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Libéral ou conservateur ? Pourquoi pas les deux ?

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Pourquoi pas les deux ? Il fut répondu [ par l’auteur de ces lignes] par la négative dans deux articles parus en 2018 à la suite de la lecture de The Rise of the Fourth Political Theory de l’idéologue et politologue russe Alexandre Douguine, lequel, émule de Heidegger et de Carl Schmitt, rejette explicitement ce qu’il appelle la démocratie libérale et le libéral-capitalisme au nom d’une forme de conservatisme basée sur les notions d’identité nationale, de sécurité, d’ordre, d’autorité, d’héritage religieux, de famille, de traditions.

Jean-Philippe Delsol ne nie pas dans Libéral ou conservateur ? que le conservatisme puisse avoir ces atours. Hayek lui-même, tout en revendiquant de ne pas appartenir au camp conservateur, dit « qu’une société libre qui réussit est sans doute toujours dans une large mesure une société attachée à des traditions ». Il écrivit aussi que le libéralisme, conscient de ce que nous n’avons pas réponse à tout, partageait avec le conservatisme une certaine méfiance envers la raison.

Libéraux et conservateurs croient à la singularité humaine et à ce que l’histoire ne suit pas un plan, indique Delsol, ce qui les oppose aux collectivistes de toutes espèces. Il reconnaît toutefois que le conservatisme – c’est le cas de la version de Douguine – tend à considérer, comme Aristote et Saint Thomas, que « le bien du tout l’emporte sur celui de la partie », alors que les grands libéraux (Say, Bastiat, Thibon) nous enseignent à nous méfier de tout ce qui s’approprie la prérogative d’organiser ledit « bien du tout », souvent à son seul profit, et, en particulier, de « la main poreuse et spongieuse de l’Etat ». Tout pouvoir a tendance à abuser du pouvoir et la tyrannie, fût-elle celle du bien du tout, à imposer le bonheur des hommes à l’encontre de leur plein gré.

Quatre concepts cardinaux

Moyennant ces réserves, libéralisme et conservatisme se rejoignent sur quatre concepts cardinaux : liberté, responsabilité, dignité et propriété, étant entendu que tout est possible sauf ce qui est interdit par la loi (le totalitarisme, par contre, ne permet que ce qu’il a explicitement autorisé). La liberté est nécessaire, poursuit Delsol, à la recherche de la vérité (à cette fin, les constituants américains ont protégé la liberté d’expression dans le Premier amendement, car dès que l’Etat s’empare de régir la vérité, c’est toute la vie sociale qu’il asservit). L’exercice de la liberté va de pair avec la responsabilité personnelle. S’en remettre à l’Etat pour se prémunir contre toutes les incertitudes de la vie accroît de toute évidence la puissance de l’Etat, outre que ce n’est pas son rôle. Il ne faut pas être Tocqueville pour s’en rendre compte.

Le principe fondateur de cette philosophie de la liberté et de la responsabilité est, comme dit Kant, cité par Delsol, que l’homme existe comme fin en soi et non comme instrument livré à la volonté arbitraire d’un autre et c’est au respect de la dignité de l’homme que correspond le droit de propriété, quatrième concept cardinal énoncé ci-avant. Il est du rôle de l’Etat d’assurer le bon fonctionnement des institutions qui veillent au respect de ces quatre concepts cardinaux et de rendre justice, et non pas de faire le bien au prix d’étendre ses prérogatives en fonction de l’idéologie du moment, car, écrit Delsol, « personne ne peut se prévaloir de connaître avec certitude le Bien et la Vérité », raison pour laquelle la démocratie doit se soumettre à un « état de droit », des règles valables pour tous et opposables au pouvoir afin d’en prévenir l’arbitraire.

Une démocratie performante

La Suisse offre un bon exemple de démocratie performante. Faut-il s’étonner qu’elle dispose de l’un des PIB par habitant les plus élevés du monde ainsi que des taux de prélèvements obligatoires et d’endettement parmi les plus faibles ? Delsol plaide contre la centralisation et pour la subsidiarité. C’était celle-ci qui était à la base de l’Europe libérale à l’origine et en a favorisé le développement avant que la Commission européenne et des bureaucrates dogmatiques ne l’engoncent par idéologie dans le carcan de transitions écologiques et énergétiques abracadabrantesques, à marche forcée, ainsi que de la folie réglementaire, avec les conséquences désastreuses dont les fauteurs, dans leur frénésie et par volonté de puissance, sont les seuls à feindre de ne pas s’apercevoir.

« L’Europe, écrit ce docteur en droit qu’est Delsol, est devenue dangereuse pour la liberté humaine parce qu’elle récuse toute puissance concurrente de ses propres membres en même temps qu’elle ne respecte même plus ses propres traités. (…) [Elle] qui veut bâtir aujourd’hui un nouvel empire n’en a pas retenu les leçons. (…) Il faut revenir à une Europe limitée et subsidiaire selon les principes qui ont présidé à sa constitution. » Citant Thomas Mann (1875-1955) dans La Montagne magique (Der Zauberberg, 1924), Delsol rappelle que « l’humanisme est déjà en soi de la politique », en ce qu’il implique que penser un monde meilleur ne peut se faire sans se préoccuper de la vie réelle des gens.