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Ноябрь
2024

Arrestation de Boualem Sansal en Algérie : des inquiétudes et des questions

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L’inquiétude règne jusqu’à l’Elysée après l’arrestation en Algérie de Boualem Sansal, en lutte contre le fondamentalisme religieux et l’autoritarisme. L’agence de presse publique, "Algérie Presse Service", a confirmé ce vendredi 22 novembre le placement en détention de l’écrivain franco-algérien.

Qui est Boualem Sansal ?

Sansal est l’une des grandes voix de la littérature francophone contemporaine, auteur d’une œuvre engagée contre l’obscurantisme et pour la démocratie. Né en 1949 à Theniet El Had, en Algérie, d’un père d’origine marocaine et d’une mère qui a reçu une éducation à la française, il commence à écrire à 48 ans et publie son premier roman, "Le Serment des Barbares", deux ans plus tard. Il y raconte la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger l’Algérie dans une décennie de guerre civile ayant fait 200 000 morts.

Après une carrière d’enseignant, de chef d’entreprise et de haut fonctionnaire, il est limogé en 2003 du ministère de l’Industrie algérien pour sa position critique contre le pouvoir, en particulier sur l’arabisation de l’enseignement. En 2019, il participe à Alger aux manifestations contre le pouvoir algérien qui conduisent à la démission du président Abdelaziz Bouteflika.

Que lui est-il arrivé ?

Dans un billet au ton très violent, l’agence de presse publique, "Algérie Presse Service", a confirmé ce vendredi l’arrestation de l’auteur, étrillant au passage la "France Macronito-sioniste (sic)".

Selon plusieurs médias, dont l’hebdomadaire Marianne, l’écrivain a été arrêté samedi à l’aéroport d’Alger, en provenance de France. Selon Le Monde, les autorités algériennes pourraient avoir très mal pris des déclarations de Sansal au média Frontières, réputé d’extrême droite, qui reprennent la position marocaine selon laquelle le territoire marocain aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie. D’après le quotidien, il s’agirait d’une "ligne rouge" pour Alger, qui pourrait valoir à l’écrivain des accusations d''atteinte à l’intégrité nationale".

L’écrivain de 71 ans sera présenté devant le procureur et un juge ce dimanche 24 novembre, rapporte de son côté Le Figaro, qui indique qu’il pourrait être poursuivi en vertu de l’article 87 bis du Code pénal algérien. L’auteur risque en théorie la réclusion criminelle à perpétuité, selon le texte qui qualifie de "terroriste ou subversif" tout acte portant atteinte "à la sûreté de l’Etat, à l’intégrité du territoire, à la stabilité ou au fonctionnement normal des institutions".

Jeudi soir, l’entourage du président Emmanuel Macron a fait savoir que ce dernier était "très préoccupé par la disparition" de Boualem Sansal et précisé que "les services de l’Etat sont mobilisés pour clarifier sa situation", sans donner davantage de détails sur ce dossier.

De quoi parle l’œuvre de Boualem Sansal ?

L’œuvre de Boualem Sansal évoque sans tabou, et dans un style parfois caustique, l’histoire de l’Algérie, la mémoire, les relations avec la France, et dénonce inlassablement l’islamisme. Parmi ses titres célèbres, "Le village de l’Allemand" (2008), censuré en Algérie, évoque à la fois la Shoah, la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens dans les banlieues françaises.

Dans "2084, la fin du monde" (2015), il prend des accents orwelliens pour dénoncer la menace que fait poser le radicalisme religieux sur les démocraties, en imaginant l’islamisme au pouvoir. Édité dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard, Boualem Sansal est habitué des prix littéraires en France : l’Académie française lui a décerné son Grand prix de la francophonie, puis son grand prix du roman pour "2084, la fin du monde".

Quelles ont été ses prises de position ?

Son engagement et ses mises en garde de l’Europe, et de la France en particulier, contre les dangers de l’islamisme ont valu à cet athée revendiqué de solides inimitiés. Et le soutien marqué d’intellectuels et de médias, dont L’Express, applaudissant ses déclarations choc sur un "ordre islamique" qui tenterait "de s’installer en France".

En Algérie, les menaces ont redoublé depuis qu’il s’est rendu, en 2014, en Israël pour y recevoir un prix littéraire. Ses prises de position lui attirent parfois des accusations d'"islamophobie", dont il se défend inlassablement. "Je n’ai jamais dit quoi que ce soit contre l’islam qui justifierait cette accusation" mais, "ce que je n’ai cessé de dénoncer c’est l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et sociales", expliquait-il à l’AFP en 2017.

Quelles ont été les réactions ?

Plusieurs responsables politiques français, la plupart de droite, ont exprimé leur inquiétude depuis jeudi, de l’ex-Premier ministre Edouard Philippe ("Il incarne tout ce que nous chérissons : l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme"), à Marine Le Pen (RN) en passant par Laurent Wauquiez (LR).

A gauche, le patron du PS Olivier Faure a appelé à "sa libération", et les socialistes Jérôme Guedj ou Laurence Rossignol ont également affiché leur soutien.

Son éditeur, Gallimard, a exprimé ce vendredi sa "vive inquiétude" et appelé à sa "libération immédiate" après son "arrestation par les services de sécurité algériens". Du côté des écrivains, Tahar Ben Jelloun a appelé dans l’hebdomadaire Le Point à "libérer" Boualem Sansal, tandis que Kamel Daoud a dénoncé dans le même magazine le fait que son "frère" Boualem Sansal soit "derrière les barreaux, comme l’Algérie toute entière".

Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt cette année, a publié à la rentrée "Houris", roman sombre se déroulant en partie à Oran sur le destin d’Aube, jeune femme muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999, et qui lui vaut d’être au cœur d’une polémique. Après que sa maison d’édition Gallimard a été interdite de venir au Salon international du livre d’Alger cet automne, l’écrivain franco-algérien est également visé par deux plaintes dans ce pays. Elles l’accusent, avec son épouse psychiatre, d’avoir dévoilé et utilisé l’histoire d’une patiente pour l’écriture de "Houris".