"Le macronisme est mort" : la chute du gouvernement Barnier vue par la presse étrangère
C’est sûrement la une étrangère qui résume le mieux la situation en France. "Merde", titre The Economist sur une bouche de métro parisienne plongée dans la nuit, affirmant que "la France fait un pas vers l’inconnu". Car l’immense flou dans lequel est désormais plongée la France après le vote de la censure du gouvernement Barnier n’inquiète pas que dans l’Hexagone. Dans la presse étrangère également, les analyses ne manquent pas pour tenter de décrire le "chaos" politique dans lequel continue de s’enfoncer le pays.
Pour grand nombre de journaux, le premier fautif de cette instabilité n’est pas à chercher bien loin : il se trouve à l’Élysée, et il s’agit d’Emmanuel Macron. "Le président français a trébuché sur sa propre arrogance. Avec les nouvelles élections, il a rendu la France politiquement incapable d’agir. Ainsi, après l’Allemagne, c’est la deuxième puissance dirigeante européenne qui est désormais hors jeu pour une durée indéterminée", affirme le journal conservateur allemand Die Welt dans son éditorial titré "La grave erreur d’Emmanuel Macron".
No budget, no government. It is hard to see how France’s deep political crisis can be resolved https://t.co/sm62ZPox8Z pic.twitter.com/OyuGHmJExa
— The Economist (@TheEconomist) December 4, 2024
"Le macronisme est mort. L’année même qui, dans le fantasme de son fondateur, devait être celle de la consécration", écrit de son côté le quotidien italien Corriere della Sierra, soulignant qu’entre le 80e anniversaire du débarquement allié en Normandie, les Jeux olympiques et la réouverture de Notre-Dame, 2024 devait être l’année où la France était peut-être plus scrutée que jamais par le monde entier. "L’idée de couper les ailes aux partis traditionnels et d’avancer au centre a fonctionné pendant deux élections présidentielles, mais elle s’est effondrée face à la crise sociale et à l’impopularité du président. Et pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, l’extrême gauche et l’extrême droite ont voté ensemble", poursuit le journal transalpin.
L’inquiétude économique
Dans ce marasme, l’impuissance de Michel Barnier, une personnalité politique bien connue au sein de l’Union européenne, interpelle également. Pour El Pais, l’ancien négociateur du Brexit "a sous-estimé la haine, la colère et la soif de vengeance qui se sont accumulées au Parlement ces dernières années". Le quotidien espagnol de centre-gauche poursuit en mettant en avant "un homme droit, gaulliste et profondément pro-européen qui aurait pu prendre sa retraite avec ce souvenir gravé dans la mémoire collective de l’Europe". Mais qui "s’est laissé gagner par son ambition et, qui sait, par un certain sens du patriotisme, en acceptant, peut-être imprudemment, la mission infernale que lui a confiée Emmanuel Macron en septembre dernier : tenter de recoller l’inconciliable".
Néanmoins, c’est surtout l’instabilité économique dans laquelle est désormais plongée la France qui inquiète bon nombre de journaux. "Le problème sous-jacent est que la plupart des électeurs français ne veulent pas affronter la réalité économique", insiste The Economist, pour qui, "comme d’autres pays européens vieillissants confrontés à la concurrence de l’Amérique et de l’Asie, la France dépense de manière insoutenable". Aux yeux de l’hebdomadaire libéral, même si le projet budgétaire de Michel Barnier "aurait permis de réduire le déficit de seulement d’un point de pourcentage environ, cela était trop pour la droite et la gauche irresponsables, qui préfèrent chasser le pouvoir en attisant le mécontentement populaire".
Constat similaire du côté du Financial Times, qui estime que "l’enjeu pour Emmanuel Macron est de sauver le reste de son second mandat tout en protégeant ce qui reste de son bilan, en particulier dans le domaine de l’économie, où il a mis en œuvre des réformes favorables aux entreprises et des réductions d’impôts". Le quotidien économique libéral britannique insiste sur la nécessité du chef de l’Etat français d’aller bien plus vite que les deux mois qu’il lui avait fallu pour aboutir à la nomination de Michel Barnier. "Tout retard risque de le faire paraître faible et d’inquiéter davantage les marchés financiers, alors les coûts d’emprunt français ont grimpé en flèche la semaine dernière en raison des craintes d’un échec de la manœuvre budgétaire du gouvernement".
"La France est limitée dans ses solutions à long terme", s’inquiète également le Washington Post. "Son taux d’imposition déjà élevé ne lui laisse qu’une marge de manœuvre limitée pour augmenter ses recettes et remédier à ses difficultés budgétaires, tandis que des coupes sombres dans les prestations publiques pourraient déclencher des troubles sociaux et favoriser les populistes d’extrême droite et d’extrême gauche", poursuit le quotidien américain.
Une responsabilité partagée
Mais Emmanuel Macron n’est pas la seule cible de la presse internationale. L’ensemble de la gauche, en déposant et votant la motion de censure contre le gouvernement français, est également visé par de nombreux journaux. Pour le journal belge Le Soir, "une étroite voie de passage existe pourtant, pour éviter une France totalement ingouvernable. Celle d’une grande coalition entre les forces de gouvernement, de la droite à la gauche". Mais "cela supposerait que le Parti socialiste se détache des Insoumis. Est-ce si dur ?". Le journal espagnol de centre-droit El Mundo met de son côté en avant la création d'"un nouveau cordon, inédit en France : celui du vote commun des extrêmes contre Macron", venant supplanter le "cordon sanitaire" d’habitude face à l’extrême droite.
Même si aux yeux d’El Pais, cette situation est avant tout liée à un gouvernement "aux mains de l’extrême droite de Marine Le Pen et de son parti, le Rassemblement national". Pour le journal hispanique, Michel Barnier aura finalement "laissé toutes les décisions importantes entre les mains des 143 députés d’extrême droite" et se sera "employé dès la première minute à les courtiser par une série de concessions - de la nomination d’un ministre de l’intérieur extrêmement conservateur et dur, Bruno Retailleau, à la réception de Le Pen autant de fois que nécessaire à Matignon pour écouter ses demandes, ou encore l’annonce d’une loi sévère sur l’immigration."
"La prochaine cible de Le Pen : Emmanuel Macron"
Cette situation cristallise en tout cas la prépondérance d’une figure : celle de Marine Le Pen. L’immense majorité des médias internationaux met en avant la peine d’inéligibilité que risque la cheffe de file du RN comme un détonateur dans la décision de son parti de censurer Michel Barnier et son gouvernement. Selon le Corriere della Serra, "la phase de la ’dirigeante responsable', soutien extérieur du gouvernement, a commencé à s’achever le 13 novembre, jour où le parquet de Paris a requis cinq ans de prison et l’inéligibilité à son encontre dans le procès des assistants parlementaires." Le journal italien affirme qu'"au lieu d’attendre docilement le verdict prévu le 31 mars, Marine Le Pen a choisi la stratégie du chaos et fait tomber le gouvernement alors que la dette publique dépasse les trois mille milliards et que les marchés s’alarment".
Der Spiegel titre de façon assez claire : "La prochaine cible de Le Pen : Emmanuel Macron". Le journal allemand rappelle que "si Macron refuse de démissionner, il pourrait dissoudre l’Assemblée nationale, une fois de plus. La Constitution le lui permet toutefois au plus tôt en juillet. Mais Marine Le Pen n’a pas autant de temps. Elle est pressée", ajoute-t-il, soulignant l’hypothèse d’une démission d’Emmanuel Macron et d’une élection présidentielle anticipée comme l’alpha et l’omega de la stratégie du RN.
"La France est prise en otage, sans qu’aucune issue ne soit en vue", affirme de façon presque résignée le New York Times. Ce dernier affirme que "personne ne sait ce qui va suivre. Mais ce qui est certain est la force de l’extrême droite en France aujourd’hui. Ses ambitions et ses aspirations dominent déjà le pays ; aujourd’hui, elle a montré qu’elle pouvait faire tomber un gouvernement". Le journal américain de centre-gauche n’a d’ailleurs plus vraiment de doutes quant aux aspirations de Marine Le Pen et de son camp. "Il est clair qu’ils ne se contentent plus de pousser la vie politique française vers la droite : ils veulent maintenant le pouvoir. Il se pourrait qu’ils ne tardent pas à l’obtenir".