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Ноябрь
2024

Nucléaire : quand l’Allemagne comptait sur les réacteurs français

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Le message ne fait que quelques lignes. Mais il pourrait bien faire des vagues au pays de l’Energiewende - la transition énergétique allemande. Alors que l’Allemagne s’interroge, par le biais d’une commission parlementaire, sur le bien-fondé de sa politique de sortie du nucléaire, le média Cicero, farouche opposant des Verts sur ce sujet, publie une lettre confidentielle que le vice-chancelier et ministre allemand de l’Economie Robert Habeck a adressé à la ministre française de l’Energie, Agnès Pannier-Runacher, au cours de l’été 2022.

Selon l’auteur de l’article, Daniel Gräber, Habeck "voulait savoir si les centrales nucléaires françaises seraient remises en service à temps pour l’hiver". Une information clé pour pouvoir fermer les centrales allemandes. Tout sucre tout miel - la lettre démarre par un "Chère Agnès" et se termine par "Ton Robert" -, le ministre allemand écrit : "Tu as dit que l’objectif du gouvernement français était d’avoir 40 gigawatts de puissance nucléaire raccordés au réseau au 1er novembre 2022 et 50 gigawatts au 1er janvier 2023. Peux-tu me confirmer que je m’en souviens bien ?"

Le journal Bild, qui publie également le document, indique : "C’est précisément en août 2022 qu’un test de résistance a été réalisé chez nous afin de déterminer si l’Allemagne pouvait vraiment se passer d’énergie nucléaire - et c’est précisément le 1er janvier 2023 que les trois dernières centrales devaient être déconnectées du réseau. La suspicion : la sortie du nucléaire allemand n’était envisageable qu’avec l’énergie nucléaire française, même pour Habeck à l’été 2022".

Comme la France ne répond pas tout de suite au message du vice-chancelier, celui-ci demande à ses proches collaborateurs de garder le secret. Un mois plus tard, Robert Habeck annonce publiquement qu’il prolonge de quelques mois la durée d’exploitation de deux réacteurs nucléaires. Une décision directement liée à l’état du réseau français, miné par des problèmes de corrosion sous contrainte. "Les données venant de France ont continuellement baissé au cours des dernières semaines. On ne peut plus compter cet hiver sur les 50 GW de puissance nucléaire initialement indiqués. […] Dans ces conditions, l’utilisation de la réserve opérationnelle nucléaire est nécessaire pour stabiliser le réseau […]. A cela s’ajoute que les données du gestionnaire EDF se sont avérées souvent trop optimistes dans le passé. En tant que ministre responsable de la sécurité énergétique, j’en viens donc à dire : sauf si cette évolution n’est pas celle qui avait été estimée, nous allons laisser Isar 2 et Neckarwestheim en service au premier trimestre de 2023," indique Robert Habeck lors d’une conférence de presse.

Une stratégie de sortie de l’atome lourde de conséquence. "Autrefois, les centrales électriques allemandes fournissaient souvent de l’électricité à la France en hiver, lorsque celle-ci se faisait rare en raison des chauffages électriques. Depuis que la sortie du nucléaire est achevée, l’Allemagne est plutôt dépendante de l’importation d’électricité française. Et celle-ci provient à près de 70 % de centrales nucléaires", déplore Bild.

Quelque chose d’incohérent

Des propos qui font écho à ceux d’Agnès Pannier-Runacher à l’époque. "Il y a quelque chose d’incohérent d’importer massivement de l’électricité nucléaire française et en même temps de s’opposer à tout texte et toute législation dans l’Union européenne qui reconnaît la valeur ajoutée de cette forme électricité décarbonée", déclarait-elle en 2023, ajoutant que "l’Allemagne risquait de dépendre de plus en plus de l’électricité nucléaire de ses voisins". Et donc de la France.

"En vérité, l’Allemagne achète de l’électricité en France mais aussi dans d’autres pays, ce qui signifie qu’elle ne compte pas uniquement sur les réacteurs nucléaires français", analyse Hartmut Lauer. Tout dépend du prix de l’électricité et de la capacité disponible de moyens pilotables en Allemagne. Par exemple, en novembre 2024, l’Allemagne a dû importer environ 13 GW, car les énergies renouvelables n’ont pas fourni d’électricité pendant plus de 30 heures et que le parc national de moyens dits "pilotables" n’a pas suffi à couvrir la demande.

"Il est toutefois à craindre que la situation ne s’aggrave à l’avenir, prévient l’expert. Le gouvernement allemand souhaite, si possible, abandonner la production d’électricité à partir du charbon d’ici 2030. Dans l’état actuel des choses, environ 10 GW de centrales à gaz partiellement prêtes pour l’hydrogène devraient être construits à cet effet. Il n’est pas certain que cela suffise. De telles situations, avec une faible production d’énergies renouvelables variables, se reproduiront à l’avenir et l’Allemagne sera alors dépendante des importations, y compris en provenance de France", prévient l’expert.

En Allemagne, la publication de la petite lettre de Robert Habeck provoque déjà quelques remous. Le député de la CSU Andreas Lenz déclare à Bild : "Si la sortie allemande du nucléaire ne fonctionne que si les autres pays européens ne doivent justement pas le faire, alors c’est plus qu’absurde."