Islande : La quintessence de la pêche sauvage
De la fin du printemps à la fi n de l’été, l’Islande est une destination prisée des pêcheurs pour sa ressource en cabillauds, lieus noirs et loups arctiques, mais qui est surtout connue des Allemands. Récit de 10 jours de pêche entre fjords et glaciers. Texte et Photos de Jean-Pierre Drouot
[caption id="attachment_191971" align="aligncenter" width="500"] Direction Sudavik © DR - Pêche en mer[/caption]
Nous avions rencontré Henry Karier en 2018 au salon de Nantes. Il représente IcelandSea Angling qui organise des séjours pêche dans les fjords de l’Ouest islandais, à Sudavik, juste en face du Groenland.
C’est effectivement le paradis des cabillauds, des lieus noirs… Comme beaucoup de pêcheurs français, nous avons l’habitude de partir en destinations « exo », au soleil.
Changement de cap, nous l’avons rapidement contacté pour mettre en place une virée au frais dans le Grand Nord.
Après la Covid, nous avons enfin pu réserver un séjour pour une « expédition » fin mai. 10 jours de pêche dans un autre monde nous tendaient les bras. Il fallut s’y préparer.
Les équipements habituels de nos côtes bretonnes seront partiellement mis de côté…
Tout d’abord, on doit penser au climat complètement différent, les températures matinales à cette époque avoisinent les 2 °C et s’il fait beau l’après-midi, 10-12 °C sont possibles, avec un soleil qui tape dur quand même. Il est indispensable de choisir un équipement technique multicouche respirante pour éviter la transpiration qui se transformerait très vite en réfrigérateur.
Notre voyage en vidéo :
Le matériel
Pour le matériel, il est bien sûr nécessaire de prévoir du costaud, la canne habituelle pour traquer nos lieus jaunes ou similaires serait trop sollicitée pour résister aux superbes cabillauds. Nous avons donc opté pour des cannes 30/50 lb équipées de moulinets dotés de frein sérieux et permettant d’enrouler 300 m de tresse en 60 lb. Le bas de ligne sera un shock leader de 100 lb pour résister à la dentition des cabillauds. Côté leurres, c’est aussi une autre catégorie, les jigs seront de 300 g au minimum, les shads solides de 25 cm équiperont soit des têtes plombées bien armées de 300 g et 400 g, soit des montages de 30 cm dans les coloris roses, noirs et hareng. Ils seront obligatoirement précédés de rollings sérieux pour contrer la rotation systématique des poissons pendant les combats. Nous sommes aussi partis avec des équipements plus light pour traquer les lieus noirs. Notre matériel breton sera parfaitement adapté. Une autre espèce est également présente à cette période, le loup arctique, poisson de fond à la mâchoire impressionnante. Les bases sont posées. Voici comment se déroule « l’expédition » : vol au départ de Roissy Charles de Gaulle avec Islandair en début d’après-midi. Trois heures et demie plus tard, arrivée à Keflavik. Le transfert en direction des fjords de l’Ouest se fera en bus, environ 400 km et six heures de route. L’arrivée à Sudavik sera donc tardive, prévue vers 23 h 30, juste au coucher du soleil. Sur place, la location d’une maison islandaise est incluse ainsi que la mise à disposition d’un bateau pour la durée du séjour. Nous aurons à gérer les casse-croûte et les repas sur place. Le bateau est à notre disposition, nous pouvons sortir quand nous le souhaitons, sous condition que la météo soit clémente. Le carburant reste à notre charge, les spots ne sont pas loin, souvent à 6 miles du port. [caption id="attachment_191969" align="aligncenter" width="500"] Le port de Sudavik avec les bateaux que nous utiliserons. © DR - Pêche en mer[/caption]Sortie interdite les deux premiers jours
Le lendemain, à 9 h 30, briefing à la location avec Henri, vu les conditions météo avec un fort vent de sud, impossible de sortir en sécurité et il en sera de même le lendemain. Donc la journée est consacrée aux courses à Isafjoldur dans le fjord voisin, la ville la plus proche, à 30 min de Sudavik, puis au déballage du matos. Le plan sécuritaire est au top. Tous les bateaux de construction islandaise sont équipés de l’AIS. Chaque départ du port doit obligatoirement être déclaré par VHF au centre de contrôle en mer type CROSS en indiquant le nombre de passagers à bord. Le retour au port sera également signalé. Le troisième jour, nous pourrons enfin sortir par un temps couvert, frais, mais pas trop venteux. [caption id="attachment_191973" align="aligncenter" width="500"] En approche d’un spot. Il a neigé pendant la nuit © DR - Pêche en mer[/caption] Après avoir chargé de la glace dans les containers de stockage du poisson capturé, route de 20 min pour rejoindre « la montagne des cabillauds». Ce n’est pas un gros caillou à 60 m de profondeur qui nous attend, mais une meute de cabillauds. Au gros shad, au grand jig, les prises de 90 cm s’enchaînent, mais le mètre est souvent dépassé. Un poisson accroché qui se décroche à la remontée est aussitôt remplacé par un cousin, nous sentons sur les leurres les bagarres du fond pour se faire piquer le premier. Aucun spécimen ne sera remis à l’eau, le no-kill est interdit. De toute façon, les remontées entre 60 et 100 m ne laissent aucune chance de survie aux intéressés. Pour la bonne conservation, nous les saignons un par un et les mettons dans la glace. Ils seront tous rapportés au port pour être transformés. Après le casse-croûte indispensable, la pêche continue, nous nous sommes habitués aux prises de plus de 10 kg, et là, une superbe touche… ce n’est plus le même, pour Bertrand le combat commence et sera plus costaud. Au bout de 10 minutes, la bête fait surface, elle accusera 25 kg à la pesée et sera pour l’instant le record de cette saison. Le premier bac est plein et nous décidons d’aller rechercher pas loin de là les tanières des loups arctiques. Ils se cachent à 40 m de fond à l’affût du passage de gros crustacés, principalement des crabes qu’ils broient en quelques instants. Nous équipons nos cannes de jigs « bananes » très trapus qu’il faut laisser traîner au fond sans trop d’animation. [caption id="attachment_191966" align="aligncenter" width="500"] Mieux vaut des leurres fluo et solides. © DR - Pêche en mer[/caption] Ce sera efficace et nous verrons à la surface arriver ces monstres marins, pas très gros, mais très vilains. Henri nous avait bien briefés. Une fois qu’il est hissé à bord, la matraque est de rigueur pour rendre la mâchoire inoffensive afin de décrocher l’hameçon. Au vu de la dentition et de cette mâchoire réputée comme étant la plus puissante de ces fonds marins, il est vraiment nécessaire de maîtriser l’animal. Nous en ferons une dizaine entrecoupée de quelques cabillauds présents dans le même coin. La rentrée au port sera rapide et nous amarrerons notre bateau au ponton dédié à cette flotte. Les bacs de poissons ne seront débarqués que le jour suivant, lorsque les bâtiments techniques du port seront ouverts. Vu la température, pas de problème de conservation. Le lendemain matin, nous débarquerons 250 kg de poissons et retournerons au ponton, le vent violent est de retour… D’après Henri, les premiers lieus noirs sont arrivés, c’est une sortie que nous programmerons avec lui, car très spécifique, au début sur une épave à 120 m de fond. Le cinquième jour, à 8 h, nous allons tester un autre point à proximité du port. Le vent est toujours là, mais raisonnable, la balade se terminera à 14 h, les prises de cabillauds s’enchaîneront pratiquement sur toute la sortie, encore un bac de rempli essentiellement pas des poissons moyens. Il neige tous les soirs et les parois verticales qui nous entourent blanchissent toutes les nuits. [caption id="attachment_191976" align="aligncenter" width="500"] En combat face à un cabillaud de 25 kg. © DR - Pêche en mer[/caption]Le soleil et les baleines
Le sixième jour, le soleil est là, pas de temps à perdre, 20 minutes après le départ, le premier poisson est à bord. La mer est calme, il y a un peu de vent, mais les dérives sont parfaites, nous partons dans les 90 à 120 m plus au nord du fjord principal. Quel bonheur de pouvoir, grâce au soleil, enlever quelques couches ! Très belle sortie avec la rencontre d’une baleine à bosse à quelques mètres du bateau, d’autres seront un peu plus éloignées, mais bien présentes. Les cabillauds sont encore là et continuent de monter à bord. Nous avons tellement l’habitude de leurs touches que nous ne sommes pas toujours très concentrés, en plus il fait beau. Dans l’après-midi, j’ai bien failli lâcher ma canne sur une touche hyperviolente sans suite. Quel poisson ?Nous terminerons la journée sur une nouvelle traque des loups qui rejoindront les cabillauds dans le bateau. Le septième jour, grosse pluie et vent, nous décidons de rester à quai. Nous en profiterons pour nous réapprovisionner et aller faire un tour du côté de la chute d’eau la plus importante d’Islande. Le huitième jour, il neige avec une température de 2 °C le matin, il n’y a pas trop de vent, donc nous décidons de sortir bien équipés. Ce sera une belle épreuve, car la pluie ne faiblira pas, les poissons non plus, nous repartons sur la zone des 90 à 120 m et cette journée sera mémorable. La météo ne perturbe pas les occupants des profondeurs. Les dérives sont assez rapides, le clapot est bien présent, mais les poissons aussi, les cabillauds s’enchaînent, quelques jolis églefins font partie de la fête, mais Ludo est accroché à une bête avec au moins 180 m de tresse dehors. [gallery columns="2" size="medium" ids="191974,191968"] Le moulinet crisse de nombreuses fois et le combat est bien engagé, ne rien lâcher, toutes les autres cannes sont remontées, 15 minutes de lutte pour voir arriver sur le jig deux cabillauds, un petit de 35 cm et un autre qui a sûrement voulu l’engloutir sur le second hameçon. Il est gigantesque et accusera 28 kg à la pesée au port. Nous aurons aussi un poisson d’environ 15 kg qui régurgitera un congénère de 60 cm… J’aurai pratiquement au même endroit qu’il y a deux jours la touche d’enfer sans suite, ce n’est pas le fond, j’étais en cours de remontée, donc environ 30 m au-dessus du fond ? Nous demanderons à Henri lorsque nous serons rentrés. Un peu plus tard un joli doublé : 18 kg pour Régis et 22 kg pour moi, dans des conditions de plus en plus difficiles. La neige fondue et le vent auront raison de nous, nous commençons à ne plus être étanches, donc nous rentrons avec presque 350 kg de poissons.Ce n’est pas un gros caillou à 60 m de profondeur qui nous attend, mais une meute de cabillauds. Au gros shad, au grand jig, les prises de 90 cm s’enchaînent, mais le mètre est souvent dépassé.
Confirmation du cabillaud record
[gallery columns="2" size="medium" ids="191970,191972"] Ce sera notre dernière sortie, le vent reprend le dessus et la mer n’est pas sympa. Nous aurons pris au total 1 200 kg de poissons dans des conditions météo inhabituelles pour cette période. Nous repartirons avec le record de cette saison grâce à notre cabillaud de 28 kg (le record absolu toutes saisons est de 32 kg). Au cours de notre dernier apéro avec Henri et son épouse Elsi, nous découvrirons que mes deux touches hors normes pour des cabillauds étaient très certainement des flétans dont l’espèce est protégée en Islande donc interdite de pêche. Sur place, l’armada de Iceland- Sea Angling est composée de 12 bateaux identiques. Le tonnage de cabillauds pour cette flotte « semi-professionnelle » est lié à un quota. Tous les poissons débarqués sont transformés sur place, foie et filets séchés de cabillauds (morues), puis commercialisés. La cohabitation avec les pros indépendants ne pose aucun problème, ils ont le même type de bateaux un peu plus gros et équipés de moulinets électriques (on comprend pourquoi). Les grands bateaux de pêche pro ne sont pas dans les fjords, ils sortent au large, souvent pas très loin, pour remplir leurs cales.Notre équipement de base
[caption id="attachment_191967" align="aligncenter" width="500"] 25 Kg de leurres, nous avions vu large ! © DR - Pêche en mer[/caption]- Canne 30/50 lb Mad Mouse Jigging Rod : 1,90 m, jigs 100 à 450 g, talon avec cardan.
- Moulinet Penn Spinfisher VI 5500 : 524 g, 300 m de tresse 60 lb, frein 11,3 kg, récup 99 cm.
- Tresse Daiwa multicolore J braid 8 en 60 lb.
- Shock leader 100 lb.