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Ноябрь
2024

Ce que je cherche, de Jordan Bardella

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Dans les interviews qu’il donne pour présenter son livre, Jordan Bardella affirme que ce livre n’est pas une autobiographie, ni un programme électoral, mais qu’il veut seulement faire « apparaître ce qu’il est vraiment », « d’où je viens ».
En réalité il s’agit bien d’une autobiographie, montrant clairement d’où vient l’auteur. Le programme électoral y est très partiel et soufre de graves lacunes, particulièrement en économie.

L’autobiographie est réussie.

Son grand-père paternel, d’origine italienne et algérienne, est arrivé en France en 1960. Sa grand’mère paternelle est la fille d’un kabyle et d’une parisienne d’origine alsacienne qui sont venus d’Italie en France en 1963. Ses grands-parents ont donc connu les trente glorieuses, période où l’intégration par le travail, facilitée par leur origine italienne, fonctionnait dans notre pays.

Ses parents, dont il est le fils unique, ont divorcé au début de 1997, alors qu’il avait moins d’un an et demi. Il a été élevé par sa mère, qui travaillait avec un faible salaire et habitait dans une cité HLM de Saint-Denis. Il a connu les fins de mois difficiles et les violences : voitures brulées, trafic de drogue, assassinats au pied de son immeuble, pressions islamistes, assaut contre les terroristes du Bataclan. « Les images des flammes et des voitures carbonisées de mon quartier ne me quitteront jamais ».

Il qualifie cependant son enfance de « jeunesse épanouie ». Il est scolarisé pendant huit ans dans des écoles privées dont il « conserve un souvenir heureux ». Ses condisciples sont des enfants d’immigrés avec lesquels il s’est bien entendu. Il est « l’archétype du bon élève ». Quatre heures par semaine, il enseigne bénévolement le français à des travailleurs étrangers.

A 16 ans il s’inscrit au Front National après avoir vu à la télévision un débat Mélenchon-Marine le Pen. A 17 ans il est bachelier avec la mention très bien, qui lui donne droit à une bourse. Mais François Hollande supprime ces bourses au nom de la lutte contre les inégalités, ce qui révolte Jordan Bardella et l’incite à lancer une pétition contre cette suppression. La pétition rencontre un tel succès que le gouvernement annule la suppression. Son premier succès politique. Il s’inscrit à une double licence Espagnol et Histoire à la Sorbonne qu’il ne terminera pas.

Car il est séduit par les propos de Marine le Pen, qui « met des mots sur notre quotidien dans le quartier ». « Elle nous rend fiers par son refus des outrances, son expression ferme et raisonnable qui nous conforte dans l’idée que ce que nous pensons n’est ni extrême ni honteux, mais relève du bon sens ».

Il poursuit une ascension rapide au Front National, puis au Rassemblement National : délégué départemental à 18 ans, assistant d’un député européen, conseiller régional, candidat aux législatives de 2017, porte-parole, directeur du Front national de la jeunesse, premier vice-président, tête de liste aux élections européennes à 23 ans, député européen, président par intérim, puis largement élu président le 5 novembre 2022, à 27 ans, à nouveau tête de liste aux élections européennes de 2024. Ses talents, son travail acharné et le soutien constant et confiant de Marine le Pen expliquent cette ascension.

Pendant ces dix ans de campagnes électorales, la distribution de tracts, les interviews de journalistes, de nombreux débats et meetings lui ont fait sillonner la France, rencontrer des milliers d’électeurs et renforcer ses capacités rhétoriques. Il a appris l’art d’exploiter les circonstances. C’est ainsi qu’à la réunion de chefs de partis qu’Emmanuel Macron a convoquée à Saint-Denis, après les émeutes de juillet 2023, il déclare : « J’ai cru comprendre que cette réunion était réservée aux partis de l’arc républicain. Je suis heureux d’apprendre que nous en sommes ».

Ses convictions sur l’immigration ont été forgées sur le terrain : « L’écrasante majorité des émeutiers et des auteurs d’actes de délinquance sont étrangers ou liés à l’immigration … L’immigration anarchique et la repentance perpétuelle semblent avoir nourri cette haine inextinguible qui fracture le pays … L’islamisme pourrait devenir un produit très inflammable… La pauvreté n’explique pas la délinquance ».

Son amour de la France parait sincère. Il évoque « l’identité profonde de Nation-civilisation de la France … J’ai beau ne pas croire, ne pas être baptisé, la chrétienté a façonné l’histoire, le patrimoine, l’art et la pensée française …La Nation n’est pas un concept abstrait ou obsolète … La France doit apprendre à s’aimer à nouveau ». Il rejette la « francophobie ».

Il semble aussi convaincu de la nécessité de la méritocratie. Il est trop imprégné de politique pour ne pas aborder quelques questions de programme électoral. Sur l’immigration il se contente de demander la « prohibition du voile dans les universités et bâtiments des services publics » et de refuser la suppression de la double nationalité (sans donner les raisons, probablement électorales, de ce refus).
Il ne dit rien sur les moyens de la lutte contre l’insécurité prônée par son parti et semble s’intéresser davantage à la politique internationale. « Le projet d’armée européenne restera définitivement au stade des rêveries adolescentes de militants fédéralistes …   Je souhaite que Poutine ne sorte pas victorieux de cette guerre ». Il faut « maintenir le dialogue avec la Russie ».

Sans doute a-t-il raison de réserver ces sujets au programme électoral du parti, qui sera l’œuvre de Marine le Pen. Mais dans l’hypothèse où celle-ci ne pourrait pas être candidate à l’élection présidentielle et où cette élection serait avancée à la suite d’une motion de censure et d’une démission du Président de la République, cette absence de réflexion handicaperait le candidat qu’il pourrait être.

C’est spécialement évident en matière économique. Il est favorable à la « puissance » de la France mais semble ignorer les moyens pour l’obtenir. Il n’analyse pas les raisons pour lesquelles une dizaine de pays développés ont dépassé depuis trente ans notre niveau de vie, c’est-à-dire notre puissance : ces pays ont maitrisé leurs finances publiques et baissé les charges sur leurs entreprises pour les rendre compétitives.

Il se contente de propositions démagogiques. A propos de la fermeture d’une usine d’ArjoWiggins, il propose une nationalisation de l’entreprise : « Une intervention exceptionnelle de l’Etat était nécessaire. Il a le devoir de protéger nos savoir-faire en péril ». Il est contre le « libre-échange dérégulé » et la « concurrence frontale » sans voir que le développement de la Chine depuis 1980 et de l’humanité tout entière depuis 170 ans sont dus principalement au libre-échange et à la concurrence. Il croit qu’« un Etat fort assure le bon fonctionnement de l’économie et le juste équilibre entre les forces du capital et celles du travail ». Il sait cependant qu’un Etat fort est le but poursuivi par les fonctionnaires qui dirigent la France. Il constate en effet que « la noblesse de la République refuse l’irruption du peuple dans son lieu de vie et de pouvoir ». Mais il n’en tire pas la conclusion que l’Etat devrait avant tout remplir sérieusement ses tâches de sécurité intérieure et extérieure et de justice. Il ne sait pas que les Etats forts sont ceux dont les prétentions sont limitées.

Partisan de la « lutte contre le dérèglement climatique », il semble ignorer que le GIEC n’est pas un organisme de recherche scientifique mais un organisme politique qui écarte tous les scientifiques contestant sa doctrine de responsabilité exclusive des combustibles fossiles dans le réchauffement.

Il dénonce l’arrogance d’Emmanuel Macron, « son Incapacité à ressentir les souffrances silencieuses du peuple français », défaut partagé avec les autres politiciens-fonctionnaires qui nous gouvernent. Il souhaite « le retour fracassant du peuple à la table des dirigeants ». Ce retour fracassant résulterait sans doute pour lui d’une victoire électorale du Rassemblement national. Ce livre écrit simplement tient le lecteur en haleine au long de cette ascension extraordinaire d’un homme politique de 29 ans. Mais son auteur devra faire de grands efforts pour combler sa méconnaissance de la vie économique et abandonner ses préjugés économiques s’il veut persuader des électeurs que l’éventuelle victoire électorale du Rassemblement National pourrait redonner de la « puissance » à la France.