se roule par terre pour la remettre."
François Bayrou, en 1995, avait élargi son portefeuille de l’Education en obtenant la recherche, l’enseignement professionnel et l’insertion professionnelle. C’est à peu près ce poste qu’il a proposé à Elisabeth Borne. C’est le pardon des offenses. "Mais Elisabeth, tu n’existes pas !" : la violence du propos avait choqué les participants. En 2022, lors d’une réunion pour les législatives, le Palois rembarre celle qui arrive à Matignon. Il ne l’a jamais ménagée, la rangeant délibérément dans la catégorie des technos ; il en fait aujourd’hui la numéro 2 de son gouvernement. Elle avait dit non à Michel Barnier en septembre, elle dit oui à celui dont elle rapporte, dans Vingt mois à Matignon (Flammarion), le conseil qu’il lui a donné un jour : "Moi, j’ai un principe simple en politique, je me demande ce que mon ennemi voudrait que je fasse et je fais le contraire."