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Livres : le vrai visage de Victor Hugo, Honoré de Balzac ou George Sand dévoilé

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Au XIXe siècle, on ne s’embarrassait pas de politiquement correct, si l’on en croit ce mauvais trait d’esprit de Balzac, inimaginable aujourd’hui : "J’ai travaillé comme un nègre, ou comme un Dumas." Le génie stakhanoviste imbibé de caféine n’était pas plus tendre envers Sainte-Beuve : "Les poésies de M. Sainte-Beuve m’ont toujours paru être traduites d’une langue étrangère par quelqu’un qui ne connaîtrait cette langue qu’imparfaitement." Encore plus cocasse, sa brouille avec son ex-ami Eugène Sue. Balzac ne se remet pas que ce dandy frivole et dispendieux, membre du Jockey Club, se soit recyclé en icône de la gauche grâce au succès des Mystères de Paris. La presse se met à payer Sue trois fois mieux que Balzac ! L’auteur de La Comédie humaine ne décolère pas contre le "pioupiou littéraire" aux "romans d’épicier". Il est vrai qu’il se fait une haute idée de lui-même, comme en témoigne cette lettre à Mme Hanska : "Il n’y a en France que trois hommes qui sachent écrire notre langue : moi, Théophile Gautier et Victor Hugo." Et d’enfoncer le clou : "Il faudra bien qu’un jour, on finisse par compter avec moi. Coûte que coûte, je m’imposerai à cette société qui fait la fine bouche devant ma silhouette épaisse et mes manières de rustre." La postérité lui donnera raison.

Toutes ces citations incroyables sont à retrouver dans Romantismes, le premier tome du Roman des artistes, une tétralogie que Dan Franck commence en fanfare avec ce volume qui va de 1815 (Waterloo) à 1847 (fin de la construction du château de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas). Entre-temps, il y a l’année décisive, 1830, qui voit s’enchaîner la bataille d’Hernani et les Trois Glorieuses. Esthétique et politique se mêlent (pas toujours bien) chez tous les jeunes de cette génération. En guise d’exergue à Romantismes, Dan Franck a mis cette phrase de Baudelaire : "C’est un plaisir très grand et très utile que de comparer les traits d’un grand homme avec ses œuvres."

Après avoir tout lu sur cette période, l’écrivain nous emmène dans les coulisses amicales et créatives de ces années fastes. On assiste ainsi à la peinture par Delacroix de La Liberté guidant le peuple, aux mutations de la presse et de l’édition, au voyage à Venise d’Alfred de Musset et George Sand, à leur séparation, et plus tard aux soirées chez Sand à Nohant, réunissant notamment Chopin, Liszt et Delacroix – car c’est un petit monde où tous se connaissent, se croisent, se lient, se fâchent. L’admiration et la rivalité sont les nerfs de la guerre. Lorsque Daumier caricature Louis-Philippe, Balzac applaudit : "Ce gaillard-là a du Michel-Ange sous la peau." Mais quand Stendhal publie Le Rouge et le Noir au tout début de la monarchie de Juillet, Hugo se montre moins laudateur auprès d’Henri Rochefort : "J’ai tenté de lire ça. Comment avez-vous pu aller plus loin que la quatrième page ? Vous savez donc le patois ? Moi, je ne me passionne pas pour des fautes de français. Chaque fois que je tâche de déchiffrer une phrase de votre ouvrage de prédilection, c’est comme si on m’arrachait une dent."

"Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde"

La misogynie est souvent l’une des caractéristiques de ces ambitieux. Malgré son talent et son panache, Sand sert de paratonnerre à ses consœurs, tant elle concentre les foudres masculines. Les frères Goncourt la détestent, Barbey d’Aurevilly la trouve "perdue dans un engourdissement profond comme le vide" et Baudelaire l’achève : "Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a dans les idées morales la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues." N’en jetez plus ! Quand on voit la susceptibilité pathologique des auteurs actuels, on se dit qu’ils auraient vite perdu leurs illusions dans le féroce milieu littéraire du XIXe siècle…

Un génie plus discret que Hugo ou Balzac émerge de cette biographie multiple qui ressemble à un Lagarde et Michard en plus vivant : Gautier. L’ami d’adolescence de Gérard de Nerval, l’homme au gilet rouge de la bataille d’Hernani, le "poète impeccable" (selon Baudelaire), était aussi un romancier inventif et un critique curieux et généreux, à l’œuvre journalistique prolifique. Tous ses jugements sur ses contemporains s’avèrent justes et éclairants. Avec Dan Franck, on s’amuse beaucoup, on révise, on savoure les piques et on apprend plein d’anecdotes méconnues. Sitôt son livre refermé, on peut remonter à la source en plongeant dans Histoire du romantisme de Gautier et Choses vues de Hugo.

Le Roman des artistes. I. Romantismes, par Dan Franck. Grasset, 406 p., 24 €.