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"Je déteste l’idéologie" : Vianney d’Alançon, le président très politique de l'ESJ Paris

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Vianney d’Alançon n’aime pas Paris. A 38 ans, Il n’y possède ni n’y loue de logement, tout juste glisse-t-il y dîner en ville, il ne précise aucun nom, ne suggère aucune amitié - prudence nouée. Le mousquetaire en doudoune grise sous blazer marine n’aime donc pas Paris, qu’il vient pourtant de stupéfier en y réunissant le tour de table le plus inédit du moment. Derrière sa bannière pour racheter l’Ecole supérieure de journalisme, l’ESJ, plus ancienne école de journalisme du monde fondée en 1889, Vincent Bolloré via la Compagnie de l’Odet (Canal, Prisma), le groupe Financière Agache de Bernard Arnault (Le Parisien, Les Echos et Paris Match), Rodolphe Saadé, le patron armateur de CMA Média (BFM, RMC, La Provence, la Tribune), Benoît Habert, l’époux de Marie-Hélène Dassault, via son fonds Koodenvoi, l’ancien président du Medef Pierre Gattaz, Stanislas et Godefroy de Bentzmann, à la tête de Devoteam, Etienne Montagne avec la SPES, (l’héritier Michelin est le frère de Vincent Montagne, patron de Média-Participations, propriétaire de Famille chrétienne, Rustica, Spirou et les éditions du Seuil), Thibault de Saint-Vincent, (groupe immobilier Barnes), Stéphane Courbit et le Banijay Group (Koh-Lanta, Master Chef et Fort Boyard) ou encore Watchers and Co de la productrice de télévision et missionnaire évangélique, Chantal Barry, ainsi qu’Alexandre Pesey, le fondateur très à droite de l’IFP, l’Institut de formation politique.

L'ESJ, établissement privé d’enseignement supérieur, étant grevée de dettes de loyers (82 503 euros d’impayés pour le seul rez-de-chaussée appartenant aux héritiers de l’architecte ayant construit la dalle Tolbiac), non reconnue par la profession et classée vingtième parmi ses concurrentes, fut acquise par les 12 investisseurs pour pas grand-chose : 1,6 million d’euros. Vincent Bolloré et Bernard Arnault ont pris 15 % chacun, aucun actionnaire majoritaire, aucune minorité de blocage, les autres taisent le montant de leur participation, qui devrait bouger marginalement puisque Bayard, l’éditeur de presse, cherche à revendre ses 2 %. L’opération, conduite à grande vitesse pour prendre de court les projets concurrents, a de quoi surprendre puisque tous s’accordent sur une certitude : ils ne gagneront aucun centime dans l’affaire. A croire donc qu’ils en attendent bien plus. Mais quoi ? "L’école est un champ de ruines, nous allons la rebâtir, l’accent sera mis sur la formation au monde de l’entreprise, de l’économie et de la géopolitique, cependant nous ne devenons pas un incubateur pour les médias de nos actionnaires", répond Emmanuel Ostian, un journaliste nommé directeur de l’établissement. "Je déteste l’idéologie, je suis un pragmatique, renchérit Vianney d’Alançon. Je préside l’école comme un chef d’entreprise, son histoire appartient à notre patrimoine."

En réussissant cette incroyable chaîne d’actionnaires, le dorénavant président de l’ESJ Paris, titulaire d’un permis de chasse en guise d’unique diplôme, s’est propulsé au coeur de l’establishment. Une mise en orbite foudroyante, d’autant que "l’ingénieur du patrimoine", comme il se définit, n’a jusqu’à lors accompli aucune prouesse financière, son CV se résumant à une marque de médailles de baptême et deux gros châteaux endettés. A en croire tous ceux qui l’accompagnent ou l’observent, le Rastignac autodidacte, longue silhouette, mise classique, disposerait d’énergie, de toupet et d’un talent avisé pour se constituer un puissant réseau. Enfance à Lyon, fratrie de cinq, meurtrie par le divorce parental. Père militaire piqué de philosophie, rédigeant des livres à compte d’auteur, mère exigeante, grande bourgeoisie locale.

"J’aime bien quand les chantiers vont vite"

Il quitte l’école avant le bac, achète un atelier de maroquinerie et un second de joaillerie. A sa famille élargie, il propose de créer une banque de données, un outil d’entraide et de réseautage, mais l’aventure tourne court, certains s’étranglant sur ses critères de classement tenant compte des couples "en union libre". Le fils de famille sans le sou trime, la maroquinerie échoue, bientôt la joaillerie cartonne. 2011, il lance "Laudate", boutiques de médailles de baptême, obtenant à la surprise générale l’aide du designer japonais Kenzo. Distinguant mal ce qui put lier le hobereau néophyte avec le styliste renommé, inhumé aujourd’hui dans le caveau du fondateur de la célèbre boîte de nuit Le Palace, on l’interroge. "Nous sommes tous les deux nés le 27 février", répond-il mystérieux. Laudate caracole, boutiques à Paris, Versailles, Nantes, Lyon, Lille et Bordeaux. Malin, il lance dans la foulée le site Maman Vogue, diffusant des conseils sur la grossesse et les tout-petits, s’agrégeant une communauté de 100 000 followers, "exclusivement des mamans cathos, les mêmes qui achètent ses médailles", aux dires d’un investisseur ayant eu le dossier en main. Quand le site périclite, Pierre-Edouard Stérin le rachète. L’investisseur n’ira pas plus loin, perplexe devant les modèles économiques du jeune chef d’entreprise.

2016, Vianney d’Alançon a 29 ans, une entreprise prospère et, nouvelle tocade, "j’ai eu envie de rejoindre les provinces". Il achète à Saint-Vidal, au cœur de la Haute-Loire, "avec mes sous, une forteresse inhabitable, ayant appartenu il y a sept cents ans à ma famille". Soutenu par la région dirigée par Laurent Wauquiez, qui lui accorde 2,2 millions d’euros de subventions, il la restaure au pas de charge – "j’aime bien quand les chantiers vont vite" –, puis monte un spectacle pour lequel il convainc les acteurs Michael Londsdale, Urbain Cancelier (l’épicier Collignon du Fabuleux destin d'Amélie Poulain) et Jean Piat de prêter leur voix. Il les a décrochés au culot, un coup de fil, un rendez-vous et sa tchatche. Avec la même faconde, il démarche deux poids lourds du capitalisme, discrets et influents. D’abord Benoît Habert, le gendre de Serge Dassault, qui pilote le fonds d’investissement Koodenvoi, qui se définit comme "un investisseur, pas le parrain", et confie "apprécier ce garçon qui a des convictions et sait écouter". Puis, Vincent Montagne, le patron de Médias-Participations, également président de Mage Invest, la holding des actionnaires familiaux du géant du pneumatique Michelin, sollicité en passant par ses neveux, des copains d’enfance lyonnaise. "Je découvre un garçon très intéressant, sa fougue me plaît", se souvient l’éditeur. 2018, la forteresse ouvre au public. La commune de 650 habitants serre les dents, puis s’entiche. "Ça fait venir un peu de monde, on maintient notre bar-restaurant, on a pu acheter des parkings", se réjouit le maire, Gérard Gros. D’Alançon ouvre un hôtel cinq étoiles, le seul de la région, lance une brasserie dans les anciennes écuries louées à la municipalité. Tout ça tourne, et il s’ennuie.

2019, coup de foudre pour le château millénaire de La Barben, ancien relais de chasse du roi René d’Anjou et plus vieux château provençal. Une "grosse bestiole", selon ses mots, 5 000 mètres carrés perchés sur un pic rocailleux entre Arles et Aix-en-Provence, 150 fenêtres, 2 000 mètres carrés de terrasse, cinquante points de fuite dans la toiture, et dans le chartrier des incunables écrits sur des parchemins en peaux de porc et de chèvre. Pour sortir les 10 millions d’euros, le trentenaire est épaulé de nouveau par Benoît Habert, et cette fois également par Vincent Montagne et "Ricardo Ranch", le fonds de la famille Deniau. Deux ans plus tard, en 2021, la "grosse bestiole" est devenu un parc à thème, Rocher Mistral, soutenu par 7 millions d’euros de subventions régionales. Eclate sur-le-champ une guérilla judiciaire, "une cabale à la française, on s’acharne sur ce type malin qui veut faire bouger les choses", selon Franz-Olivier Giesbert, écrivain et éditorialiste au Point. Tandis qu’il monte ses spectacles autour des traditions provençales, écrits et mis en scène par lui-même, attirant 150 000 visiteurs annuels – moitié moins que prévu –, il se met à dos la municipalité et les responsables du patrimoine, ayant l’habitude de passer rapidement sur les demandes d’autorisation. "Je déteste les conservateurs qui conservent pour conserver, je crois comme l’écrivain Jean d’Ormesson que la tradition c’est le progrès qui a réussi." En attendant, à la suite de diverses infractions au Code de l’urbanisme et de l’environnement, il est condamné en février par le tribunal d’Aix-en-Provence et fait appel. "Des militants d’extrême gauche m’ont pris en chasse", explique-t-il, mâchoires serrées derrière son citron chaud. La formule belliqueuse n’est pas partagée par ses deux anges gardiens. "Des péripéties comme dans tous les projets", tempère Benoît Habert. "C’est normal que ça bouscule", modère Vincent Montagne. La Barben et sa grandeur agrippée sur un pic donnent très vite à l’autodidacte, malgré des finances faiblardes, l’envie d’en découdre, d’autant que ses investisseurs lui ouvrent désormais les portes du Paris des affaires - c’est d’ailleurs chez Vincent Montagne que Vianney dort de passage dans la capitale.

"La réussite n’est pas mon approche"

A cet entregent puissant, il en a ajouté un autre, s’étant rapproché de Mgr Rey, le rigoriste évêque de Fréjus, pour lequel il remue ciel et terre, agaçant la Conférence des évêques de France quand celui-ci se fait flanquer, l’an passé, un coadjuteur, soit une mise sous tutelle du Vatican. L’évêque ayant l’oreille de Vincent Bolloré, le patron de Vivendi accepte de recevoir son protégé, confiant depuis être amusé par sa vitalité. Bientôt, le voici déjeunant au cercle Interallié, où il reçoit éditeurs, journalistes, financiers et banquiers. Il se lie avec l’ancienne plume de Jean-François Copé, embauche comme communicant l’ex-porte-parole de Gérard Collomb, Frédéric de Lanouvelle. Cocktails, dîners de gala, soirées de prestige, opéras, le tout à grandes enjambées avant de rejoindre en train la Provence. Les projets bouillonnent - il réfléchit à un essai sur la masculinité écrit avec Mgr Rey -, parfois ils s’encalminent, tandis que le carnet d’adresses lui gonfle. "La réussite n’est pas mon approche, mon seul objectif c’est de faire des choses qui aient du sens et soient durables", commente-t-il, prudence corsetée. Ces amis murmurent toutefois qu’il biche d’être parvenu à se hisser dans les cimes, jurant qu’il n’aspire à aucun destin politique. "Je le connais depuis sept ans, il ne parle jamais politique", corrobore Franz-Olivier Giesbert.

Novembre 2023, Guillaume Jobin, président de l’ESJ, qu’il dirige depuis sa résidence marocaine, cherche à vendre, accompagné dans sa chasse aux investisseurs par Jean-Baptiste Giraud, ancien élève et enseignant de l’ESJ. A croire que la marque vaut plus que son bilan, ils sont bientôt cinq, six candidats sur les rangs, dont une offre à 1,2 million de l’IGS, l’Institut de gestion sociale. Au milieu de la bataille surgit, en juin dernier, le fabricant de médailles et promoteur de patrimoine Vianney d’Alançon avec 500 000 euros dans la poche. Aussitôt éconduit, le propriétaire en attendant trois fois plus. Début septembre, retour du châtelain de La Barben, cette fois, persuasif. Vente signée mi-novembre. Joli coup pour le dernier arrivé, parvenant, sans aucune expérience dans l’enseignement supérieur ou le journalisme – son évocation d’une tante mariée au présentateur Yves Mourousi faisant sourire –, à prendre de vitesse les concurrents. "Quand il est revenu dans le jeu, il n’avait pas le début de son tour de table", assure un de ses intimes.

Début décembre, les actionnaires sont dévoilés, le conseil pédagogique formé. Et là, surprise : Alexandre Pesey est nommé directeur du développement. Le fondateur de l’IFP, Institut de formation politique, n’est pas un profil neutre. Il anime depuis vingt ans cette pépinière de militants de droite et d’extrême droite, engagement affirmé qu’il partage avec son épouse américaine, fervente soutien de Donald Trump en France. La présence du très engagé à droite aux côtés du magnat de l’audiovisuel Stéphane Courbit, de Vincent Montagne qui, au nom du syndicat national des éditeurs, s’opposa devant la Commission européenne à la fusion Editis-Hachette voulue par Bolloré, interroge. Que vient faire le patron de l’IFP dans une école dont le nouveau président, Vianney d’Alançon, affirme chasser tout projet politique ? En interne, et à mots couverts, on assure qu’Alexandre Pesey est sous surveillance, il devra "rester dans les clous, s’il tente quoi que ce soit, il sera sorti sur le champ". Voilà qui augure de quelques aventures, au cours desquelles il conviendra de relire la devise de l’établissement centenaire : "Quot capita, tot sensus", "Autant d’esprits, autant d’avis".