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A la Biennale de La Havane, les artistes cubaines font entendre leurs voix

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Peintures, sculptures, photographies, vidéos et performances composent "Alienaciones del Limite" (Aliénations des limites), exposition parallèle au programme officiel de la quinzième édition de la Biennale, qui se tient de novembre 2024 à février 2025 dans la capitale cubaine.

Parmi les premières pièces à accueillir le visiteur dans la vaste salle d'exposition se trouve "Je refuse le silence", une toile mêlant notamment une bouche de serpent et un clitoris, signée Leyssy O'Farril qui explore frontalement les problèmes de genre et de racisme à Cuba.

A côté de la poussette de sa fillette, l'artiste de 33 ans ne mâche pas ses mots: "Cuba est une société profondément sexiste, raciste à bien des égards, et même misogyne en certaines occasions".

L'artiste, aux cheveux tressés en dreadlocks bleues, affirme que "les voix s'élèvent un peu plus" pour dénoncer les féminicides, avec notamment l'arrivée de l'internet mobile dans le pays il y a cinq ans qui a permis de "rendre le problème beaucoup plus visible".

Ses mots trouvent un écho dans ses peintures, qui sont remplies de messages contre les meurtres de femmes, d'hommes, la violence de genre et la pédophilie.
Ne pas pouvoir exposer
L'île communiste dispose de lois prévoyant l'accès universel à l'éducation et à la santé, et a légalisé l'avortement dès 1965, alors qu'il était illégal dans de nombreux pays du monde et dans tous les autres pays d'Amérique latine.

Les artistes cubaines s'accordent à dire, toutefois, que l'égalité entre hommes et femmes reste un défi dans le pays.

Alors que 70 % des Cubains de plus de 15 ans avaient un travail rémunéré ou étudiaient en 2023, seules 45 % des Cubaines avaient le même statut, selon l'Observatoire cubain de l'égalité des sexes.

Et selon l'institution, 60 femmes ont été victimes de féminicide en 2023, un chiffre qui place l'île à la seizième place sur 36 pays de la région, selon un rapport de la Communauté économique des pays d'Amérique latine et des Caraïbes (Cepalc).

Des associations féministes indépendantes, comme l'antenne cubaine de "Yo si te creo" (Moi, je te crois) ont cependant répertorié 89 féminicides en 2023.

Ce contexte pousse les artistes à explorer les différentes formes de discrimination.

"Beaucoup de ces artistes ont eu, dans une certaine mesure, leur propre expérience ou une expérience proche de la violence, qui n'est pas seulement physique", explique Alay Fuentes, historien de l'art et commissaire de l'exposition. "Parfois, la violence de genre signifie que vous ne pouvez pas exposer", souligne-t-il.

Dans un acte de sororité et de complicité, des artistes déjà consacrées partagent l'espace avec des débutantes, et même une artiste censurée pour avoir défié les limites de ce qui est autorisé sur l'île.

Lauréate du Prix national d'art en 2023, Zaida del Rio, 70 ans, expose ainsi une œuvre sur son thème fétiche de la femme oiseau.

Lynn Cruz, artiste de 47 ans, participe au projet avec une vidéo qui aborde la négation de son travail par les autorités et la manière dont elle a été, selon elle, "exclue des espaces culturels" officiels, explique le commissaire d'exposition, en l'absence de la créatrice en déplacement à l'étranger.

Egalement dramaturge et actrice, Lynn Cruz vient de remporter un prix au Festival international du film documentaire d'Amsterdam, aux Pays-Bas, pour "Crónica del Absurdo" (Chronique de l'absurde), une oeuvre dont elle est la coproductrice avec le cinéaste cubain Miguel Coyula.

Parmi les photographies, le travail de Maria Isabel Vida Winter, 40 ans, se distingue, avec "Le fil d'Ariane", une série d'images qui offrent une interprétation intime de ce personnage de la mythologie grecque qu'elle met en scène avec un fil.

"Combien d'entre nous, les femmes, n'ont pas été victimes de discrimination ou n'ont pas eu à se battre ? Il y a un moment où il faut se donner naissance à soi-même", explique la photographe, déplorant qu'à Cuba “les femmes sont encore très sexualisées”.