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Carlos Tavares quitte Stellantis : "Le voir partir n’est pas un crève-cœur pour l’Etat"

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Au mois d'août dernier déjà, Bernard Jullien, maître de conférences à l'université de Bordeaux, s'inquiétait de la "soutenabilité à long terme du système Tavares". L'heure du départ a sonné plus tôt que prévu pour le PDG de Stellantis, à la tête du géant de l’automobile franco-italo-américain depuis 2021. Dimanche 1er décembre, le conseil d'administration du constructeur l'a poussé vers la sortie... Après plusieurs années de solides performances, le groupe a récemment vu ses ventes décliner. Reflet des bouleversements d'un secteur de plus en plus fragilisé, le départ de Carlos Tavares, dont les méthodes de gestion ont souvent été critiquées, ouvre un chapitre d'incertitudes pour le groupe.

L’Express : Carlos Tavares était censé quitter le groupe en 2026. Comment analyser cette soudaine accélération des évènements ?

Bernard Jullien : D’un point de vue managérial, il est compliqué d’exercer les pleins pouvoirs alors même que l’on s’apprête à partir. Parce qu’évidemment, les capacités de résistance des subordonnés sont d’autant plus grandes s’ils savent que vous allez partir... En parallèle, il y a eu des doutes sur la stratégie pour 2025 de Carlos Tavares et sa capacité à continuer de conduire la barque. Avant de se retirer, Tavares voulait rendre une copie un peu plus conforme à ce qu’il avait promis il y a un an, en termes de profitabilité. Et cela coûte que coûte. Il proposait de faire du "Tavares ++", c’est-à-dire de serrer toutes les vis, d’être plus dur encore avec les fournisseurs, de ne plus embaucher dans les usines… C’est apparu comme une "politique de la terre brûlée" aux yeux du conseil d’administration.

Jusqu'en 2023, tant que le cours de l'action était élevé et que les dividendes rentraient, il y a eu beaucoup de tolérance de la part des actionnaires pour le management de Tavares. Puis, lorsque ses méthodes n'ont plus été porteuses, ces mêmes actionnaires ont changé de cap et se sont mis à écouter ceux qui les alertaient sur le fait qu’on allait droit dans le mur. Il semble que ce soit plutôt John Elkann qui a changé son fusil d’épaule. Mais les Peugeot ont eux aussi dû valider la décision, ils se sont mis d’accord au préalable. Pour l’instant, cette démission forcée n’est pas validée par la Bourse [NDLR : l'action a chuté de plus de 6% lundi].

L’État français est actionnaire de Stellantis via Bpifrance. Comment interpréter son rôle dans cette décision de départ ?

De toute évidence, la BPI n’est pas montée au créneau pour s’opposer à ce départ. Mais ils n’avaient pas assez de poids dans tous les cas. Plus généralement, l’État - comme les syndicats - ne sait pas trop sur quel pied danser par rapport à Stellantis. Les pouvoirs publics ont eu beaucoup à se plaindre de Tavares ; quand Bruno Le Maire demandait que la 208 électrique, qui était massivement subventionnée, soit fabriquée en France, Tavares ne réagissait pas. Idem quand le ministre prônait la solidarité de la filière, Tavares ne venait même pas aux comités stratégiques dédiés. Donc il y a eu le sentiment d’une forme de maltraitance ; le voir partir n’était donc pas forcément un crève-cœur. Mais on ne sait pas trop qui pourrait être désigné maintenant et la crainte de voir arriver un Américain qui fasse peu de cas des intérêts français est grande.

Malgré tout, les Peugeot et Elkann ont beau être extrêmement gourmands financièrement, ils ont quand même cette expérience familiale longue et savent qu’on ne peut pas faire sans les États dans le secteur automobile.

Quelle sont les scénarios possibles aujourd'hui ?

Il y a deux solutions : soit on va considérer qu’il est urgent de rétablir la profitabilité et de retrouver les marges à deux chiffres qu’on a eu avec Tavares, auquel cas un plan de rationalisation assez violent n’est pas à exclure. Soit on va admettre que cette promesse est assez folle et qu’il serait plus raisonnable d’essayer de retrouver au plus vite les volumes et les parts de marché qui se sont étiolées de manière absolument alarmante.

Tavares avait promis de ne pas fermer d’usines ni de sacrifier de marques. Mais ces engagements datent de 2019-2020 et si la première option prévalait, les dirigeants auraient tôt fait de rappeler que le contexte a beaucoup changé depuis, qu’on ne peut pas s’entêter dans cet objectif. Je ne serais pas surpris qu’alors ils sacrifient Alpha Romeo, DS ou Chrysler pour sauver le groupe. Il paraît donc raisonnable pour Stellantis d'être moins gourmand sur cet exercice qu'en 2022-2023. Il faut oublier l'espoir fou de maintenir les marges que le groupe a connues sous Tavares.

Autre défi : ils ont été économes en matière de R & D et dans la manière d’implémenter l’électrification. Résultat, leurs offres électriques risquent de ne pas être aussi probantes que celles de certains concurrents. La stratégie multi-énergies est un peu trop prudente et sa capacité à rentrer dans le monde du "tout-électrique" n’est pas encore convaincante.

Le secteur de l’automobile fait face à une concurrence chinoise et à un ralentissement structurel aux Etats-Unis. Comment le groupe pourra-t-il rebondir dans ce contexte ?

Le cap qui avait été pris sous Tavares consistait à ne pas s’opposer à la concurrence avec la Chine et à se tenir plutôt dans une approche proactive que réactive. Avec le départ de Tavares, il n’est pas certain que ce cap soit tenu.

Pour le reste, c’est vraiment aux États-Unis que tout va se jouer : vont-ils réussir à rebondir ? Stellantis est très américano-dépendant ; les années où le groupe faisait des profits importants en Europe, il n’atteignait les 13 ou 14 % de marge que parce que les États-Unis faisaient 16 %.

Mais certains fondamentaux sont plutôt favorables. Par exemple, à la différence de ses concurrents tels que General Motors, Volkswagen, ou BMW, l’exposition du groupe au risque chinois a pratiquement disparu pour Stellantis parce que le groupe n’y fabrique plus et n'y vend plus, alors que les concurrents s’entêtent à défendre ce qui leur reste là-bas. S’ils arrivent à se rétablir à la fois aux Etats-Unis et sur les grands marchés européens avec leurs marques phare, on pourra alors dire que le groupe est sur une trajectoire plutôt soutenable.